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Cinéma

Sabine Azéma et André Dussollier, héros de Tanguy, le retour: "On ne nous imagine pas méchants"

Réuni dans onze films, le duo fétiche d’Alain Resnais se retrouve dans Tanguy, le retour d’Étienne Chatiliez, où il est confronté une nouvelle fois à son terrible rejeton.

Duo favori d’Alain Resnais, mais aussi stars de Tanguy d’Étienne Chatiliez, Sabine Azéma et André Dussollier ont durablement marqué le cinéma français en apparaissant ensemble dans onze films - soit un de plus qu’un autre duo mythique du 7e Art: Ginger Rogers et Fred Astaire. "Fred Astaire, c’est mon idole", s’enthousiasme Sabine Azéma, qui retrouve André Dussollier dans Tanguy, le retour, en salles le 10 avril. "Il y a des médailles pour ça? On est fier de ça. Il en faut d’autres!"

Depuis la sortie de La Vie est un roman en 1983, leur premier film avec Alain Resnais, ils sont inséparables. Qu’ils se croisent ou non à l’écran, ils naviguent entre les genres: drame (L’Amour à mort), mélo (Mélo), comédie musicale (On connaît la chanson), fiction historique (La Chambre des officiers), fantaisie burlesque (Les Herbes folles) ou encore comédie pure (Tanguy). Amants, mari et femme, simples connaissances et même aviateurs, ils ont tout joué: "Comme ça on ne peut pas s’embêter, il n’y a pas d’habitude", s’amuse Sabine Azéma.

"J’ai commencé dans la comédie avec Louis de Funès"

Les réunir dans une comédie comme Tanguy, en 2001, n’était pas une évidence. Indissociable du cinéma ludique et inventif d’Alain Resnais, souvent considéré comme cérébral, ils ont essuyé quelques réticences. Un problème récurrent dans leur carrière, raconte Sabine Azéma:

"J’ai commencé dans la comédie avec Louis de Funès [dans La Valse des toréadors de Jean Anouilh en 1973, NDLR]. Je me disais alors que plus personne ne m’engagerait pour un film dramatique ou romantique. Puis, Resnais est arrivé et m’a fait basculer dans le romantique, le tragique, le mélo… Après, je me suis dit que plus personne n’allait me prendre pour de la comédie. C’est comme ça pour beaucoup d’acteurs."

Pour André Dussollier, c’était l’inverse: "J’ai commencé par le sérieux. Et il y a eu Coline Serreau." Et les dix millions de spectateurs de Trois hommes et un couffin en 1985. "Et ça continue", complète Sabine Azéma. "Là, il y a Tanguy, mais on se dit qu’il y a d’autres films qu’on pourrait faire, avec d’autres genres. Est-ce qu’ils vont penser à nous?"

"J’étais encore une Tanguy!"

Leur première rencontre n’a pas eu lieu sur le tournage de La Vie est un roman, film où ils n’ont aucune scène en commun, mais au conservatoire, se souvient Sabine Azéma:

"On ne sait pas quand c’était exactement. C’était avant-hier, hier. C’est un souvenir un petit peu vague. On ne savait pas qu’on aurait cette trajectoire, qu’on se retrouverait plus intensément après. Au conservatoire, il vous faut des partenaires pour vous donner la réplique et lui c’était un peu la coqueluche. Il jouait déjà magnifiquement. On était content quand il nous donnait la réplique. Il m’a donné la réplique sur un texte de Musset, Il ne faut jurer de rien, pour passer le concours d’entrée. Il est venu me faire répéter mes scènes chez mes parents. J’étais encore une Tanguy!"

Cinq ans après Aimer, boire et chanter, le dernier film d’Alain Resnais, Sabine Azéma et André Dussollier se sont retrouvés sur le tournage de Tanguy, le retour, suivant à la lettre la prédiction de Hélène Duc, qui joue la grand-mère de l’enfant terrible dans le premier film. "Vous aurez Tanguy jusqu’en 2020!", augurait-elle en 2001. "Étienne est médium!", s’amuse aujourd'hui Sabine Azéma. Ce personnage, qui "disait ce que le public avait envie de dire", a été remplacé dans la suite par la bande d’amis d'Edith et Paul, les parents de Tanguy.

Ce dispositif, inattendu dans une comédie grand public, semble conçu pour un cinéma plus expérimental, comme celui d’Alain Resnais, qui n’a cessé d’inventer de nouvelles manières de raconter des histoires. "Il voulait toujours faire quelque chose de différent qu’on n’aurait jamais fait avant", résume Sabine Azéma, qui a joué dans tous ses films entre 1983 et 2014, année de sa mort. On connaît la chanson (2,6 millions d’entrées, 7 César), où les acteurs chantent des tubes en playback, a ainsi fait des émules, souligne André Dussollier: "Beaucoup de metteurs en scène ont introduit des chansons, comme Honoré, Ozon. Je voyais des metteurs en scène dont le regard disait: 'pourquoi je n’ai pas eu cette idée-là"."

"On ne joue pas chez Chatiliez comme on joue chez Resnais"

Un trait rapproche Étienne Chatiliez d’Alain Resnais, estime Sabine Azéma: l’élégance. Leur cinéma, ainsi que leur manière de travailler, sont pourtant très différents, ajoute-t-elle: "Resnais disait 'Tournons pour voir comme ça va tourner'. Pas Étienne. Comme en général avec les metteurs en scène de grandes comédies, c’est au cordeau, vraiment, comme les rouages d’une montre. On n’improvise pas. C’est la très grande différence. C’est ça qui est chouette pour nous: c’est différent, ça donne un autre ton, une autre façon de jouer. On ne joue pas chez Étienne comme on joue chez Resnais."

Le duo a aussi l’occasion, rare dans sa filmographie, de jouer chez Chatiliez des personnages animés par une pulsion de mort: "quand on assiste aux projections [de Tanguy, le retour], on voit que les gens se régalent. J’ai entendu des gens dire: 'j’adore quand vous dites des méchancetés!' On ne nous imagine pas méchants”, raconte André Dussollier. Ils admirent cette particularité du cinéma de Chatiliez, qui aime explorer les tréfonds de l’âme humaine: "Ça soulage les gens", dit Azéma. "C’est son art à lui", complète Dussollier. "Il est très critique, très caustique sur les choses de la vie. Il a l’art de mettre le doigt sur des choses particulières de la société et des mœurs et puis de raconter en sous-main des choses qui ne se voient pas. On ne voit que l’écume avec lui. On ne retient que le rire, alors qu’il y a autre chose.”

Comme dans les films d’Alain Resnais, il faut souvent chez Chatiliez gratter le vernis d’une image belle et sophistiquée pour découvrir le ver dans le fruit. Contrairement à ce que l’on a longtemps cru, Chatiliez n’a ainsi jamais voulu se moquer dans Tanguy du phénomène des enfants qui refusent de quitter le domicile familial. Il voulait en réalité évoquer le tabou des parents qui rêvent de trucider leurs enfants. Un sujet que Tanguy, le retour évoque avec une certaine malice.

Jérôme Lachasse