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Family Business: quand la France se lance dans la stoner comedy

Affiche de Family Business, une série Netflix dans laquelle une famille se lance dans la vente de cannabis.

Affiche de Family Business, une série Netflix dans laquelle une famille se lance dans la vente de cannabis. - Netflix

La série Family Business, disponible sur Netflix, s’essaye à la stoner comedy. Peu exploité en France, ce genre qui utilise le cannabis à des fins comiques est très populaire aux Etats-Unis.

Après le succès de Five, comédie où Pierre Niney vendait de l’herbe pour payer son loyer, Igor Gotesman a conçu pour Netflix Family Business, une série en six épisodes disponible ce vendredi 28 juin dans laquelle Jonathan Cohen et Gérard Darmon transforment leur boucherie en coffee shop. Le réalisateur de 33 ans est-il devenu en l’espace de quelques années le roi de la stoner comedy made in France?

"Je me suis fait cette réflexion, mais ce n’est pas vraiment mon but. Je ne veux pas faire des films sur le cannabis - mes prochains projets n’auront d’ailleurs pas la drogue en fil conducteur -, mais il y a effectivement une filiation entre les deux projets. Five se demande jusqu’où l’amitié peut aller. Dans Family Business, on se demande comment une famille se reconstruit après la mort de la mère", dit-il en précisant avoir eu l’idée de Family Business avant Five. Il poursuit:

"Je ne sais pas si Five était purement une stoner comedy. Dans la traditionnelle stoner comedy, aux Etats-Unis, les personnages fument et partent dans des trips, comme dans Get Him To The Greek (2010) où la drogue est au centre de l’histoire", commente-t-il, avant de préciser, un peu penaud: "Ça ne me ressemble pas tellement. Je fume de temps en temps, mais je ne suis pas un gros fumeur. J’ai fumé mon premier joint à 30 ans."

Genre fondamentalement américain - qui a donné quelques perles comme The Big Lebowski (1998), Las Vegas Parano (1998), Eh mec! Elle est où ma caisse? (2001) ou encore Pineapple Express (2008) -, la stoner comedy se distingue par un humour absurde, voire burlesque et l'utilisation du cannabis à des fins comiques. Souvent très masculin, ce genre qui offre un miroir déformant de l’Amérique s’articule principalement autour de duos comiques dont les plus célèbres sont les pionniers Cheech et Chong, Harold et Kumar ou encore Seth Rogen et James Franco. 

"C’est un délit qui est plus facile à mettre en scène dans une famille"

Rarement exploitée en France, la stoner comedy a trouvé son public. Depuis le succès des Frères Pétard en 1986 (2,3 millions d’entrées), La Beuze (2003, 1,9 millions d’entrées), Paulette (2012, 1 million d’entrées) et Five (2016, 722.000 entrées) ont su tirer leur épingle du jeu, contrairement à Gangsterdam (2017, 370.000 entrées). Il existe plusieurs raisons à la rareté de la stoner comedy française. La première est culturelle: "Sur plein de sujets, on est très en retard par rapport aux Américains", résume Hervé Palud, réalisateur des Frères Pétard et d'Un indien dans la ville

La seconde raison est générationnelle. Hervé Palud, par exemple, a découvert le classique de la stoner comedy, Faut trouver le joint de Cheech et Chong, après l’écriture des Frères Pétard. Igor Gotesman, quant à lui, appartient à une génération de scénaristes-réalisateurs de comédie, à l’instar de Philippe Lacheau et Franck Gastambide, dont les références sont essentiellement anglo-saxonnes. Tous ont été marqués par les comédies outrancières des frères Farrelly et de Judd Apatow à la fin des années 1990 et au début des années 2000 et tous semblent envier la liberté de ton de leurs cousins américains.

"Les Américains parlent plus crûment [que nous] de milieux auxquels on parle peu", commente Igor Gotesman. "Ils aiment ces comédies fish out of the water: on prend un mec et on le met dans un milieu auquel il est étranger. C’est une bonne base pour construire une histoire. Lorsqu’un mec se retrouve pour la première fois face à un dealer et qu’il n’a pas les codes, cela crée de la comédie de manière assez évidente." Faire aussi une comédie sur le cannabis - souvent associé aux hippies - est plus simple que de tenter de faire rire sur la cocaïne, l’héroïne et la méthamphétamine.

"Là, on entre dans des ambiances plus morbides", confirme Gotesman. "Quand on parle de la légalisation potentielle de la drogue, on ne parle jamais de la cocaïne, mais du cannabis. Même s’il y a des dangers à fumer du cannabis, ces personnages ne vont faire des overdoses ou mourir sur le coup pendant une soirée. C’est un délit qui est plus facile à mettre en scène dans une famille." Dans Family Business, tout le monde participe, de la petite-fille à la grand-mère.

"Philippe de Villiers m’a demandé de couper une réplique"

La série d’Igor Gotesman, dans laquelle jouent aussi Enrico Macias, Liliane Rovère et Julia Piaton, est disponible ce vendredi pour les 150 millions d'abonnés à Netflix à travers le monde. Hasard du calendrier: la série sort plusieurs jours après un numéro de L’Obs consacré à la dépénalisation du cannabis. Si Family Business bénéficie aujourd’hui d’une large couverture médiatique et d’une importante campagne d’affichage dans le métro et les rues, Les Frères Pétard a suscité à sa sortie une grande polémique. 

Le réalisateur Hervé Palud s’en souvient encore aujourd’hui. En 1986, sa comédie avec Gérard Lanvin, Jacques Villeret et Josiane Balasko a en effet subi les foudres du gouvernement de l'époque. Christian Fechner, son producteur, avait pressenti les problèmes à venir malgré son excitation pour le projet. Hervé Palud se souviendra toujours de la réaction de Christian Fechner après lui avoir présenté son idée: "Il m’a dit: 'On va faire ce film sous un gouvernement de gauche mais on va le sortir sous un gouvernement de droite.' Et le film est sorti quatre mois après les législatives pendant la première cohabitation!"

Les ennuis du film commencent quelques jours avant sa sortie, le 15 octobre. Comme toute nouveauté, la comédie passe en commission de censure au CNC. Sans nouvelles, Hervé Palud se renseigne et découvre qu’il y a "un petit problème avec le film": "Ce n’est plus à nous de juger, on va demander au ministre de la Culture", lui fait-on savoir. À l’époque, François Léotard est en charge de la Culture et son adjoint se nomme Philippe de Villiers. Lorsqu’il les contacte pour organiser une projection, Hervé Palud découvre qu’ils ont déjà en leur possession une cassette du film. "Ce qui veut dire qu’ils avaient déjà piraté le film! Ils avaient pris la copie du CNC et en avaient demandé une pour la regarder dans leur bureau", s’étonne encore aujourd’hui le réalisateur. À partir de ce moment, décision est prise de re-convoquer la commission pour statuer sur ce film qui semble déranger:

"J’ai eu au téléphone Philippe de Villiers qui m’a demandé de couper telle ou telle réplique et de raccourcir telle ou telle scène. Il refaisait le film par téléphone! J’ai refusé. On m’a alors dit que j’allais avoir une sorte de section spéciale, une nouvelle commission constituée de représentants (mères de famille, profs, etc.) pour délivrer l’avis de sortie. Ils organisent ça le vendredi soir, soit cinq jours avant la sortie du film [le 10 octobre 1986, NDLR] - on ne savait pas s’il allait sortir! Philippe de Villiers est venu lui-même - c’est de l’ingérence totale - pour faire un speech aux 21 personnes réunies ce jour-là et leur dire que le film était dangereux, qu’il fallait l’interdire."

"J’étais le premier dealer de France"

Malgré l’intervention de Philippe de Villiers, le film est autorisé à sortir. Le dimanche 12 octobre, trois jours avant la sortie, l’affaire n’est cependant pas terminée. Invité de PPDA sur TF1, François Léotard, pourtant frère de l’acteur Philippe Léotard, connu pour ses démêlés avec les substances illicites, se lance dans un plaidoyer pour demander aux parents d’empêcher leurs enfants de voir la comédie immorale qu’est Les Frères Pétard

Ce qui gêne, au-delà du sujet, est son traitement humoristique: "On est sorti quelques années après Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée..., un film très glauque avec une gamine qui se pique à l’héroïne dans des chiottes dégueulasses. Ils aimaient bien ça, car c’était le côté 'regardez la déchéance, regardez ce que fait la drogue'. Ce qu’ils n’aimaient pas dans Les Frères Pétard, c’était le côté ‘youplaboum’, un sujet dramatique traité en comédie." Hervé Palud a été marqué par ces campagnes médiatiques visant son film: 

"On a été tellement culpabilisés. On a été montrés du doigt et j’étais considéré comme le premier dealer de France. Il y avait des articles, c’était épouvantable. On a été maltraités. C’était un gros scandale. Une partie de la presse nous soutenait. Je me souviens que France Soir nous avait défendus. C’était étonnant, car c’était un vieux monsieur, Robert Chazal, un grand critique de cinéma, qui avait bien aimé le film. Le reste, comme Libération, pourtant mes copains, se sont mis à me rentrer dedans. Ils voulaient légaliser et ils me disaient que ce n’était pas comme ça qu’il fallait présenter les choses. Tout d’un coup, eux aussi n’avaient plus d’humour. C’était un sujet très sérieux pour eux." 

Malgré la polémique, le film sort dans 200 salles et devient un des grands succès de l’année, avec plus de 2,3 millions de spectateurs. Depuis, Les Frères Pétard est devenu culte et il a été diffusé une vingtaine de fois en prime-time à la télévision. Et la stoner comedy est revenue sur le devant de l’affiche.

Jérôme Lachasse