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BD culte, blockbuster et maintenant série Netflix: la folle histoire du Transperceneige

Le Transperceneige

Le Transperceneige - Casterman

Imaginé dans les années 1980, Le Transperceneige après son succès au cinéma revient en BD et en série sur Netflix. Rencontre avec son dessinateur Jean-Marc Rochette, dont la vie est aussi mouvementée que l’histoire de cette BD culte.

BD culte transposée avec succès au cinéma et adaptée en série sur TNT et Netflix, Le Transperceneige a eu une vie mouvementée. Comme son dessinateur Jean-Marc Rochette, qui a échappé à la mort en montagne à 20 ans, la série BD lancée en 1982 a traversé les âges malgré les drames et les échecs. Selon Rochette, une malédiction plane autour du Transperceneige.

Une malédiction devenue avec le temps une bénédiction: "Il faut passer à travers des épreuves… Pour l’instant, il y a quand même eu un mort au début, Alexis [le dessinateur d’origine, NDLR], puis un deuxième, Jacques [Lob, le scénariste], qui n’aura jamais vu son succès planétaire". Pris d'une fièvre créatrice depuis le triomphe du film Snowpiercer de Bong Joon-ho en 2013, Rochette s'est replongé dans cette saga où l’humanité tente de survivre en pleine ère glaciaire dans un train lancé à toute vitesse.

Rochette revient le 15 mai avec deux BD réalisées coup sur coup: Le Loup, récit de la cohabitation entre les bergers et les animaux, et Extinctions, prologue du Transperceneige où l’humanité s’autodétruit dans une apocalypse nucléaire. "Ces deux albums ne sont pas si éloignés l’un de l’autre: ce sont des plaidoyers écologistes", explique ce militant anti-nucléaire de la première heure qui a récemment découvert qu’un mouvement écologiste radical porte un nom similaire à celui du nouveau Transperceneige: Extinction Rébellion.

"Les Français sont tous morts"

Avec le succès de Snowpiercer, l’histoire du Transperceneige est devenue universelle. Ses protagonistes aussi. Les Chinois et les Américains sont au cœur de l’intrigue. Les Français, eux, "sont tous morts" après avoir "laissé marcher leurs centrales", révèle Rochette. "Et 54 centrales qui pètent en même temps..." Avec l’apocalypse, les couleurs chaudes signées José Villarrubia vont disparaître. Dans les prochains tomes, elles basculeront vers le noir et blanc pour retrouver l’ambiance du monde désolé et glaciaire des premiers albums.

Les deux nouvelles BD de Jean-Marc Rochette
Les deux nouvelles BD de Jean-Marc Rochette © Casterman 2019

Malgré un récit pessimiste et un style graphique brut, "Le Transperceneige est un des rares bouquins dessinés comme ça qui se vend à 20.000 exemplaires, voire à 100.000 pour le premier", précise Rochette. Il a cependant un peu adouci son trait dans Extinctions pour se rapprocher de l’esthétique des comics et "capter un public qui a du mal avec mon travail". Il a désormais un public international à contenter: "Le film a tout changé", confirme-t-il. "On est passé d’un bouquin qui allait disparaître à une série publiée sur la terre entière." Pour remercier le réalisateur Bong Joon-ho, il l’a représenté dans Extinctions sous les traits de Zheng, le créateur du Transperceneige.

Attendue pour 2020, la série TV Transperceneige suscite la curiosité aux Etats-Unis - et la BD en profite: "Chez tous les geeks américains, Extinctions est annoncé", s’amuse Rochette. "Je ne comprends pas pourquoi il y a une telle attente. Le style doit parler aux Américains. Le propos tombe au bon moment." Chapeautée désormais par Graeme Manson, le co-créateur d’Orphan Black, la série a rencontré diverses infortunes.

Le réalisateur du pilote, Scott Derrickson, a quitté le navire en juillet 2018, six mois après le showrunner d’origine, Josh Friedman. "Même le producteur [de la série TV] m’a dit qu’à un moment il a pensé qu’il allait perdre sa place...", commente Rochette. "Il a eu peur que la série se plante. C’est un enjeu énorme. Le type s’est pris la malédiction du Transperceneige dans la gueule." Est-ce à cause de ces épreuves que le ton de la BD est si dur? “Je ne sais pas…", soupire le dessinateur qui a achevé le quatrième volet, Terminus, avec une double fracture du coude. Même Extinctions, co-écrit avec le pro du thriller en BD, Matz, a été conçu dans la douleur: "Je me suis dit à un moment qu’on n’allait pas y arriver."

"C’est presque un conte de Noël"

Malgré les épreuves, Rochette a toujours triomphé, seul garant de la cohérence de la série depuis la mort du scénariste d’origine Jacques Lob. Depuis 1982, il a été contraint de changer de collaborateur à chaque tome. Après un épisode onirique avec Benjamin Legrand en 2000, il publie en 2015 Terminus, un récit co-écrit avec Olivier Bocquet où il évoque les flux migratoires, les camps de rétention et le transhumanisme. Avec Matz, il prépare les trois tomes d’Extinctions qui doivent raccrocher les wagons à l’histoire imaginée par Lob.

Si elle lui doit beaucoup, la vie de Rochette ne tourne pas entièrement autour du Transperceneige. En pleine conception du deuxième tome d’Extinctions, il a écrit Le Loup. L’histoire lui a été inspirée par une attaque de loups dont a été victime un de ses voisins: "25 ou 26 de ses brebis étaient agonisantes et il a dû les tuer. Il devait s’occuper des cadavres. Il y avait une forte puanteur, car il n’y avait pas assez de charognards. C’était sidérant. Je me suis dit que c’était un western." Et qu’il y avait là un bon début de BD.

Portée par cette histoire, il a écrit et dessiné l’album en l’espace de quatre mois: "Je n’ai jamais fait ça aussi vite. Quand l’histoire est sortie, elle m’a plu. J’ai trouvé qu’elle avait un sens, que c’était déjà un classique avant de l’avoir fait. Ça m’a fait penser au Vieil homme et la mer d’Hemingway." Avec des couleurs irréelles signées Isabelle Merlet, Le Loup est l’antithèse d’Extinctions, un conte positif abordant un véritable sujet de société.

Si Rochette dénonce dans Extinctions les tares de l'humanité et imagine le pire, il plaide dans Le Loup pour une cohabitation entre l’animal et l’individu. Selon lui, Le Loup peut même plaire aux enfants: "C’est dur, et en même temps ça se finit bien. C’est presque un conte de Noël." Preuve que même le nihilisme de l’auteur du Transperceneige peut apporter le bonheur à l’humanité.

Le Transperceneige - Extinctions, Jean-Marc Rochette (dessin, scénario), Matz (scénario) et José Villarrubia (couleurs), Casterman, 96 pages, 18 euros.

Le Loup, Jean-Marc Rochette (dessin, scénario), Isabelle Merlet (couleurs), Casterman, 112 pages, 18 euros.

Jérôme Lachasse