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Cinéma

Avec Persona non grata, Roschdy Zem signe son film le plus sombre

L’acteur réalise depuis une douzaine d’années des films engagés qui décrivent les failles de la société française. À l’occasion de la sortie de son nouveau film, Persona non grata, il revient sur ce pan moins connu de sa carrière.

Roschdy Zem n’a jamais rêvé de devenir réalisateur. "C’est une opportunité qui s’est présentée et elle s’est transformée en rêve", confie l’acteur connu pour ses rôles de durs. En treize ans, il a déjà tourné cinq films, dont le dernier, Persona non grata, sort en salles ce mercredi 17 juillet. Chacun explore un genre différent. Après la comédie (Mauvaise foi), le film judiciaire (Omar m’a tuer), le drame social (Bodybuilder) et le biopic (Chocolat), Roschdy Zem s’attaque au polar sur fond de malversations immobilières:

"Mon ambition avec Persona non grata était de raconter ce que nous sommes à travers trois classes sociales. Mon personnage vient de tout en bas. Celui de Nicolas Duvauchelle a un certain statut, mais il s’estime lésé par rapport au travail fourni. Et enfin celui de Raphaël Personnaz possède beaucoup, mais en veut plus. Le film raconte cette insatisfaction qui nous concerne tous et qui peut parfois nous pousser à commettre [l’irréparable]. Les personnages sont des personnes ordinaires, pas des grands bandits. C’est une allégorie de la société et des bas instincts humains."

Très différents les uns des autres, les films de Roschdy Zem explorent les angles morts de la société. Il donne la parole aux absents des livres d’Histoire et aux rebuts de la société, et évoque les conflits qui nous divisent: "C’est la part inconsciente de ce que racontent ces films", confirme l’acteur-réalisateur. “Les films historiques, comme Omar m’a tuer et Chocolat, sont aussi une manière de parler de notre société. L’histoire est un prétexte. Quand j’évoque le racisme du début du XXe siècle [dans Chocolat], c’est aussi pour parler du racisme d’aujourd’hui: c’est une manière de dire que les choses ont pas ou peu évolué."

Chaque film de Roschdy Zem s’appuie sur un duo désaccordé qui va devoir traverser un pan de sa vie ensemble. Mauvaise foi raconte ainsi l’histoire d’amour entre une femme de culture juive et un homme de culture musulmane ; Omar m’a tuer retrace l’affaire Omar Raddad en opposant le jardinier illettré à un intellectuel joué par Denis Podalydès, Bodybuilder évoque l’autodestruction du corps de deux individus: l’un par la drogue, l’autre par l’excès d’exercices musculaires, Chocolat met en scène l’amitié entre le célèbre clown noir et son acolyte Foottit. Dans Persona non grata, le duo formé par Nicolas Duvauchelle et Raphaël Personnaz devient un trio lorsqu’un élément perturbateur joué par le réalisateur lui-même intervient. 

"Plongée en apnée"

Ce n’est pas l’unique rupture avec ses précédents films. Pour la première fois de sa carrière, Roschdy Zem a travaillé l’image d’un de ses films: "Il y avait des prémisses sur Chocolat, mais c’est peut-être la première fois que je trouve une forme d’alter-ego [en la personne de Renaud Chassaing, son directeur de la photographie]." "Quand j’ai rencontré Roschdy, il m’a dit qu’il voulait une lumière qui laisserait, en partie, les comédiens dans l’ombre", complète le chef opérateur.

Sur les indications du réalisateur, Renaud Chassaing s'est inspiré d’A Most Violent Year, de La Isla minima, de Jarhead ou encore de la série Big Little Lies. Des œuvres assez noires qui baignent paradoxalement dans une lumière toujours douce. "Persona non grata, en terme de mise en scène, est mon film le plus abouti", indique Roschdy Zem. "C’est la première fois que je fais le film qui ressemble à ce que j’avais à l’esprit. Je le dois à l’expérience des quatre précédents - où je me suis laissé un peu dépasser, ce qui n’est pas mal."

De Mauvaise foi, son premier film, Roschdy Zem se souvient d’une "plongée en apnée": "Je voulais me concentrer essentiellement sur les comédiens. La technique me dépassait. Je ne m'étais pas penché dessus auparavant. J’avais juste envie de raconter [une histoire] et j’ai laissé le soin à la partie technique de prendre les décisions en terme d’aspects esthétiques et autres. Vous avez l’espoir de vous entourer de personnes qui vont pouvoir répondre à vos demandes." 

Quand il évoque cette première œuvre qui avait obtenu un joli succès en 2006, le premier mot qui lui vient à la bouche est "insouciance": "J’ai écrit le film et le producteur Philippe Godeau m’a demandé de le réaliser. Ça m’a surpris, mais bizarrement j’ai dit oui instantanément, avant même d’y réfléchir, de peur qu’il ne change d’avis. Je me suis lancé tête baissée. J’avais l’impression que l’essentiel de mon propos était suffisamment traité et élaboré pour me permettre ensuite d’assembler le film sur la table de montage. Le film évidemment est plein de maladresses, mais de maladresses bienvenues: l’avantage, c’est qu’on essaye de ne pas les réitérer."

"Le luxe du temps"

C’est sur le tournage de son deuxième film, Omar m’a tuer, qu’il commence à s’intéresser à la mise en scène. Sur celui de Bodybuilder, il acquiert "aisance et audace": "Je dirai très sincèrement qu’à partir de Bodybuilder j’ai trouvé ma personnalité en tant que metteur en scène", assume Roschdy Zem. Avec Chocolat, il est à la tête d’une production coûteuse: "C’est une logistique très lourde. C’est une pression. Le temps [de tournage] qui vous est imparti est trop court. Et, finalement, le temps de la réflexion est aussi très réduit et il faut aller très vite. C’est beaucoup de stress même si à la fin je garde une vraie satisfaction."

Malgré le petit budget de Persona non grata - "c’est un film à 2 millions d’euros, soit dix fois moins que Chocolat", précise Roschdy Zem -, le réalisateur a eu "le luxe du temps": "C’est tout ce que j’avais demandé à mes partenaires. Et on a tourné Persona non grata en huit semaines - ce qui est considérable pour un film de ce budget-là. Je me suis battu pour obtenir - ce n’est pas énorme - parfois dix, quinze ou vingt minutes de réflexion pour m’isoler et savoir où placer exactement la caméra et surtout trouver les intentions à transmettre aux acteurs. Ce temps-là m’a servi à faire le film que je voulais faire."

En tant que réalisateur, Roschdy Zem s’est principalement intéressé à des univers très masculins: "oui et pourtant j’adore filmer les femmes. Dans mon premier film, le rôle principal était un rôle féminin… Mais c’est vrai que j’écris beaucoup pour les hommes. J’en suis conscient, mais ça se présente comme ça." S’il n’a pas d’idées précises pour son prochain film, il assure qu’il a désormais "plutôt envie d’aller vers des personnages féminins."

Jérôme Lachasse