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Ayo de retour avec Royal: "Cet album amènera de la lumière à tous ceux qui sont dans les ténèbres"

Ayo dans le clip de "Beautiful"

Ayo dans le clip de "Beautiful" - Capture d'écran YouTube

La chanteuse allemande revient avec un sixième album très acoustique à la frontière de la pop, de la folk et du jazz. Elle évoque pour BFMTV.com son retour au sein d'un label, sa spiritualité et ses convictions profondes.

Pause-déjeuner entre deux interviews. C’est devant une pizza qu’Ayo nous a reçus, mardi dernier, dans un salon du label Wagram. Trois jours plus tard, vendredi 31 janvier, elle sortait Royal, un sixième album lumineux au croisement de la pop, de la folk et du jazz porté par les titres Beautiful et Rest Assured. Grande, souriante, le rire et la plaisanterie facile, Ayo a répondu à nos questions, entourée des ses deux plus jeunes enfants, Billie-Eve (9 ans) et Jimi-Julius (bientôt 3 ans), assis à ses côtés sur le canapé.

La chanteuse nous a parlé de ce nouvel opus, trois ans après l’album Ayo (sorti en indépendante). Et des sujets qu’elle y évoque, notamment les difficultés à accepter nos propres singularités. Elle dresse un portrait optimiste d’une nouvelle génération fatiguée des carcans, et se livre sur ses propres convictions.

Royal devait être un album de reprises de vos propres chansons, mais vous avez finalement préféré faire un disque de titres originaux. Que s’est-il passé ?

C'était quatre jours avant l’enregistrement. J'étais de plus en plus nerveuse à l’idée de reprendre mes propres chansons. Je n’avais pas le sentiment que c’était ce que je devais faire, je me disais que les gens allaient penser que je n'avais plus d’idées et que j’essayais de capitaliser sur le succès de mon premier album, ou quelque chose du genre. J’avais toutes ces idées sur ce que les gens allaient penser (rires), et puis je me suis dit que j’étais trop jeune pour déjà faire ça.

Comment le projet a-t-il été repensé ?

Quand j’ai dit à mon manager que je n’allais pas faire ces reprises, il a dit "Dieu merci". Il pensait comme moi. Pareil pour le label. Alors j’ai bien fait de le dire, et tant mieux si c’est ce que j’ai ressenti. J’ai présenté mes chansons originales, et ils ont vu que j’en avais assez pour faire un album. J’ai aussi fait des reprises de chansons qui ne sont pas les miennes (Né quelque part de Maxime Le Forestier, Throw It Away d’Abbey Lincoln et Fool’s Gold de Lhasa, ndlr).

Vous avez travaillé avec Universal pendant près de 10 ans avant de sortir l’album Ayo, en 2017, en indépendante. Vous revenez avec un premier album édité par Wagram. Pourquoi avoir renoué avec un label ?

Mon dernier album a été une super expérience, mais je crois que je ne suis pas le genre d’artiste qui… Disons que je ne suis pas la personne la plus organisée du monde (rires) et je pense que si vous devez réaliser un projet en indépendante, vous devez être très, très organisée et avoir une bonne équipe.

Dans votre précédent album, vous dénonciez les violences policières contre la communauté noire aux États-Unis. Dans Beautiful, vous racontez comment vous avez abîmé vos cheveux en utilisant des produits chimiques pour les lisser. Pensez-vous qu’il est plus facile aujourd’hui d’évoquer l’acceptation de soi et les difficultés à être issu d’une minorité, religieuse ou ethnique?

Je trouve que c’est important d’en parler. J’apprends tellement avec mes enfants, et je revis des choses à travers eux. Je regarde ma fille et parfois je me demande si je gérais les choses aussi bien qu’elle à son âge. Et la réponse est non. Mais peut-être parce que je n’avais pas cette personne pour me dire "tout va bien" ou "tu es belle". Imaginez par exemple subir les stéréotypes attribués à la communauté noire, ou faire un coming-out homosexuel à vos parents. C'est important de parler de ces choses-là parce que ce n’est pas normal, à 13 ans, de vouloir se suicider parce qu’on pense ne pas être normal. Si les parents faisaient mieux leur travail, si le système devenait un endroit où l’on ne se sent plus jugé, ça n’arriverait plus.

Pourquoi la parole se libère-t-elle aujourd’hui, selon vous ?

Maintenant, les gens ont une tribune. Et les gens en ont marre. C’est comme si un mouvement se créait. La nouvelle génération veut se sentir libre. Nous manquons tous de confiance en nous, et ça vient de quelque part. On ne naît pas avec un manque d’assurance ni avec des complexes. C’est ce qu’on apprend. On nous laisse le penser. Alors c’est quoi, la norme? Ce n’est même pas une question philosophique. Qui a décidé de ce qui était normal et de ce qui ne l’était pas? C’est ce que nous devons inculquer à nos enfants. J‘y crois vraiment. 

Vous reprenez Né quelque part sur Royal. Vous chantiez déjà en français sur votre précédent opus. Quel est votre rapport à la France, où vous avez vécu quelques années?

Paris est la ville de mon cœur. C’est là que tout a démarré pour moi. Être avec mes amis, jouer dans des bars avec ma guitare… c’était la plus belle période de ma vie. Vous savez pourquoi? Parce que je suis arrivée à Paris en tant que fille noire, née et élevée en Allemagne, et toute ma vie il n’y a jamais eu qu’une seule moi dans ma classe. Pour la première fois de ma vie que je me suis dit ‘Ouaouh, ils sont tous différents, ils viennent tous de partout, et personne ne me regarde avec une expression qui veut dire "Ils sont bizarres, tes cheveux". Au contraire, ils aiment mes cheveux. J’ai commencé à m’accepter à Paris. J’étais comme une fleur qui s’épanouissait.

Cette fois, vous avez décidé de délaisser la guitare pour vous concentrer sur votre voix…

(Quand vous faites le chant et la guitare), vous êtes limité. Moi, je suis limitée. Parce que je ne suis pas George Benson ou Jimi hendrix (rires). J’avais le sentiment qu’il était temps pour moi de passer à l’étape supérieure et d’être capable de dire "Je n’ai pas besoin de montrer que je peux faire la guitare en même temps". Pour moi, c’est toujours mieux quand aucun ego n’est impliqué et qu’on est simplement là pour donner le meilleur de soi. Et c’était le cas. (En studio), j'avais l’impression de ne pas chanter pour moi, je me sentais si reconnaissante d’être là et j’avais le sentiment de chanter pour Dieu. Je rendais quelque chose à la source d’où m'est venu mon don.

En parlant de spiritualité: sur le titre Royal, vous vous adressez à Dieu ou à un être cher ?

À Dieu. J’ai appelé cet album Royal parce que je ne voulais pas utiliser le mot Dieu, qui est toujours lié à une religion. Il y a tant de religions et je pense que nous prions tous auprès de la même source. Le plus important, c’était de trouver un mot qui éloignerait de la religion mais auquel chacun pourrait s’identifier. Et j’avais l’impression de chanter pour cette source d’où m’est venu mon don. Sans ce don, sans ma voix, je ne serais pas là où je suis dans la vie. Je ne sais pas où je serais, et je me sentais si reconnaissante (elle marque une pause, émue). D'autant plus qu’en entrant dans le studio, j’étais en proie à la dépression. Je voulais juste rester chez moi et n’aller nulle part. Je cherchais sûrement à m’échapper de tout. Et dans le studio, il y a eu de la lumière à nouveau. La lumière est revenue dans ma vie.

Alors cet album a eu un effet thérapeutique ?

Complètement. J’ai toujours dit que la musique était thérapeutique, mais sur cet album c’était encore plus que ça. C’était comme si… comme si… ça peut sembler fou, mais comme si j’étais utilisée pour chanter ces chansons. Pour le faire, pour le faire de cette manière-là, parce que c’est plus qu’un album….

Comme un intermédiaire, d’une certaine manière ?

Oui, exactement. Et je pense qu’il amènera de la lumière à tous ceux qui sont dans les ténèbres. Je pense vraiment qu'il a des vertus guérisseuses. Il y a quelque chose, dans ce disque, de difficile à saisir. Je sais que cet album a déjà changé ma vie.

Cet album a des intonations folks, moins produites que le précédent. Il rappelle un peu vos premiers travaux. Était-ce intentionnel, de retrouver vos racines musicales ?

Oui… et non. Je pense qu’inconsciemment, on cherche toujours à se reconnecter à ses racines à un certain moment. Je n’ai jamais pris de drogue de ma vie, mais ma mère est accro à l’héroïne. Ses amis disent que le premier fix est le meilleur, et que dans tout ce qui vient après on essaye de recréer ce sentiment. Ils ne le retrouvent jamais, ils ne font que se détruire. En entendant ça, je me suis dit qu’on pouvait l’appliquer à tant de choses. Je pense qu’on ne retrouve jamais le sentiment qu’on ressent lorsqu’on sort son premier album. Et peut-être qu’à un certain point, on cherche à faire quelque chose qui apportera un sentiment aussi bon. Dans mon cas, avec cet album, je crois que j’ai voulu m'orienter un peu plus près du jazz. C’est un de mes rêves, de sortir un jour un album de jazz. Mais on ne se réveille pas un jour en disant ‘Tiens, je vais chanter du jazz’ (elle claque ses doigts en riant). Ce doit être une expérience.

Est-il vrai que l’administration américaine a failli vous séparer de vos trois enfants?

Pas exactement. Quand Donald Trump est devenu président, mon aîné [âgé de 14 ans] et moi attendions notre carte verte. Mon benjamin est américain, car il est né là-bas. Ma fille avait sept ans. Quand j’ai dû partir en tournée, j’ai fait une demande pour pouvoir quitter le territoire et revenir. J’ai obtenu le droit de revenir, mon aîné aussi, mais pas ma fille. Jusqu’à aujourd’hui, elle n’a pas le droit de revenir aux États-Unis. Je n’ai jamais pu résoudre ce problème. Quand je vous parlais de dépression, c’était la raison. La première année, elle est allée vivre avec son grand frère chez leur père, en Allemagne. Après, ils sont allés à Kingston, en Jamaïque, ce qui était beaucoup plus proche de Brooklyn. Aujourd’hui, je vis à Lisbonne avec ma fille et mon troisième enfant. Mon aîné est toujours en Jamaïque. J’attends toujours (que la situation se débloque), et je pourrais attendre encore trois ans. Je croise les doigts.
Propos recueillis par Benjamin Pierret