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Samouraï, dinosaure et Star Wars: dans le laboratoire de Genndy Tartakovsky

Primal de Genndy Tartakovsky

Primal de Genndy Tartakovsky - Adult Swim

Le réalisateur Genndy Tartakovsky a créé Le Laboratoire de Dexter, Samouraï Jack et Star Wars Clone Wars. Il présente à Annecy sa dernière création Primal et retrace pour BFMTV.com sa carrière, émaillée de séries à succès qui ont bercé une génération d'enfants.

Créateur adulé de Hôtel Transylvanie, Le Laboratoire de Dexter, Samouraï Jack et Star Wars Clone Warsle réalisateur Genndy Tartakovsky a présenté cette semaine à Annecy le premier épisode de sa nouvelle série, Primal, sans doute son œuvre la plus violente: "C’est une série pour [la chaîne américaine] Adult Swim, c’est donc pour un public plus mûr", précise le cinéaste qui après une carrière bien remplie de shows pour enfants commence à s’orienter vers l’animation adulte.

"Bien qu’il y ait de la violence [dans Primal], celle-ci n’est pas gratuite", commente-t-il. "Elle est liée à notre histoire, qui se déroule dans ce monde que l’on a voulu très violent où un homme des cavernes et un dinosaure doivent apprendre à survivre. Nous avions déjà exploré ce ton un peu plus violent dans la dernière saison de Samouraï Jack. Tant que la violence est justifiée par l’histoire, et qu’elle est d’une certaine manière esthétique, tout est possible."

Tout est possible car le style de Genndy Tartakovsky n’est pas réaliste et frise souvent l’abstraction. "Oui, les personnages sont toujours autant caricaturés, mais Primal est sans doute une série un peu plus réaliste que ce que nous avons eu l’habitude de faire", complète celui qui s’est lancé dans l’animation après avoir découvert dans sa jeunesse les courts-métrages de Tex Avery et les productions Hanna-Barbera des années 1950 (Tom et Jerry, Les Pierrafeu, Scooby-Doo).

"Je ne pensais pas à la portée historique du Laboratoire de Dexter"

Rien n’étant dû au hasard à Hollywood, Genndy Tartakovsky débute sa carrière par le biais de ce mythique studio. C’est en 1995, dans le cadre de l’émission What a Cartoon, produite pour Cartoon Network, que les premiers courts-métrages du Laboratoire de Dexter sont diffusés. Le succès est immédiatement au rendez-vous, et Dexter devient la première série animée originale de la chaîne américaine. Genndy Tartakovsky n’a que 25 ans quand il devient le metteur en scène des aventures de cet enfant qui dissimule dans sa chambre un laboratoire high-tech:

"Je ne pensais pas à la portée historique de cette série! On essayait juste de faire un bon programme! On ne savait pas ce qu’on faisait! On avait tous le même âge et il y avait beaucoup de pression. Je pensais que ce serait mon unique chance de réaliser ma propre série. À l’époque, personne de mon âge n’avait sa propre série. C’était la tradition: on commençait à un poste subalterne, puis on gravissait pas à pas les échelons et après trente ans de dur labeur on pouvait espérer devenir réalisateur."

En parallèle du Laboratoire de Dexter, Genndy Tartakovsky écrit, produit et réalise plusieurs épisodes des Super Nanas à la fin des années 1990, puis créé Samouraï Jack (2001-2004; 2017) et Clone Wars (2003-2005), série dérivée de Star Wars située entre les épisodes II et III. A cette époque, il est omniprésent à la télévision américaine:

"C’était presque en même temps!", modère-t-il avant de préciser: "Samouraï Jack et Clone Wars se sont chevauchés et c’était vraiment difficile. J’ai comme philosophie de saisir les opportunités que l’on me tend car il se peut qu’elles ne soient plus disponibles le lendemain. C’est ce qui s’est produit avec Primal. J’étais en pleine production de Hôtel Transylvanie 3 lorsque j’ai eu cette idée. La règle à Hollywood est que sur sept projets seulement un est validé. L’année de Samouraï Jack, il se trouve que nous en avons eu quatre! C’était fou, mais on s’est amusé malgré la difficulté!"

"Le meilleur de ce que nous avons déjà fait dans une série"

La touche Genndy Tartakovsky est un étonnant mélange entre un graphisme à l’ancienne dynamique et épuré, des décors souvent abstraits, une narration non traditionnelle et une capacité à réduire au minimum l’intrigue et les dialogues au profit d’une inventivité visuelle et de scènes d’action impressionnantes. Primal, dont les dix épisodes seront dévoilés en novembre prochain sur Adult Swim en France et aux Etats-Unis, pousse ce style à son paroxysme:

"Primal contient le meilleur de ce que nous avons déjà fait dans une série! Il n’y a pas un seul dialogue. L’homme des cavernes pousse des grognements, mais c’est tout. J’ai eu cette idée parce que les fans nous disent souvent qu’ils adorent telle ou telle scène muette de Samouraï Jack. L’enjeu était de pouvoir raconter une série entière de cette manière. Je me suis rendu compte de l’impact que cela apportait au récit: comme personne ne parle, vous êtes obligé de faire attention aux images. C’était un sacré défi. Certaines de nos histoires sont assez complexes, mais ce n'est pas ce que nous avons eu de plus complexe à réaliser sur Primal."

La réussite est une nouvelle fois au rendez-vous, à en juger par les réactions enthousiastes des festivaliers à Annecy, mais aussi des producteurs d’Adult Swim: "Je me souviens d’une projection qui avait lieu le midi et ils mangeaient des pizzas. Un type assis à côté de moi mangeait sa part quand l’épisode a commencé. Pendant vingt-deux minutes il est resté avec sa pizza devant la bouche! Il ne s’est pas rendu compte qu’à la fin qu’il n’avait pris qu’une bouchée et était resté dans cette position pendant tout l’épisode tellement il était captivé!"

Comme Hergé dans Tintin ou plus récemment Emile Bravo dans sa série qui confronte Spirou aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale, Genndy Tartakovsky utilise un style graphique épuré a priori destiné à un jeune public pour évoquer des thématiques plus sombres et complexes. Dans Star Wars Clone Wars, il aborde ainsi plus frontalement que George Lucas la violence de la guerre et le désespoir de ses personnages, notamment dans une séquence mémorable où Anakin dévore des vers de terre devant un Obi Wan effaré. Alternant retrouvailles intimistes et grandes batailles, il ne délaisse jamais l’humour, clef pour lui de la réussite d’une œuvre: "On conserve toujours cet aspect très cartoon de la réalité, car parfois ce côté proche de la caricature permet de faire mieux ressortir les personnages."

"Pas de ciel bleu, pas d’herbe verte"

Adepte d’une forme de ligne claire, Genndy Tartakovsky ignore l'origine de son style et dit en changer à chaque série ou film (Hôtel Transylvanie est en 3D et ses séries en 2D). Il reconnaît malgré tout avoir quelques obsessions: "Les personnages, par exemple, doivent être uniques, un peu exagérés. C’est le cas dans Primal, où la caricature est légère, mais bien présente. Je fais aussi très attention à la manière dont les personnages se tiennent, pour que cela corresponde à leur personnalité. Dee Dee, par exemple, ne se déplace pas de la même que Dexter."

Il y a aussi cette règle qui le guide depuis ses débuts et confère à son travail une dimension irréelle: "Pas de ciel bleu, pas d’herbe verte." Il précise: "Cela signifie que le ciel peut être gris, vert ou noir. Nous apportons notre propre sensibilité." Bannissant de ces créations l’ordinaire, Genndy Tartakovsky dit se soucier le moins possible du public auquel il destine ses séries: "Quand je faisais Dexter, j’ignorais ce qu’aimaient les enfants! Je savais ce que j’aimais. Comme j’ai toujours l’impression d’être un enfant, j’avais l’impression que la série toucherait plus si elle n’essayait pas de surfer sur les modes. J’ai toujours fonctionné ainsi."

Et Sony Pictures, qui produit et distribue ses films, lui apporte un soutien sans faille: après le succès de la trilogie Hôtel Transylvanie, il a désormais carte blanche pour réaliser deux films dont un film d'animation comique pour adultes. 

Jérôme Lachasse