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TOUT COMPRENDRE - Pourquoi Autant en emporte le vent est-il jugé raciste?

Vivien Leigh et Hattie McDaniel dans Autant en emporte le vent (1939)

Vivien Leigh et Hattie McDaniel dans Autant en emporte le vent (1939) - MGM

Autant en emporte le vent, qui a été retiré temporairement de HBO Max cette semaine, est considéré par de nombreux universitaires comme l'instrument le plus ambitieux et efficace du révisionnisme sudiste.

Autant en emporte le vent, classique du 7e Art qualifié par certains historiens de révisionniste, a été retiré temporairement de la plateforme de streaming HBO Max, le temps d'ajouter une contextualisation pour restituer l'œuvre dans son époque.

Cette remise en cause du film de Victor Flemming intervient dans un contexte d'intense mobilisation contre le racisme et les violences policières visant les Noirs aux Etats-Unis.

Plus grand succès de l'histoire du cinéma depuis sa sortie en 1939 et multi-récompensé aux Oscars, Autant en emporte le vent est - comme le roman de Margaret Mitchell dont il est tiré - également considéré par de nombreux universitaires comme l'instrument le plus ambitieux et efficace du révisionnisme sudiste.

  • Que raconte Autant en emporte le vent?

Cette fresque intemporelle sur l'amour et la guerre raconte l'histoire de Scarlett O'Hara (Vivien Leigh), fille de riches propriétaires sudistes, qui voit son monde s'effondrer avec la guerre de Sécession, qui oppose à partir de 1861 le Sud esclavagiste au Nord abolitionniste. Réfugiée à Atlanta à la suite d'un chagrin d'amour, elle croise l'aventurier Rhett Butler (Clark Gable), avec qui elle connaît une passion tragique qui se conclut par cet échange mythique:

Scarlet: Si vous partez, où vais-je aller, que vais-je devenir?
Rhett: Franchement, ma chère, c'est le cadet de mes soucis.

Le film explore aussi ses relations avec Mammy (Hattie McDaniel), sa nourrice, et sa rivale Melanie Hamilton (Olivia de Havilland) - et dresse le portrait d'une fille de la haute société qui peu à peu apprend à se défaire de ses préjugés. Le personnage de Scarlett a marqué durablement les esprits des spectatrices par sa force de caractère. 

  • Pourquoi est-ce que ce film pose problème?

Autant en emporte le vent présente une version romantique du Sud et une vision très édulcorée de l'esclavage, avec notamment du personnel de maison dépeint comme satisfait de son sort et traité comme des employés ordinaires. Cette réinterprétation d'une période sombre de l'histoire américaine est l'œuvre de mouvements très organisés dans les anciens Etats confédérés, qui se sont attachés à montrer le Sud d'avant la guerre de Sécession sous un jour présentable.

Point fondamental, l'idéologie de la "Lost Cause" (cause perdue) soutenait que les Etats du Sud s'étaient battus pour leur indépendance politique, menacée par le Nord, et non pour le maintien de l'esclavage, ce qui est une contre-vérité historique. Ces critiques ne sont pas nouvelles. Margaret Mitchell a déjà dû les affronter en 1936 lors de la publication de son roman. Elle s'est déjà défendue à l'époque d'être raciste: "J'ai beaucoup souffert de raconter comment était la Géorgie du Sud à l'époque [de la Guerre de Sécession]", avait-elle déclaré.

Si le film bénéficie d'une certaine aura en raison de l'Oscar décerné à l'actrice Hattie McDaniel - le premier de l'Histoire -, il ne faut pas oublier la teneur de son rôle: "Certes, Hattie McDaniel est la première actrice noire à avoir remporté un Oscar pour ce rôle, mais quel rôle! Ce stéréotype de la nounou, une femme maternante, assez autoritaire, parcourt toute l’histoire du cinéma", explique au Huff Post Régis Dubois, spécialiste du cinéma afro-américain. 

  • Est-ce que c'est la première polémique?

Le film a toujours bénéficié d'un certain prestige, hérité de son casting de stars et de son succès faramineux en salles. Le résistant Pierre Brossolette aurait d'ailleurs dit avant de mourir en 1944: "Pour les Français, la guerre sera finie quand ils pourront lire Le Canard enchaîné et voir Autant en emporte le vent". Une phrase redite par Paul Meurisse dans L'Armée des ombres de Jean-Pierre Melville. Symbole de la liberté retrouvée pour certains lors des années sombres de l'Occupation, le film a cependant toujours été décrié.

Dès le tournage du film, le producteur David O Selznick a reçu des lettres dénonçant le racisme de Margaret Mitchell. Le quotidien The Los Angeles Sentinel, à la même époque, a aussi appelé à boycotter "toutes les productions de Selznick, présentes comme futures". Avant le tournage, la NAACP, organisation de défense des droits civiques, a obtenu du producteur qu'il adoucisse certains aspects du scénario et qu'il engage des conseillers afin que les Noirs soient respectés sur le tournage.

La sortie du film en 1939 a aussi été mouvementée. Le film a été accusé par le critique du Chicago Defender d'être une "arme de terreur contre l'Amérique noire". À l'avant-première, organisée à Atlanta, la mairie a demandé à des paroissiens noirs de chanter devant le cinéma:

"L'idée était de les faire chanter du gospel déguisés en esclave", raconte le professeur John Bracey, sur le site de l'University of Massachusetts. Toutes les églises ont refusé, à l'exception de celle où le père de Martin Luther King prêchait: "C'est une anecdote que les historiens des droits civiques aiment rappeler, mais à la première d'Autant en emporte le vent, Martin Luther King, 10 ans, roulait des balles de coton, habillé comme une caricature d'esclave d'antan - il était un symbole du Vieux Sud, placé là pour divertir l'élite blanche."
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Des manifestations ont éclaté à Washington, à Chicago et à Brooklyn. "Autant en emporte le vent glorifie l'esclave", ont chanté certains manifestants à Chicago, note l'historien du cinéma Leonard J. Leff dans les colonnes de The Atlantic. Si les manifestations étaient en majorité pacifiques, l'une d'elles s'est terminée avec l'arrestation d'un adolescent de 17 ans à Brooklyn. 

Plusieurs figures de la communauté noire se sont indignées depuis. Malcolm X se souvient d'avoir vu le film lors de sa première exploitation: "J'étais le seul Noir dans la salle. Quand Butterfly McQueen [l'actrice qui joue Prissy, NDLR] arrive à l'écran, j'ai eu envie de me cacher sous un tapis." Selon John Bracey, Rhett Butler est le seul aspect du film que les Noirs peuvent apprécier: "Il a du style et une bonne attitude: il dit aux gens coincés de la haute qui soutiennent l'esclavage et la suprématie blanche qu'il n'en a rien à foutre."

En 1984, James Baldwin a écrit à propos d'Autant en emporte le vent dans la préface de Chroniques d'un enfant du pays (Gallimard), un recueil d'essais où il réfléchit sur sa condition de noir aux États-Unis: 

"Apparemment les Nord-Américains croient à ces légendes, qu'ils ont créées et qu'absolument aucune réalité ne corrobore, et y croient encore aujourd'hui. Et quand ces légendes sont attaquées, comme cela arrive maintenant - partout sur un globe qui n'a jamais été et ne sera jamais blanc -, mes compatriotes deviennent puérilement agressifs et indiciblement dangereux."

En août 2017, après les évènements de Charlottesville, un cinéma de Memphis a suspendu sa projection annuelle du film. En 2018, lors de la sortie de Blackkklansman, Spike Lee a condamné dans Première le film, estimant qu'il était "l’un des responsables de la persistance de la mentalité raciste en Amérique":

"Il a totalement romantisé le Sud et l’esclavage. Pire, il a fait perdurer deux idées nocives: l’une selon laquelle les Confédérés n’avaient pas vraiment perdu la guerre, l’autre qui dit que l’esclavage n’avait en fait rien à voir avec la Guerre de Sécession."

Le film fait également régulièrement l'objet de débats dans la presse anglo-saxonne, que ce soit dans le Guardian, le Los Angeles Time ou le Washington Post.

Plusieurs romanciers américains ont enfin écrit des livres en réponse à Margaret Mitchell et au film. Donald McCaig a publié en 2014 Le Voyage de Ruth, un préquel sur le personnage de Mammy, désormais baptisée Ruth: "C'est une enquête, et la reconstitution de la vie d'un personnage de premier plan qui n'a peut-être pas été apprécié à sa juste valeur", avait indiqué l'auteur à la sortie de son livre.

En 2001, la romancière métisse Alice Randall a imaginé The Wind Done Gone, une parodie du roman de Margaret Mitchell qui raconte l'histoire d'une demi-soeur de Scarlett née des amours d'un maître et d'une esclave. Les héritiers de Margaret Mitchell ont tenté de faire interdire la publication, mais des écrivains et des intellectuels ont soutenu Alice Randall. Toni Morrison a elle-même confié dans une lettre adressée au tribunal "la douleur, l'humiliation et la colère" qu'elle ressentait en pensant au "classique" de la littérature américaine. Les poursuites ont été abandonnées en 2002.

  • Y a-t-il d'autres œuvres dans le même cas?

Plusieurs classiques du 7e Art ont également été accusés de racisme. L'exemple le plus célèbre reste Naissance d'une Nation, film de D.W. Griffith qui raconte l'histoire des Etats-Unis en faisant l'apologie du Ku Klux Klan. La sortie du film avait déjà soulevé l’indignation en 1915. Et Spike Lee en dénonce les ressorts racistes dans Blackkklansman. Naissance d'une Nation est malgré tout considéré comme une pièce majeure de l'histoire du cinéma. D'autres œuvres très appréciées, comme DumboPeter Pan ou encore Diamants sur canapé, sont dans le même cas. La comédie dramatique de Blake Edwards est régulièrement critiquée pour le personnage très caricatural du Japonais Mr. Yunioshi, campé par Mickey Rooney, un acteur caucasien. 

Jérôme Lachasse avec AFP