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Maggie Rogers: "Je me sens vraiment portée et protégée par mon public"

Maggie Rogers

Maggie Rogers - Olivia Bee

La chanteuse américaine vient de sortir son premier album, trois ans après avoir été propulsée sur le devant de la scène par une vidéo. Pour BFMTV.com, elle revient sur ces années de doute et sa carrière naissante.

Maggie Rogers n’est plus une sensation du web. Trois ans après la vidéo YouTube qui l’a rendue célèbre du jour au lendemain, la chanteuse de 24 ans est en train de parcourir les scènes d’Europe, entre deux séries de concerts nord-américains.

C’est un court document posté par son école de musique qui l’a révélée au yeux du monde. Pharrell Williams y donnait un atelier et écoutait les compositions des étudiants. En entendant la démo de Maggie Rogers (qui deviendrait, ensuite, son premier single Alaska), le très influent producteur s’était confondu en compliments. Le coup de projecteur, plus ou moins consenti, est venu avec son lot de doutes: Maggie Rogers a failli tout arrêter.

Finalement, elle a pris la décision de s’accrocher. Sa tournée actuelle, c’est pour défendre son premier opus, Heard It In a Past Life, sorti le 18 janvier chez Capitol. Un disque difficilement classable, entre folk, pop et sonorités électroniques. Le fruit des nombreuses influences de la chanteuse. BFMTV.com l’a rencontrée jeudi, à la veille d’un concert parisien à la Gaîté Lyrique. Elle s’est confiée sur son nouveau disque, sur les troubles occasionnés par une notoriété trop soudaine et sur sa jeune carrière, qu'elle n'aurait jamais cru si florissante.

BFMTV.com: "Est-ce que vous reconnaissez votre style, lorsque l’on vous qualifie d'artiste pop-folk?"

Maggie Rogers: "Je pense que les gens me disent folk parce que j’ai les cheveux longs. J’ai des influences folk, mais j’ai aussi joué dans un groupe punk et j’ai fait du DJing pendant longtemps. Je ne pars pas avec l’intention de faire un genre de musique particulier, je fais simplement des choses que j’aime. Je ne sais pas comment appeler le résultat. Je pense que les genres existent simplement pour vendre la musique".

"Vous avez vécu six mois à Paris, en 2015. Vous avez dit que c’est ici que vous avez découvert la dance music. Que s’est-il passé, et comment cette expérience a-t-elle changé vos compositions?"

"Je faisais de la folk et du rock. J’ai rendu visite à des amis à Berlin et nous avons été danser. À New York, aller en boîte voulait dire porter une robe cintrée et des talons et ça ne m’a jamais intéressée. Quand j’ai été (danser à Berlin), j’ai senti que tout le monde était très respectueux de l’espace de chacun. Je n’avais pas le sentiment qu’on essayait de me toucher (…) C’était comme un beau relâchement. Et j’ai enfin compris l’importance du rythme, et à quel point c’est humain.
J’ai grandi en jouant du banjo; pour moi, la musique électronique, c’était le dubstep. Je ne comprenais pas à quel point le rythme est important dans la funk, ou la soul. En rentrant à Paris, j’ai cherché d’autres endroits où danser. Et j’ai décidé que la prochaine musique que je voulais faire serait une musique qui permettrait de libérer le plus d’émotion. Pour cela il faut combiner écriture et composition sensible avec du rythme".

"Vous avez beaucoup parlé des difficultés que vous avez rencontrées après la sortie de cette vidéo avec Pharrell Williams. Qu’est-ce qui a été dur à vivre durant cette période?"

"C’était très rapide, et très grand. Tout à coup, j’étais sur les chaînes locales et sur CNN.com. Aussi, je n’avais pas donné d’autorisation pour que cette vidéo soit diffusée. C’était un moment privé, j’étais à l’école, je travaillais sur mon projet, la chanson n’était même pas finie et soudain c’était sur Internet. Ma vie est devenue très publique et je n’ai plus eu aucun contrôle. Les gens voulaient toujours me parler, ou avaient des a priori sur moi, certains pensent même que je n’ai pas écrit cette chanson. Encore aujourd’hui, des gens viennent à moi pour me dire 'J’adore cette chanson que Pharrell a écrite pour toi'.
Alors je me suis enfuie. Je suis allée dans les montagnes dans le sud de la France puis en Malaisie pour voir ma sœur. Le jour où le single d’Alaska est sorti, j’étais dans l’avion. Quand je suis rentrée, j’ai repris ma vie en main, j’ai sorti un EP et j’ai passé les deux années suivantes à essayer de m’adapter. Et puis j’en ai fait un album".

"Avez-vous pensé à tout arrêter?"

"Complètement. Il y beaucoup de vie publique, beaucoup de célébrité, et ça ne m’intéresse pas du tout. Plein de fois, j’étais en coulisse avant d’entrer en scène pour un gros concert et je me disais 'Si je me faufilais par la porte de derrière et que je m’en allais je pourrais probablement travailler dans une librairie, faire de la musique de manière indépendante et la poster sur Internet'. C’est pour ça que je suis si fière de l’album. C’est une manière de me présenter pour la première fois comme j’en ai envie, et raconter cette histoire pour la première fois à ma manière".

"Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis?

"Je ne sais pas s’il y a eu de moment décisif. J’étais effrayée et submergée, et puis j’arrivais sur scène et la musique devenait tout. Et rencontrer les gens, entendre leurs histoires sur ma musique qui compte pour eux (…) À chaque fois que ça devenait trop, j’arrivais sur scène et je savais que c’était là que j’avais envie d’être. C’est comme si la musique prenait la décision pour moi".

"Et ces deux ans et demi sont le temps qu’il a fallu pour que la musique s’impose?"

"Tout le monde dit que j’ai passé beaucoup de temps sur l’album mais je l’ai fait en quatre mois. (Avant ça), j’étais en tournée et je donnais des interviews. Si je n’ai pas fait l’album avant c’est parce que je travaillais. Je n’avais pas le temps d’intégrer les choses et je ne pense pas qu’on fasse du bon art en se forçant. J’avais besoin de temps pour réfléchir à tout ce qui était arrivé et ce que je voulais en dire.
C’est aussi important de savoir que les deux ou trois ans après la fin des études, c’est fou pour tout le monde. C’est une période charnière de la vie. Et je l’ai traversée de manière très publique".

"Le 19 février, Florence Welch (la chanteuse de Florence and The Machine, ndlr) vous a rejointe sur la scène de votre concert à la Brixton Academy de Londres. Comment ça s’est organisé?"

"J’adore son travail et j’ai énormément de respect pour elle. Elle me suivait sur Instagram et le concert était proche de l’endroit d’où elle est originaire. Alors je lui ai simplement envoyé un message privé, en lui disant 'Hello, je sais que ça ne sort de nulle part, je suis Maggie, est-ce qu'à tout hasard ça te dirait de chanter avec moi?' Elle m’a répondu: 'Ouais, à quelle heure sont les répétitions?'"

"Vous l’avez décrite comme votre 'grande sœur musicale'…"

Nous avons discuté dans ma loge et c’était comme une sœur que je n’aurais pas vue depuis longtemps. Ça a matché immédiatement. Elle me faisait essayer des habits, on discutait de ce que j’allais porter le soir (sur scène), et nous nous sommes simplement très bien entendues".

Vous êtes en tournée en Europe, vous vous êtes récemment produite sur les prestigieuses scènes du Saturday Night Live et du talk-show d’Ellen DeGeneres. Que ressent-on lorsqu’on donne ce genre de prestations ?

La tournée est folle. Je fais des tournées depuis des années mais je n’ai jamais été face à des fans qui pouvaient connaitre toutes les chansons du concert. C’est une expérience totalement différente de partager ça. Si je me sens aussi à l'aise tout en faisant une musique si vulnérable, c’est parce que je me sens vraiment portée et protégée par mon public. C’est fou, d’être musicien. Vous couchez vos moments les plus douloureux sur papier puis vous les revivez chaque nuit. Mais le faire dans un contexte où chacun est si ouvert et présent… ça m’aide à croire les plus belles choses sur l’humanité. C’est la chose la plus cool que je n'ai jamais vue. Je me sens vraiment chanceuse de connaître ça.
Quand au SNL et à Ellen DeGeneres, ça dépasse de loin mes rêves les plus fous. Je n’aurais jamais cru que les choses prendraient cette tournure. Mon seul objectif dans la musique était de jouer dans une salle new-yorkaise, le Bowery Ballroom, qui a une capacité de 600 spectateurs. Et je l’ai fait il y a deux ans. Après ça, tout est du bonus. Après toute cette période où je me suis sentie stressée et submergée, où j’ai réfléchi à ce que je voulais faire, je crois que maintenant je profite. Et c’est vraiment très agréable.

Propos recueillis par Benjamin Pierret