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Euphoria, première série pour ados d'HBO: sous le trash, la réflexion

Hunter Schafer et Zendaya, deux des actrices principales d'"Euphoria"

Hunter Schafer et Zendaya, deux des actrices principales d'"Euphoria" - HBO

HBO dévoile ce dimanche le premier épisode d'Euphoria, une série sur les ados qui suscite déjà la polémique. Overdose de sexe, de violence et de drogue: sous l'apparente noirceur du programme, la chaîne dresse un état des lieux intéressant - pour ne pas dire important - de ce à quoi ressemble le lycée à l'heure de Twitter.

Une nouvelle page de l'histoire des séries pour ados s'écrit ce dimanche soir. La chaîne HBO, écrin américain de bijoux télévisuels toujours audacieux, diffuse le premier épisode d'Euphoria. Au programme: des lycéens qui consomment beaucoup de drogues et qui s'essaient beaucoup au sexe.

S'il s'agit d'un événement, c'est parce que c'est la première fois que la chaîne américaine se frotte au teen-drama, un genre en plein retour en grâce. Après visionnage des quatre premiers épisodes (la série en compte huit au total) Euphoria a peut-être de quoi rejoindre un jour le panthéon des classiques de HBO. Le canal à l'origine de shows cultes tels que Sex And The City, Les Soprano ou Game of Thrones propose ici la recette parfaite pour marquer les esprits: du trash pour le buzz et des idées novatrices pour faire date.

Tremblement dans les foyers américains

Parce que les récents teen-dramas rivalisent de noirceur, Euphoria se positionne sur le créneau: cette adaptation d'une série israélienne tourne autour de Rue, lycéenne toxicomane. Après une overdose au cours de l'été et un rapide passage en cure de désintoxication, l'adolescente entame son année de première sans la moindre intention de rester sobre. Autour de ce personnage nihiliste, dépressif et joliment sarcastique interprété par Zendaya, gravite une galerie d'adolescents tout aussi perdus, "qui découvrent l'amour et l'amitié dans un monde de drogues, de sexe, de traumatismes et de réseaux sociaux", pour reprendre les mots d'HBO.

Évidemment, un tel pitch suscite son lot de parents en colère. Tim Winter, président du Parents Television Council, s'est ainsi insurgé contre le fait qu'HBO "vende un contenu adulte et extrêmement explicite - sexe, violence, obscénités et usage de drogues - à des adolescents et des pré-adolescents." La chaîne répond aux critiques dans les colonnes du Hollywood Reporter, assurant que la série "n'est pas sensationaliste juste pour être sensationaliste."

Étant une chaîne du câble, HBO n'est pas soumise aux réglementations strictes du CSA américain. Et Euphoria, en effet, montre les adolescents avec une brutalité encore jamais vue à la télévision US. De mémoire, jamais le genre n'avait par exemple présenté de nus frontaux masculins intégrales. On reconnaîtra cela aux parents fâchés: multiplier les gros plans sur des pénis ne constitue peut-être pas un progrès en soi. Mais Euphoria ne se contente pas de repousser les limites de ce que le petit-écran américain peut montrer. Elle dépasse également de nouvelles frontières dans ce qu'il peut nous raconter.

Comment se droguer peinard

Le premier épisode aurait, il est vrai, de quoi faire paniquer n'importe quel parent d'ado en âge de sortir seul. En l'espace de 50 minutes, le téléspectateur a droit à une ode aux drogues dures, un trip sous acide à vous faire regretter d'avoir toujours refusé les pilules en soirée, et même à un manuel détaillé sur les meilleures manières de fausser un test urinaire. Le tout raconté par un personnage à peine en âge de se demander ce qu'elle fera après le bac.

On peut alors décider d'éteindre son écran et de fermer chastement les yeux sur cet aperçu de la déchéance humaine à la sauce Gossip Girl. Ou l'on peut lancer l'épisode deux, et se rendre à l'évidence: Euphoria est bien plus que ça.

Un peu plus près des ados

Euphoria est une immersion. Dès les premières secondes, la voix-off de Rue et ses apartés face caméra accrochent les téléspectateurs et les guident dans un quotidien désespérant. La série leur présente, comme aucun autre programme du genre, la génération qui a grandi avec un smartphone entre les mains. Pour le meilleur (parfois): elle montre des adolescents ultra-connectés et documentés sur les minorités sexuelles, pour qui les étiquettes perdent en importance. Le genre flou d'un des personnages principaux ne semble être, ici, un sujet pour personne. 

Mais aussi pour le pire (souvent): Euphoria parle de ces adolescents pour qui téléphoner à un ami est aussi facile que rencontrer un inconnu en ligne. Parfois d'âge mûr, parfois mal intentionné.

Elle s'attarde, enfin et surtout, sur ces jeunes qui grandissent dans un monde ultra-sexualisé et qui s'adaptent. Qui recréent par réflexe les gestes vus dans les films porno parce que c'est sur internet qu'ils puisent leur enseignement. Sur ces jeunes filles tellement conditionnées à se considérer comme des objets sexuels qu'elles en perdent la capacité de créer une vraie relation avec un garçon. Qui acceptent des rapports sexuels violents - si violents parfois que le téléspectateur voudra détourner les yeux - parce que personne ne les a informées qu'une alternative est possible.

Nudes ou pas nudes, telle est la question

Seule HBO, grâce à la liberté dont elle bénéficie, pouvait évoquer des sujets si délicats. Et peut-être était-elle la seule à pouvoir le faire avec tant de subtilité, dans une absence totale de jugement, sans jamais appuyer trop grossièrement sur ce qu'elle veut nous dire. Elle pousse aussi à la réflexion. Quand les photos de nu d'une adolescente commencent à circuler sur plusieurs smartphones, Euphoria demande: doit-on blâmer l'inconséquence de la jeune fille, ou la société qui a fait des photos sexy une incontournable "monnaie de l'amour"?

À cela s'ajoute plusieurs bons points majeurs. D'abord, un casting sans faute: une bande de jeunes acteurs prometteurs qui insufflent juste ce qu'il faut d'insolence et d'humanité à leurs personnages pour obliger le téléspectateur à s'y attacher tout en s'agaçant. Ensuite, les jolies surprises que réservent les protagonistes; même lorsqu'ils sont caricaturaux (le footballeur bête et méchant, le clan des filles populaires) les personnages sont toujours plus compliqués qu'il n'en ont l'air. Enfin, une réalisation audacieuse et toujours étonnante, qui offre parfois des images splendides.

Une série pour qui? 

Se pose, malgré tout, la question du public auquel s'adresse Euphoria. OCS, qui diffusera le programme en France dès lundi, l'a interdite aux moins de 16 ans. Une série pour ados interdite à ces derniers est-elle toujours une série pour ados? La réponse semble évidente: Euphoria sera le plaisir proscrit que s'accorderont les lycéens sur leurs tablettes numériques, à l'abri du regard désapprobateur de leurs parents. Elle ravira aussi les jeunes adultes pour qui le souvenir des errances de jeunesse reste vivace. Et, plus largement, tous ceux qui affectionnent les séries qui font la part belle à la psychologie de leurs personnages.

Avec, au milieu de cette noirceur, l'espoir d'une fin heureuse et l'envie de vivre qui caractérise les années lycée. On a du mal à déterminer où se situe cet optimisme inné dans cette intrigue si sombre. Pourtant, il est bien là, tapi dans l'ombre de montagnes de problèmes existentiels. Exactement comme dans la tête des adolescents.

Benjamin Pierret