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Rencontre avec Paul Dini, co-créateur de la série animée Batman et de Harley Quinn

Paul Dini et Harley Quinn

Paul Dini et Harley Quinn - Alberto E. Rodriguez / Getty Images North America / AFP

Invité du Festival d’Angoulême, Paul Dini dévoile les coulisses de ses œuvres cultes, dont la série animée Batman, et la création de Harley Quinn.

Invité du Festival de BD d’Angoulême 2019, Paul Dini est un des grands architectes de la mythologie Batman. Né en 1957, le scénariste américain n’a cessé de naviguer entre les styles, les genres et les supports (BD, séries tv, jeux vidéo) pour raconter les histoires de ce chevalier noir désormais octogénaire.

Qu’ils soient mis en images par Bruce Timm (la série animée Batman), Alex Ross (Justice League) ou encore Eduardo Risso (Dark Night: Une histoire vraie), ses récits présentent une vision souvent sombre mais triomphante du personnage inventé en 1939 par Bob Kane et Bill Finger.

Donner de l'espoir

Ses histoires ont une fonction: donner de l'espoir au lecteur, afin de lui montrer comment les super-héros peuvent réellement sauver, hors de la fiction, des vies. Paul Dini sait de quoi il parle. Violemment agressé un soir de 1993 par deux hommes, il a failli perdre son goût pour les récits super-héroïques. Il a raconté en 2016, dans Dark Night, cette histoire et son retour à la vie et à sa passion.

Paul Dini, que nous avons rencontré au Festival d’Angoulême, revient sur cette histoire tragique et raconte les coulisses de la série animée Batman, la création de Harley Quinn et sa collaboration avec Alex Ross, dessinateur surdoué connu pour ses représentations photoréalistes des super-héros.

Des livres écrits par Paul Dini
Des livres écrits par Paul Dini © Urban Comics

Comment avez-vous travaillé avec Eduardo Risso sur Dark Night: a true Batman story?

Quand j’écrivais Dark Night, je regardais 100 Bullets et d’autres histoires qu’il avait dessinées pour voir la manière dont il mettait en scène la violence, les agressions et les bagarres. A partir de ce qu’il avait réalisé, j’ai fait une espèce de collage pour lui rendre compte de mon expérience de mon agression. J’avais entièrement confiance en lui pour qu’il comprenne les images que je voulais. En découvrant ses planches, j’ai été profondément ému. Si la scène ne se déroule pas exactement comme ce que j’ai vécu, elle m’a rappelé tous les souvenirs et les angoisses ressenties cette nuit-là. Après avoir découvert les crayonnés de cette séquence, j’ai éclaté en sanglots et je n’ai pas pu les regarder pendant une semaine.
Batman par Alex Ross et Paul Dini
Batman par Alex Ross et Paul Dini © Urban Comics Alex Ross Paul Dini 2019

Vous avez écrit pour Alex Ross Batman: Guerre au crime. On y trouve notamment une poignante double page où un jeune garçon enlace le Chevalier noir. Que pouvez-vous nous dire à propos du caractère sacré qui émane des histoires super-héroïques réalisées avec ce grand dessinateur?

Cette double page est magnifique. C’est émouvant. Il y a de l’empathie. C’est du Alex tout craché. Quand je travaillais avec Alex sur un projet, c'était une collaboration, mais sa vision, son goût et sa sensibilité sont si fortes que j’avais l’impression qu’il était le chef du groupe et que j’étais là pour l’accompagner à la guitare et faire quelques riffs. Personne d’autre qu’Alex Ross n'est doté d’une vision aussi précise, unique et vraie de ses personnages. Il y a indéniablement un caractère divin dans ses personnages. Batman est un saint noir. Superman est une sorte de dieu. Les super-héros sont des figures imaginaires, mais l’idée qu’ils personnifient dans la culture populaire le divin n’est pas si mal. Les gens recherchent au moins un accompagnement spirituel, sinon un peu de divin, dans leur vie. Qu’on l’obtienne par une véritable figure religieuse comme Jésus ou Mahomet ou quelque chose d’autre... on recherche tous une partie de cette divinité. Les super-héros sont une manière de réinterpréter cette quête.
La série animée Batman
La série animée Batman © Warner Bros.

Pourquoi avoir choisi une esthétique années 1940 pour la série animée Batman?

Batman a quelque chose d’étrange, de presque monstrueux. Et les gangsters, ces types effrayants, sont effrayés par Batman. Cela ne fonctionne pas si vous utilisez le style des dessins animés Marvel. Quand vous regardez les séries Spider-Man et X-Men des années 1990, qui étaient très bonnes, elles étaient situées à l’époque contemporaine. Elles suivaient des adolescents qui tentent de maîtriser leurs pouvoirs. Batman est plus figuratif: bien qu’il ait beaucoup de force, beaucoup de ses pouvoirs reposent dans ce que vous ne voyez pas: la menace qu’il inspire aux autres. C’est ce que nous avons essayé de faire. Dans les films noirs, les ombres avaient une grande importance.
Le fait que les perspectives et les décors sont déformés rappellent aussi les comics et le style pop art de la série des années 1960 avec Adam West. Ce sont des choix graphiques qui fonctionnent merveilleusement bien lorsque l’on pose la musique de Danny Elfman sur ces images. La série évoque aussi les dessins animés de Superman des studios Fleischer dans les années 1940. Ils ont bien capturé l’énergie de cette époque. Superman est très Art déco: il se dirige vers le ciel, vers le paradis. Batman, au contraire, se déroule dans la rue, dans un paysage urbain, dans les ténèbres et la peur. C’était le look parfait pour cette histoire. Notre série était différente des versions animées qui l’ont précédées: elle racontait comme Batman triomphait des ténèbres.
Harley Quinn dans la série Batman
Harley Quinn dans la série Batman © Warner Bros. Pictures

Comment avez-vous eu l’idée de Harley Quinn?

A l’origine, elle était un personnage tragique. Elle n’était pas très sympathique. Elle est apparue pour la première fois dans Chantage à crédit. C’est une histoire très sombre sur le Joker qui déployait beaucoup de moyens pour manipuler et terroriser un homme qui a croisé sa route par le passé. C’est une histoire très sadique où un homme est traité comme un insecte par le Joker. Vous avez besoin de rire dans une telle histoire, vous avez besoin de légèreté. Cela ne peut pas venir du Joker, puisqu’il a un sens de l’humour morbide et offensant.
On s’est demandé, puisqu’il était le roi du crime, pourquoi il n’aurait pas un fou pour amuser son gang. Je me suis dit que ce serait amusant d’ajouter une femme à son gang. Elle pourrait faire des blagues et il pourrait s’énerver contre elle parce que ses blagues sont plus drôles que les siennes. C’était un personnage amusant et Bruce [Timm, le co-créateur de la série, NDLR] lui avait donné un look intéressant. Elle s’est intégrée naturellement dans le monde de Batman et on a décidé de la ramener. Le nom marchait bien, c’était un jeu de mot assez évident sur 'arlequin'.
Elle était rigolote au début puis on s’est demandé ce qui la motivait, qui elle était réellement. Quand on a fait [la BD] Mad Love, on a imaginé qu’elle était la psy du Joker, qu’il l’avait cassée puis transformée en Harley Quinn. Ce qui fait de lui un être horrible. On se sent vraiment mal pour elle. C’est ce qui a donné sa force à l’histoire de Mad Love.
Gordon et Batgirl
Gordon et Batgirl © Warner Bros Pictures

La série Batman était très sombre, mais aussi très émouvante.

Vous pouvez avoir des rires, du fantastique, même dans la magie, mais il faut qu’il y ait des situations de vie ou de mort. Si le Joker ne tue pas l’homme qu’il terrorise [dans Chantage à crédit, NDLR], il avait clairement l’intention de le faire. Pareillement, les parents de Robin sont bel et bien morts, ils ont été assassinés [dans l’épisode Robin se rebiffe, NDLR]. Nous ne l’avons pas montré à l’écran, mais c’est bien un monde où les gens meurent. Les mauvaises actions ont des conséquences. C'est une révolution par rapport aux autres séries animées.
Dans Règlement de comptes, nous avons évoqué la mort apparente de Batgirl [alias Barbara Gordon, la fille de l’inspecteur Gordon, NDLR]. Je savais que cette histoire serait difficile à vendre, parce qu’on avait déjà fait Rêve ou Réalité?, une histoire située dans un monde onirique où Batman devait combattre une version maléfique de lui-même et le chapelier fou.
J’avais l’impression qu’il y avait des choses intéressantes à poursuivre dans Règlement de comptes, où l’inspecteur Gordon fait une descente dans la Batcave et devient l’ennemi de Batman. À quel point cela serait-il dramatique et cruel de voir le plus fidèle allié de Batman se retourner contre lui avec toute sa force, son intelligence, sa haine? C’est une pensée très sombre. On se rend compte à la fin qu’il s'agit d’un rêve de Batgirl qui émane de sa culpabilité, de sa paranoïa et qu’elle a des comptes à régler avec son père. Cette idée nous a permis de montrer à la fin, sans utiliser de dialogue, qu’il savait qu'elle était Batgirl. C’est une scène qui m’émeut beaucoup.

Mad Love, Paul Dini (scénario) et Bruce Timm (dessin), Urban Comics, 168 pages, 15,50 euros.

Justice League - Icônes, Paul Dini (scénario) et Alex Ross (dessin), Urban Comics, 416 pages, 35 euros.

Jérôme Lachasse