X-Men Dark Phoenix: les secrets de la BD culte racontés par le scénariste Chris Claremont
La saga du Phénix Noir est l’un des plus célèbres arcs narratifs de l’histoire de Marvel et des X-Men. Ecrit par Chris Claremont, artisan de la renaissance de cette série dans les années 1970, elle raconte la transformation de Jean Grey en Phénix, un être quasi divin aux pouvoirs infinis. Mêlant critique du passé esclavagiste des Etats-Unis, dénonciation des génocides et exploration du cosmos, la saga du Phénix Noir avait rencontré un grand retentissement lors de sa première publication.
Commencée par Dave Cockrum (Uncanny X-Men #101-108), elle s’achève avec John Byrne en 1980 dans neuf numéros d’anthologie (Uncanny X-Men #129-138) et une scène aussi inoubliable que scandaleuse pour les lecteurs de l’époque: la mort de Jean Grey. Mainte fois copiée, jamais égalée, elle reste une des plus célèbres pages publiées par Marvel. Alors qu’un film inspiré de cet arc narratif sort au mois de juin, Chris Claremont, que nous avons rencontré à l'occasion du 5e salon MAGIC à Monaco le 9 mars, commente cinq scènes clefs de ce monument de la BD américaine.
Wolverine
"Wolverine était le personnage préféré de John Byrne, celui dont il était le plus proche, auquel il s’identifiait le plus. Il voulait que l’on s’intéresse davantage à lui. La dernière fois que l’on a vu Wolverine dans la BD, il tombait dans les égouts, il était perdu et vraisemblablement mort. À ce moment-là, les X-Men ont été battus à plates coutures. Jean semble avoir été corrompue par le Mal. Et Wolverine revient à la charge. En écrivant cette page, j’avais comme la musique d’un thriller dans la tête, quelque chose d’excitant qui indique qu’il va y avoir beaucoup d’actions dans le numéro suivant. Et c’est ce qui se passe. Si c’est une BD qui est considérée tout public, l’idée qui est suggérée dans cette page est que Wolverine va tuer tout le monde. Dans un épisode précédent, on montrait les réactions d’Ororo et de Kurt face à la violence de Wolverine. On laissait libre l’imagination du lecteur. Ici, c’est différent. Il n’y a aucune retenue. Wolverine applique les règles du camp adverse. Dans cette scène, Wolverine fait son Inspecteur Harry."
Esclavagisme
"Cette scène est racontée depuis le point de vue du Club des damnés. Tout est vu de la manière la plus cruelle, la plus abusive. Ororo ressemble à une esclave du continent africain. Jean Grey s’imagine comme sa maîtresse. C’est ce que nous voulions dénoncer. L’ironie étant qu’Ororo est à l’opposé de cette vision. L’idée du Club des damnés est qu’ils exploitent la société, car ils se sentent supérieurs: ils incarnent la richesse, le pouvoir. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Les gens ordinaires ne s’habillent pas de cette manière. Ils s’habillent de cette sorte pour montrer qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent, qu’ils sont au-dessus des lois et que les autres sont des êtres inférieurs. X-Men était à l’époque la BD la plus vendue aux Etats-Unis. Certains ont dit qu’on était allé trop loin, d’autres que c’était en plein dans le mille. Certains pensaient que c’était angoissant et d’autres que c’était réjouissant."
Phénix
"Pour moi, Phénix est juste en dessous de Dieu. À la fin des temps, Phénix incarne le pouvoir de la création qui permet de faire redémarrer l’univers. Elle est l’exemple vivant le plus proche de ce qu’est le pouvoir absolu. Jean est son avatar humain. Le problème est qu’elle a atteint cette étape peut-être un million d’années trop tôt. En tant que Jean Grey, elle n’est pas prête, d’un point de vue émotionnel, pour contenir ce pouvoir. Chez chaque humain il y a un côté clair et un côté obscur. Le côté clair lui permet de sauver l’univers dans Uncanny X-Men #108, mais le côté obscur, qui est toujours plus tentant, ne cesse de la séduire. Jusqu’au Club des damnés, elle parvient à le contenir, puis ce lieu, par l’intermédiaire de Sebastian Shaw, la fait basculer du côté obscur. C’est ce que raconte cette scène, qui est un écho à une page de X-Men #106. À partir de ce moment, Jean décide de faire ce qu’elle veut."
Destruction
"Jean, devenue Phénix, traverse la galaxie, a un petit creux, et dévore une étoile où habitent des millions de personnes. L’idée de cette séquence était de faire quelque chose de choquant, d’inhabituel dans les comics. Nous voulions repousser les limites aussi loin que nous le pouvions. Les héros n’agissent pas de la sorte. Jean était une héroïne. Jim Shooter [éditeur de Marvel à cette époque, NDLR] nous a fait remarquer que l’on ne pouvait pas faire quelque chose d’aussi radical et espérer une fin heureuse. Ce n’est pas parce que c’est une héroïne qu’elle ne va pas affronter les conséquences de ses actes. Il y a des cas où l’on n’a pas le choix. On ne peut pas commettre un génocide et s’en tirer. C’est une leçon que beaucoup de gens devraient avoir en tête de nos jours."
La mort de Jean