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Le dessinateur français Jérôme Alquié offre une seconde vie au Capitaine Albator

L’auteur français Jérôme Alquié offre au célèbre corsaire de l’espace imaginé par Leiji Matsumoto une seconde vie en lui consacrant Mémoires de l'Arcadia, une série de BD franco-belges loin des codes du manga.

Jérôme Alquié a beau tuer, dans Mémoires de l'Arcadia, un personnage ressemblant à Leiji Matsumoto, le créateur d’Albator, le dessinateur français n’en demeure pas moins fidèle à l’univers créé dans les années 1970 par le maître japonais. Réalisée en couleur et avec les codes de la BD franco-belge, cette histoire divisée en trois tomes est le premier album des aventures du Capitaine Albator a avoir été entièrement conçu par un Français, depuis la sortie, il y a presque quarante ans, d’une série de huit BD signées par Claude Moliterni et le Studio Five Stars:

"On a défendu le format franco-belge, parce que c’est un projet fait par un Français pour un public francophone. Ça ne veut pas dire qu’on oublie Matsumoto. On se fonde totalement sur son univers. On est le plus respectueux possible. J’essaie juste de glisser aussi quelques références à l’histoire d’Albator en France. Je voudrais que les gens qui ont connu l’arrivée du dessin animé en France puissent s’y retrouver, que ce soit une vraie madeleine de Proust", explique le dessinateur qui a fait appel à Richard Darbois, le doubleur d’Albator, pour la bande-annonce de la série.
Albator par Jérôme Alquié
Albator par Jérôme Alquié © Kana

Né en 1975, Jérôme Alquié a découvert "sur le tard" l’œuvre phare de Leiji Matsumoto. Trop jeune en 1980 lors de la première diffusion française d’Albator 78, il a plutôt été bercé par Ulysse 31, Capitaine Flam et Goldorak. C’est en 1994, "après le Club Dorothée et la déferlante des blockbusters Dragon Ball et Saint Seiya", qu’il a découvert dans l’émission Télévisator 2 de Cyril Drevet le film Albator 84: L'Atlantis de ma jeunesse, découpé alors en cinq parties:

"J’ai trouvé ça fabuleux en terme de narration, de dessin, d’ambiance - et quant à la musique, n’en parlons pas. Elle me tirait les larmes… J’aime bien les histoires mélancoliques, même si je ne le suis pas moi-même. En découvrant ce film, j’ai eu terriblement envie de découvrir ce qu’était Albator."

Une œuvre intemporelle

Sous le choc, il se lance donc à la recherche de tout ce qu’il peut trouver "comme petite pièce du puzzle du Leijiverse [nom donné à l’ensemble des œuvres de Matsumoto, qui se déroulent dans le même univers fictif, NDLR] pour essayer de le remonter et d’en comprendre la totalité." Rapidement, il découvre l’ampleur de la tâche: "C’est une œuvre tellement vaste, tellement riche…" Depuis, Jérôme Alquié a exploré en détail cet univers. Il a dévoré le manga original en japonais en 1995. Particulièrement marqué par l’ambiance d’Albator 78, il loue la distribution des rôles - très inhabituelle pour l’époque - de la série:

"La série n’oppose pas des gentils contre des méchants. C’est plus complexe. Les Terriens sont décrits comme des gens paresseux qui ont bousillé leur planète. Albator est là pour réveiller les consciences, mais il reste un pirate, un hors-la-loi. Il est presque censé être notre ennemi... Et puis il y a ce peuple extraterrestre [les Sylvidres, NDLR] qui est l’image de la nature qui vient se venger des Terriens pour reconquérir la planète. C’est pour cette raison que la série reste aussi importante et intemporelle."

Subjugué par la découverte de l’œuvre de Matsumoto, Jérôme Alquié a réalisé au milieu des années 1990 une petite BD située dans l’univers d’Albator: "Je me disais que ce serait génial de pouvoir travailler sur le personnage", se souvient-il. Des années de travail plus tard, passées à apprendre à maîtriser le style épuré du maître Matsumoto, il a pu réaliser son rêve.

Pour convaincre le dessinateur, il lui a assuré que son but n’était "pas de tirer la couverture [à lui], mais de faire en sorte que son personnage continue de traverser les âges, peut-être en ayant un public différent du sien." Il ajoute: "La première des choses a été de montrer qu’on n’allait pas faire n’importe quoi avec la licence sous prétexte qu’elle a du succès: On ne peut pas d’un coup faire d’Albator un cocaïnomane!" Quand Matsumoto a vu les premières planches, ses doutes ont été dissipés et il a conseillé au Français de s’amuser. Le mangaka a aussi été surpris de se découvrir sous les traits d’un personnage - qui meurt gelé: 

"Quand j’ai créé ce personnage-là, il a été très amusé", raconte Jérôme Alquié. "Il m’a seulement demandé de laisser planer le doute sur sa mort - parce qu’il aime de moins en moins faire mourir ses personnages. Je l’ai rassuré et évidemment, au début du tome 2, son personnage n’est pas mort: il va être dégelé par la voyageuse du Galaxy Express 999 [Meitel]. C’est l’auteur sauvé par sa création. Il en a été aussi touché."
Albator par Jérôme Alquié
Albator par Jérôme Alquié © Kana

Des mentons un peu pointus

Matsumoto ne corrige pas le storyboard de Jérôme Alquié, mais s’autorise quelques remarques: "J’ai tendance à faire mes mentons un peu pointus de profil", indique-t-il. "Il m’a demandé qu’ils soient un peu plus arrondis." Par l’intermédiaire de Kouiti Shimaboshi, qui réalise la série Capitaine Albator: Dimension Voyage, Jérôme Alquié a aussi appris que Leiji Matsumoto 'appréciait dans les histoires des décors abondants et s’y est donné à cœur joie. 

Contrairement à Kouiti Shimaboshi, qui livre une interprétation libre du personnage, Jérôme Alquié a voulu être le plus fidèle possible aux travaux de Shingo Araki et Kazuo Komatsubara, les animateurs des séries d’origine. Malgré ces modèles, Albator reste difficile à dessiner: "Je rate très souvent le personnage", concède Jérôme Alquié. "J’ai un niveau d’exigence assez élevé. Il faut réussir à reproduire son côté hyper charismatique." Et sa capacité à être à la fois l’incarnation du courage et de la mélancolie. 

Ce premier tome d’Albator, contrairement aux histoires de Matsumoto, se déroule principalement sur Terre et non dans l’espace. Autre différence: il est davantage tourné vers l’action et laisse de côté la mélancolie propre aux histoires du maître japonais. Jérôme Alquié en a conscience et se rattrapera dans le tome 2. Intitulé Les Ténèbres abyssales de l’âme, il plongera les personnages "à l’intérieur de leur propre esprit" et les confrontera à leur plus grande peur et à leur plus grand désespoir: "Là, on va retrouver la mélancolie et la tristesse de l’œuvre de Matsumoto", promet Jérôme Alquié. "Je me suis beaucoup amusé à faire le tome 2." Sortie prévue en novembre 2019, en attendant le tome 3 en 2020. 

Capitaine Albator, Mémoires de l’Arcadia, Jérôme Alquié, Kana, 56 pages, 11,99 euros.

Jérôme Lachasse