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Dylan, Prince, Polnareff: ces albums enregistrés en isolement

L'album de Bob Dylan "Basement Tapes", enregistré dans une cave.

L'album de Bob Dylan "Basement Tapes", enregistré dans une cave. - Bob Dylan - Columbia

Partout sur la planète, les individus sont appelés à rester chez eux. Une situation qui a inspiré plus d'un artiste, par le passé. Tour d'"horizon" de ces albums composés ou enregistrés loin du monde.

Ces dernières semaines, devant l'avancée du coronavirus, le monde entier rentre chez soi comme on rentre dans sa coquille. Prudence et isolement sont de mise pour freiner la diffusion du fléau. Ce (quasi) huis clos a quelque chose d'angoissant pour la plupart d'entre nous. Mais, comme chacun l'a sans doute découvert lors d'une heure d'ennui, vivre en reclus libère du temps. Au point que certains artistes choisissent parfois de prendre du champ, de se claquemurer pour tirer une œuvre de cette intimité resserrée.

L'univers de la musique a connu de nombreux accouchements en solitaire. BFMTV.com vous propose un palmarès de ces albums nés du confinement et qui, peut-être, vous aideront à mieux passer le vôtre.

  • Les Basement Tapes de Bob Dylan: le rock descend à la cave 

Le 27 mai 1966, Bob Dylan clôt, à Londres une tournée mondiale qui l'a amené à parcourir les Etats-Unis, l'Australie et l'Europe. L'ancien jeune premier de la folk a délaissé les épaisses chemises de travailleur, les chansons engagées et les airs traditionnels pour les costumes cintrés et les instrumentations électriques du rock. Il vit à 100 à l'heure et ni ses Ray Ban Wayfarer ni sa tignasse frisée, ne parviennent plus à masquer ses excès de produits en tous genres transparaissant jusque dans sa voix qui n'a jamais été aussi traînante.

A l'été, il revient aux Etats-Unis éreinté... pour découvrir que son manager lui a encore collé une nouvelle série de concerts. Le matin du 29 juillet 1966, il fonce à toute berzingue sur sa Triumph près de sa propriété de Woodstock, dans l'Etat de New York, et en perd bientôt le contrôle. Ce mystérieux accident qui semble lui avoir abîmé les vertèbres excite depuis les spéculations des fans. L'heure du repli a sonné pour Bob Dylan et celui-ci ne reprendra le chemin de la tournée qu'en 1974, élevant dans l'intervalle ses enfants avec son épouse, Sara. Il ne reste pourtant pas inactif et il publie bientôt deux disques orientés country puis deux albums pop. 

Mais c'est une autre tentative, initialement clandestine, qui entre dans la légende. Son ex-accompagnement de tournée, le groupe The Band, s'installe dans une maison voisine de la sienne, surnommée Big Pink à cause de la peinture de la façade. C'est dans la cave de cette bâtisse que Bob Dylan et le Band vont taper le bœuf entre juin et septembre 1967. Ces séances circulent bientôt sous la forme d'un enregistrement pirate avant d'être remixées et mises en vente officiellement par Columbia en 1975, sous le titre de The Basement Tapes (Les Bandes de la Cave, en français). Parmi les titres retenus, on remarque par exemple You Ain't Goin' Nowhere, dans une version, ci-dessous, plus tardive. A noter que le Band gravera son propre album au même endroit: Music From Big Pink

  • Exile On Main Street: les Rolling Stones transpirent un album sur la Côte d'Azur 

L'exemple le plus célèbre de notre liste commence par une bizarrerie: il y eut un jour, à l'aube des années 1970, où les Rolling Stones se sont réfugiés en France pour fuir leurs ennuis fiscaux au Royaume-Uni. Si Mick Jagger pense d'abord traîner ses guêtres à Paris, tous rallient bientôt la villa louée par Keith Richards à Villefranche-sur-Mer, pas loin de Monaco: la villa Nellcôte.

En plus des membres du groupe, le cortège azuréen emmène producteurs, ingénieurs du son, musiciens de session, compagnes... et hélas dealers. Car les Rolling Stones (surtout Keith Richards) et leur entourage sont désormais dans le dur côté drogues et contractent de détestables habitudes qui les suivront des années durant. C'est au milieu de ces vapeurs qu'ils réussissent toutefois à sortir Exile on Main Street, qu'on peut traduire librement par Exil au centre-ville, lors du printemps et de l'été 1971.

Loin de leurs bases anglaises, cloîtrés dans cette propriété par les poudres opiacées et la pression de policiers qui ne sont pas dupes du manège agitant l'intérieur, les Stones enregistrent leur dixième et unique double-album dans des conditions difficiles dans le sous-sol de la villa. La chaleur et la moiteur les suffoquent et désaccordent les guitares sans cesse, les obligeant à tenter leur chance la nuit. Mick Jagger est plus occupé par son mariage avec Bianca Perez Morena de Macías que par la musique et les produits transforment les enregistrements en rendez-vous chaotiques et irréguliers. Ils achèveront finalement la production aux studios Sunset Sound Recorders de Los Angeles. Le disque, qui sort en mai 1972, porte de nombreux classiques ou joyaux méconnus des Rolling Stones, dont le célèbre Shine A Light, le surexcité Rocks Off ou encore le poisseux Ventilator Blues qui viendra peut-être apporter sa soufflerie à votre atmosphère confinée. 

  • Herœs de David Bowie: fuir, toucher le fond et remonter à la surface 

Au mitan des années 1970, David Bowie est une fringante épave. Finie l'époque où il incarnait l'alien Ziggy Stardust, mais il n'est pas redescendu sur Terre pour autant. Il absorbe tant de cocaïne qu'il dira plus tard avoir tout oublié de la composition et de l'enregistrement de son album Station To Station en 1976. Cherchant le salut, il quitte dans la foulée Los Angeles où il résidait et s'envole pour l'Europe, Suisse dans un premier temps, puis Berlin. 

Son assistante lui trouve un appartement sur la Hauptstrasse dans le quartier de Schöneberg. Là, il vit avec le chanteur des Stooges, Iggy Pop, et travaille entre autres avec Brian Eno, ancien membre de Roxy Music. L'écrivain canadien, Rory MacLean, a raconté dans le Guardian en 2016 les scènes auxquelles il a assisté, lui qui fréquentait alors David Bowie: les virées suicidaires en voiture, les sorties en boîte de nuit, les huées des spectateurs allemands irrités de voir David Bowie débarquer sur l'estrade d'un cabaret pour y entonner du Frank Sinatra, eux qui étaient venus pour un tout autre spectacle. 

L'expérience berlinoise inspire trois albums à David Bowie: Low (enregistré principalement au château de Hérouville en France), Herœs (aux Hansa Studios avec vue sur le Mur de Berlin) et enfin Lodger (de facture américaine pour l'essentiel). En-dehors de l'incontournable chanson éponyme, le cadet de la fratrie, peut-être le plus difficile d'accès, recèle de nombreuses prouesses dont Blackout

  • From The Inside d'Alice Cooper: une icône dévoile son intimité 

Avec son maquillage et ses outrances, Alice Cooper est la persona la plus théâtrale et tragicomique du hard rock tendance heavy metal. Or, à la fin des années 1970, il est plus proche de la tragédie que de la farce. Son alcoolisme, qu'il entretient depuis le début de sa carrière ou presque, menace désormais de le noyer. Autre temps, autre mœurs: les méthodes de désintoxication en sont encore à leurs tâtonnements et sa famille, inquiète, l'envoie pendant trois mois dans un hôpital psychiatrique près de New York. 

Là, Alice Cooper accumule les notes sur les infirmières, les surveillants, les médecins et surtout sur les internés. A la sortie de l'asile, il solidifie ce premier jet à travers l'album-concept From The Inside. Malgré cette feuille de route particulièrement sombre, et ce confinement pour le moins poussé, le résultat final est sans doute l'un des plus pop et donc des moins rock de l'artiste. Il faut dire qu'il a été co-écrit avec Bernie Taupin, parolier d'Elton John. 

Alice Cooper extirpe la ballade How You Gonna See Me Now pour en faire un single, mais l'acmé de l'album est sans doute le très démonstratif Inmates (We're All Crazy). 

  • Le Black Album de Prince: trou noir à Minneapolis 

Prince a connu de nombreux démêlés avec ses producteurs de la Warner, au point de renoncer à son nom de scène, et vrai prénom, dans les années 1990. Mais son désir d'indépendance remonte à plus loin. Et dès le milieu des années 1980, après le succès gigantesque de Purple Rain, il lance la construction d'un complexe de studios dans la banlieue de "sa" ville de Minneapolis, dans le Minnesota: le Paisley Park Studios. 

La page web de l'endroit signale que le projet a coûté 10 millions de dollars pour cet ensemble de salles de 65.000 mètres carrés. C'est donc chez lui que Prince enchaînera les séances désormais. Le premier album qu'il y a enregistré intégralement est le Black Album. Ce n'est pourtant pas le premier à en sortir. Car, une semaine avant sa publication prévue le 8 décembre 1987, l'artiste exige que la mise en vente soit annulée. Selon le site Vulture, c'est une crise de paranoïa consécutive à une prise d'ecstasy qui serait à l'origine de cette rétractation en urgence. The Black Album paraît officiellement en 1994. 

Parmi les pistes, on relève notamment Rockhard in a Funky Place

  • Kama Sûtra de Michel Polnareff: lunettes blanches pour nuits noires

Les artistes français aussi s'isolent parfois pour se remettre en selle. A la fin des années 1980, Michel Polnareff, qui réside à nouveau dans l'Hexagone, s'enferme plus de deux ans dans un majestueux palace du 8e arrondissement de Paris, le Royal Monceau. Il se refuse à la lumière du jour, grossit, boit beaucoup, laisse sa teinture blonde s'éteindre en son brun naturel. Le Polnareff de la fin des eighties s'approche plus d'Howard Hughes que du compositeur pop aux faux airs de Françoise Sagan dont les Français ont fait la rencontre 25 ans auparavant. 

L'auto-internement du chanteur dissimule une peur profonde: celle de sombrer dans une cécité absolue à cause de problèmes de cataracte. L'artiste ne voit déjà plus rien ou presque et ne veut plus sortir d'un hôtel qu'il a appris à connaître par cœur. 

Au milieu de ces doutes et de cette frayeur latente, Michel Polnareff fourbit cependant une nouvelle œuvre: Kâma Sûtra, qui sort le 23 février 1990. Michel Polnareff enregistre ses parties de nuit, au bar du Royal Monceau, après sa fermeture et le départ des derniers clients. L'instrumentation, quant à elle élaborée en studio à l'extérieur, est plaquée sur sa voix a posteriori. L'album est une réussite, grâce entre autres à la chanson-titre, et Michel Polnareff recouvre la vue quelques années plus tard, en acceptant de passer sur le billard. 

  • For Emma, Forever Ago de Bon Iver: le chanteur qui léchait ses plaies au fond des bois

L'année 2006 n'est pas franchement le meilleur cru de la vie de Justin Vernon. L'Américain de 25 ans enchaîne une mononucléose et une maladie du foie, se sépare de sa copine Christy Emma Smith, et sa carrière musicale ne décolle pas. Sa rupture sentimentale en entraîne une autre: il prend la route, quitte la Caroline du Nord pour rejoindre le Wisconsin de ses parents et de son enfance. Mais il n'est pas là pour la compagnie de ses proches ou de ses souvenirs. Il quitte vite la maison familiale pour rallier le cabanon de chasse de son père dans les bois. Il y reste trois mois, de novembre 2006 au début du mois de février 2007. 

Retrouvant de vieux apprentissages paternels, il chasse pour se nourrir, règle de menus travaux. Son père, comme Justin Vernon l'a raconté dans une interview à Vanity Fair en 2008, vient le recharger en œufs, bières et fromage tous les dix jours. Mais ses longues journées solitaires exigent davantage pour se laisser meubler. Peu à peu, le jeune homme s'astreint à composer des mélodies, à les remplir de mots, puis avec le matériel qu'il arrive à emmener dans son exil, il enregistre quelques chansons. "Il n'y avait que moi et quelques micros. J'ai mis à profit ce que j'avais sous la main", a-t-il expliqué à Metro en 2008. Voilà le squelette du premier album de Bon Iver assemblé (un dérivé de "Bon Hiver" en français dans le texte, une expression étrange par laquelle il avait achevé une lettre adressée à une amie et que celle-ci lui avait conseillé comme nom de baptême de son nouveau projet). 

L'album, For Emma, Forever Ago, est lancé en juillet suivant. Il est constellé de fulgurances en sourdine dont Skinny Love

Quand confinement rime avec créativité.

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Toi et Moi, Kâma Sûtra, LNA HO, Goodbye Marylou

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When 2 R in Love, Bob George, Rockhard in A Funky Place

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Beauty And The Beast, Herœs, Sons Of The Silent Age, Blackout, Sense Of Doubt

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Rocks Off, Tumbling Dice, Sweet Virginia, Sweet Black Angel, Ventilator Blues, All Down The Line, Shine A Light

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Odds and Ends, Million Dollar Bash, Goin' To Acapulco, Bessie Smith, Apple Suckling Tree, You Ain't Goin' Nowhere, Nothing Was Delivered

Robin Verner