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Entre musique et réseaux sociaux: Bilal Hassani, artiste millenial et engagé

Bilal Hassani

Bilal Hassani - Crédit: Fifou

Chanteur, YouTubeur et sérieux candidat pour représenter la France à l'Eurovision, Bilal Hassani est un phénomène auprès des jeunes connectés. Rencontre avec un artiste qui manie Twitter et Instagram à la perfection et qui, à grands coups de lol, diffuse des messages tout sauf anodins.

Pas de perruque et (presque) pas de maquillage. Ce lundi après-midi de janvier, deux jours après son triomphe lors de la première demi-finale de Destination Eurovision, Bilal Hassani a abandonné les accessoires qu'il affectionne. En poussant les portes de Low Wood, son label situé dans le nord de Paris, il est accueilli par les applaudissements de l'équipe. Émilie Sattonnet, moitié du duo Madame Monsieur avec qui il a co-écrit le titre qu'il défend, lui remet gracieusement un bouquet de fleurs. Le regard du chanteur de 19 ans est peut-être un brin tiré par la fatigue mais son sourire, que ses nombreux abonnés sur les réseaux sociaux connaissent bien, est toujours là.

Bilal Hassani, comme 17 autres artistes, a été sélectionné pour participer au pré-concours de France 2. Le chanteur a gagné haut la main sa place pour la finale aux côtés de 4 autres chanteurs: son titre Roi a convaincu le public et le jury international et s'est retrouvé en tête du classement. Dans deux semaines, ils seront 8 à se mesurer: le gagnant représentera la France à l'Eurovision en mai prochain à Tel Aviv.

Quarante-huit heures après cette première étape, il reprend à peine ses esprits: "Je commence légèrement à atterrir. J'étais bien sur mon petit nuage, mais redescendre m'aide à me concentrer très rapidement sur la suite." Prudent, il ajoute: "On n'a encore rien gagné." Malgré tout, ce jeune fan du concours de chant touche du doigt un espoir d'ado: 

"Me dire que je suis en train de goûter à ce rêve, que je regarde et que j'admire depuis tant d'années, de pouvoir essayer de vivre l'expérience moi-même, c'est un truc de fou", s'émerveille-t-il avec la spontanéité qui fait son succès auprès des jeunes internautes.

Pas d'album, beaucoup de fans

Car Bilal Hassani n'est pas seulement chanteur. Ce pur produit de la génération millenials est devenu un phénomène du web grâce à une chaîne YouTube qui compte près de 730.000 abonnés. Sans aucun album à son actif, ses vidéos cumulent 58 millions de vues et sont autant de fenêtres sur son art et sur sa personne. Ses reprises et ses morceaux originaux côtoient les récits de ses mésaventures personnelles, de peines de coeur en tests de maquillage.

Sa force, c'est aussi une féminité assumée et une homosexualité décomplexées, dans un paysage audiovisuel encore très consensuel. Le tout dans un langage partagé par une jeunesse ultra-connectée, bercée par les réseaux sociaux et la pop-culture anglo-saxonne: chez Bilal Hassani, on n'admire pas, on "stan". On n'est pas choqué, on est "shook". Surtout, il entretient des liens très étroits avec une communauté qui le soutient tant dans ses aspirations musicales que pour ce qu'il est.

Coups de pouce de Aya Nakamura et Amel Bent

Tout n'était pourtant pas gagné pour celui qui était "nul en réseaux sociaux" il y a quelques années, de son propre aveu. À l'époque, l'adolescent avait simplement un compte fan sur Twitter qui lui permettait de suivre ses idoles: Nicki Minaj, Beyoncé, One Direction ou encore Nick Jonas. Après un passage par The Voice Kids, à l'âge de 14 ans, ses amis lui conseillent d'ouvrir une chaîne YouTube. Il se lance en 2016:

"L'idée, c'était de dire: vous vous souvenez peut-être de moi dans The Voice Kids", se souvient-il. "Maintenant je vais vous montrer qui je suis vraiment, pour que vous en sachiez plus sur moi."

La sauce prend très vite: 50.000 abonnés le rejoignent en un mois et demi, suivis de 10.000 par semaine. Si bien qu'il acquiert une renommée internationale (il explique converser aujourd'hui avec des abonnés du Maghreb, du Canada, des États-Unis ou encore du Ghana) et bénéficie de coups de pouces inattendus: les chanteuses françaises Aya Nakamura et Amel Bent, ainsi que l'Américaine Janet Jackson ont relayé ses contenus sur leurs propres comptes.

Comment expliquer une telle résonance? Bilal Hassani a plusieurs hypothèses: d'abord, le fait que peu de YouTubeurs français alliaient à l'époque lifestyle et musique. Ensuite, la proximité particulière qu'il entretient avec ses fans: "J'ai un rapport très chill (détendu, ndlr) avec les gens qui me regardent. Quand vous regardez ma vidéo, c'est comme si on était en train de se faire un Skype." Il se félicite d'avoir créé une relation fusionnelle avec sa communauté : "Je les considère vraiment comme mes potes."

"J'ai appris à parler, marcher et danser en même temps"

Porté par une telle armée, Bilal Hassani est le grand favori de cette compétition. Celui qui est né et à grandi en Essonne travaille la danse et le chant depuis son plus jeune âge: "J’ai appris à parler, marcher et chanter en même temps", raconte-t-il. Dès l’âge de 8 ans, il prend des cours de piano, de guitare, de danse classique, de théâtre et de chant.

À 13 ans, il intègre une école de comédie musicale parisienne qui lui permet d’allier cursus classique et apprentissage artistique. Et depuis quelques années, il a publié plusieurs titres originaux auto-produits sur Internet, comme Follow Me ou Shadows.

Très pris par YouTube et une carrière musicale qui prend de l’ampleur, il a dû abandonner la fac où il était inscrit en première année de licence d'anglais. Mais son ambition est d'"être chanteur de métier". Il prépare un premier album pour le mois d'avril prochain. Au moins 10 titres, tous des inédits.

Un coming-out pour être "100 % lui"

De toutes ses compositions, il y en a une qui revêt une signification particulière. Le 23 juin 2017, la veille de la marche des fiertés parisienne, Bilal Hassani publie Hold Your Hand sur YouTube. Une ballade en piano-voix dans laquelle il fait son coming-out médiatique, à seulement 17 ans:

"Je n’ai pas trop réfléchi", nous explique-t-il. "Je me rendais compte de la relation que j’avais créée avec les gens qui me suivaient, qui était tellement honnête. J’en avais parlé avec tous mes potes et avec toute ma famille, je pouvais leur en parler aussi."

Quelque temps après viennent les perruques, qu’il a toujours portées en privé mais qu’il hésitait à afficher sur le Web: "Quand j’avais 5 ans, c’était les torchons ou les serviettes de plage que je mettais sur ma tête", nous raconte-t-il, montrant pour preuve un selfie daté de 2013 sur lequel il arbore une longue chevelure blonde. "Présenter ça à tout Internet, ça prend plus de temps. Quand je l’ai fait, c’était très satisfaisant pour moi. Aujourd’hui, je sens que je suis vraiment moi, à 100 %."

"Je n'en porte pas toujours, parce que je ne m’enferme pas dans un personnage", poursuit-il. "Je suis un être humain et tous les êtres humains ont des goûts. Ça dépend de mon humeur." Impossible, en revanche, de s’en passer sur scène: "C’est ma cape de super-héros."

"Encore plus de haine"

Et sans vraiment l’avoir anticipé, le jeune YouTubeur vient en aide à ses fans: "Aujourd’hui encore, des abonnés viennent me voir pour me dire qu’ils ont fait écouter Hold Your Hand à leurs parents pour leur annoncer (leur homosexualité). C’est un truc de malade", lâche-t-il avec fierté.

Mais l’exposition a un prix. Le chanteur fait régulièrement l’objet de commentaire insultants, qui ont redoublé d’ampleur depuis qu’il porte ses perruques dans ses vidéos.

En novembre dernier, le cyberharcèlement homophobe prend une tournure encore plus inquiétante. Après la publication de la vidéo d’un show-case, il fait l’objet de menaces de mort teintées d’apologie du terrorisme: "Salah Abdeslam, jamais là quand il faut" ou "Vivement que t’ailles en boîte de nuit à Orlando frérot. Tu verras, c’est le feu" pouvait-on notamment lire sur la Toile, comme le rapportait Komitid. Bilal Hassani publie une vidéo sur le sujet et reçoit le soutien de deux députés, relayés par Têtu. Les deux élus interpellent Twitter afin de demander plus de réactivité face aux messages haineux.

Cette fois-là, Bilal Hassani a porté plainte. "Ce n’est pas toujours facile", admet-il. Au lendemain de Destination Eurovision, qui a amplifié son exposition médiatique, il a vécu deux heures "horribles" à lire ce que l’on disait de lui sur la Toile. "C’est encore plus de gens, donc c’est encore plus de haine. (...) J’en ai parlé avec ma maman (qui est apparue plusieurs fois dans ses vidéos), on a eu une discussion et maintenant je suis de retour sur mon petit nuage de positivité."

Face au cyberharcèlement, c’est une fois encore dans sa transparence qu’il puise sa force: "J’ai décidé d’accepter le fait que ça fasse mal (…) Parfois j’ignore mais j’en parle autour de moi, parfois je réponds de manière sérieuse pour essayer de calmer le jeu, et parfois je l’aborde avec humour."

Ouvrir la porte à une conversation

Son identité queer revendiquée, ses prises de parole contre le fléau des insultes numériques et pour l’acceptation de soi et des autres en font une figure de la cause homosexuelle. Têtu, dans son dernier numéro, a même fait de lui l’une des "30 personnalités LGBT qui font bouger la France". Parce qu’il s’assume et qu’il fait naître le débat là où il doit avoir lieu:

"Après mon passage à Destination Eurovision, j’ai lu beaucoup de commentaires de gens qui m’ont dit que ça les a aidés, parce qu’ils ont regardé en famille. Ça crée une petite gêne, mais ça ouvre la porte à une conversation sur ce sujet-là, pour savoir où les parents se positionnent. Ce qui a été montré à la télévision en prime-time sur France 2 on le voit très rarement. Je trouve que c'est génial."

S’il n’est pas sûr de se sentir l’âme d’un porte-parole ("C’est une énorme responsabilité", confie-t-il), il n’hésite pas à se servir de sa propre expérience pour guider ses abonnés, relevant toujours son propos d’une dose d'humour. À l’issue d’une vidéo dont le titre annonce plutôt des frivolités ("J’ai volé le copain de ma meilleure amie!"), il délivre un message d'émancipation à ses abonnés, les encourageant à ne pas se sous-estimer:

"Pour toutes les jeunes personnes qui regardent mes vidéos et qui sont dans la communauté LGBTQI+: vous vous retrouvez parfois dans des affaires où des gens perdus dans leur sexualité vont essayer de jouer avec vous, pour tester. Refusez (…) Il ne faut pas qu’on soit évalués, vus, perçus de cette manière. On est des individus comme tous ces autres-là, et on mérite de vivre une histoire d’amour normale."

Son objectif reste surtout de s’adresser au plus grand nombre. Aux jeunes mais aussi "aux mamans qui ont des enfants 'atypiques'" ("entre guillemets", précise-t-il), et même à ceux qui "rentrent complètement dans le moule". Son titre Roi, qui parle d’acceptation de soi, a trouvé un écho inattendu: "Des gens m’ont dit 'J’avais du mal avec tes vidéos, et avec la chanson j’ai arrêté d’essayer de comprendre pourquoi tu étais comme ça. Je me suis fait au fait que tu es toi et je suis moi. Et on s’en fiche'."

"On est nous et c’est tout"

Bilal Hassani est à l’image de ceux qu’ils représentent. Une génération biberonnée au Web, forte de la voix que lui confère Twitter, ultra-consciente des discriminations et de l’injustice sociale et toujours prompte à les dénoncer:

"Ce qui est cool avec la nouvelle génération, c’est qu’on commence vraiment à s’émanciper de toutes cases et de tous codes. (…) On se montre, on parle, on ouvre la conversation et on fait du bruit, mais que du bruit positif. On ne balance que des good vibes", estime-t-il avec optimisme.

Toujours inclusif, il ajoute "Et pas que la communauté LGBTQI. Les personnes issues de minorités ethniques, les personnes qui ne se sentent pas à leur place par rapport à leur poids, les mecs hétéros qui voudraient porter du maquillage: ce qui est beau c’est qu’on arrive dans un moment où on commence à dire fuck; on est nous et c’est tout."

Si accompagner un mouvement général vers un monde plus ouvert aux autres semble être le projet à long-terme, gagner Destination Eurovision est l'objectif le plus urgent. Samedi, neuf autres candidats s'affronteront pour la deuxième demi-finale, et Bilal Hassani ne sera que spectateur. "Je regarderai l'émission à la maison", nous dit-il. On se doute que son smartphone ne sera pas bien loin.
Benjamin Pierret