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Pierre Lemaître: "les gens sont tellement inquiets qu’ils ont envie de voir des comédies"

Pierre Lemaître en 2017 à Bogota.

Pierre Lemaître en 2017 à Bogota. - Raul ARBOLEDA - AFP

L'écrivain, qui a reçu le Goncourt pour Au revoir là-haut et un César pour son adaptation cinématographique, revient au cinéma avec Trois jours et une vie, dont il signe le scénario. Rencontre.

Pierre Lemaître revient au cinéma. Après avoir signé l'adaptation cinématographique d'Au revoir là-haut avec Albert Dupontel (2 millions d'entrées, 5 Césars, dont celui de la meilleure adaptation), le Prix Goncourt 2013 s'attaque à son thriller Trois jours et une vie, dont il a écrit le scénario et confié la réalisation à Nicolas Boukhrief.

Récit âpre étalé sur une quinzaine d'années, ce film en salles le 18 septembre s'ouvre en décembre 1999 avec le meurtre de Rémy par un de ses camarades, Antoine. Survient alors la fameuse tempête du siècle, effaçant les traces de son crime. Antoine se croit alors sauvé... Pierre Lemaître revient pour BFMTV sur les dessous de cette histoire cruelle, dresse un état des lieux du cinéma français et dévoile ses projets.

Vous jouez un rôle mineur, mais important dans Trois jours et une vie: celui du procureur…

C’est un rôle doublement important. D'abord, parce que c’est le seul de ma carrière (rires) et ensuite, parce qu’il arrive à un moment du film où il se passe un rebondissement important. Nicolas [Boukhrief] m’a dit: 'Je pense que ce serait bien que tu fasses ce rôle, parce que le personnage arrive de l’extérieur et apporte la vérité.' Il m’a dit que c’était bien que ce soit l’auteur qui apporte la vérité. La chance fait en plus que tout le casting est présent dans cette scène: Sandrine Bonnaire, Charles Berling, Philippe Torreton, Pablo Pauly, Margot Bancilhon… Ils m’ont mis la pression! C’est un très bon souvenir, mais je n’irai pas prétendre demain aller tenir une série de six épisodes à bout de bras. 

Vous avez d’abord écrit l’adaptation, puis vous avez proposé le projet à Nicolas Boukhrief. Pourquoi? 

On a écrit avec Perrine Margaine en se disant que ce scénario serait un hommage au cinéma. Il renoue avec un certain type de cinéma qui se termine avec Claude Miller et Claude Chabrol. On s’est notamment inspiré de Que la bête meure (1969) et du Boucher (1970) de Chabrol. On s’est dirigé vers Nicolas car en plus d’être cinéaste, il est cinéphile. Mais il n’est pas cinéphile comme le sont habituellement les réalisateurs: c’est un pédagogue. Depuis la revue Starfix, c’est un homme qui transmet sa passion du cinéma. On s’est dit qu’il serait parfait pour le film, qu’il y verrait l’occasion d’adresser une salutation respectueuse au cinéma qui l’a en partie fabriqué.

La difficulté, en transposant Trois jours et une vie au cinéma, est de faire jouer à des enfants le meurtre qui déclenche l’intrigue. C’est une scène glaçante, dure à interpréter. 

Je n’y ai pas pensé une seule seconde. Je me suis dit qu’un bon metteur en scène devait être capable de bien diriger des enfants, et que, si ça ne fonctionnait pas, ce n’était pas parce qu’on s’était trompé d’enfants, mais de metteur en scène. Ce qui m’angoissait, plutôt, c’était le casting d’Antoine adulte. Comme on raconte trois jours et une vie, il fallait que l’histoire se passe sur une quinzaine d’années, avec deux acteurs différents, un jeune et un adulte. Je disais à Perrine qu’on allait avoir un problème, car aucun acteur majeur n'accepterait de commencer le film au bout de 45 minutes. J’en ai parlé à Nicolas, qui m’a dit que ça ne posait pas problème. Il a proposé le rôle à Pablo Pauly, qui sortait du succès de Patients et a accepté tout de suite.

Le livre a été comparé à Crime et châtiment de Dostoïevski.

Le livre n’était pas une variante sur Dostoïevski. Je n’avais pas l’immodestie de me mettre dans cette tradition littéraire. Maintenant, ce qui est juste, c’est qu’on est devant un crime et devant la question du châtiment. Et la question que posent le livre et le film, c’est cette idée que quand on échappe à ses juges, on n’échappe pas à son premier juge qui est soi-même. Quand on n’a pas de juge, on devient son propre bourreau. C’est ça l’idée. C’est assez dostoïevskien, pour le coup.

C’est une dureté que l’on retrouve souvent dans le cinéma sud-coréen, mais peu en France. Comment l’expliquez-vous?

Vous pensez à Parasite? Oui… Nous sommes dans des années de crise, des années incertaines, des années menaçantes - l’écologie arrive tard… le danger nous guette... on a l’impression que le compte à rebours a commencé, que la locomotive est en route, que personne ne peut l’arrêter… Ma tentation serait donc de dire que les gens sont tellement inquiets qu’ils ont envie de voir des comédies. Elles sont très bien nos comédies, mais quand je vois le public aller massivement ne voir quasiment que ça, j’ai l’impression que ce n’est plus une question de cinéma, mais de société. Il y a là quelque chose d’assez inquiétant du côté de la démission… (il s'arrête) C’est une hypothèse!

Trois jours et une vie parle aussi de catastrophe puisque la mort de l’enfant apparaît comme un signe annonciateur de la tempête de 1999.

Ce garçon refuse de dire la vérité et se sent en faute. Mon idée est qu’il est juste à un moment, intellectuellement, moralement, où lui et le lecteur le croient sauvé. Sauf que dans le livre, on est au milieu, et dans le film à 45 minutes… Que peut-il se passer maintenant? J’ai cherché une solution pour qu’il se croie lavé de cette faute. Lavé… la pluie.... J’ai pensé à la tempête de 1999 et j’ai décalé l’intrigue pour qu’elle commence deux jours avant la tempête.

Il y a beaucoup de différences avec le roman?

Il n’y a pas de modifications structurelles, sauf une. J’ai mêlé deux rôles en un, celui de la voisine et celui de la sœur de Rémi. En écrivant le scénario, on a senti que les personnages marchaient bien dans le roman, mais pas pour le cinéma, comme si le noyau narratif s’éloignait un peu. On a donc resserré l’intrigue sur un nombre restreint de personnages. Et c’est bien plus cruel comme cela… Antoine épouse donc la sœur de l’enfant qu’il a tué… 

Est-ce difficile d'imposer ce genre de détail cruel? 

Je ne vous cacherai pas qu’il y a eu des partenaires de production qui ont trouvé que la mort d’un enfant [était sordide]. Mais en même temps ces gens-là sont assez professionnels pour s’être rendu compte qu’il y avait une place pour ce cinéma-là, que ce n’était pas un crime gratuit, que ce n’était pas un film trash. Certes, il est âpre, mais on est dans un film moral.

Votre prochain roman sera le troisième volet de la trilogie débutée par Au revoir là-haut?

Oui. Ça s’appelle Miroir de nos peines et il va sortir au début du mois de janvier prochain. C’est un roman qui se passe en 1939-1940, à une période où la France est saisie par la panique, et qui a pour personnage principal la petite Louise, qui était dans Au revoir là-haut. Le deuxième volet de la trilogie, Couleurs de l'incendie, a été acquis par Gaumont. J’ai écrit une première version. Je ne sais pas qui réalisera, mais une chose est sûre: ce ne sera pas Albert Dupontel, qui a ses propres films à faire. On va voir comment iront les choses. Pour Miroir de nos peines, Gaumont est intéressé, mais comme la structure narrative est très différente des deux premiers livres, j’ai l’impression intuitivement que si ça doit passer à l’image ce sera plutôt sous la forme d’une série que d’un film. 
Jérôme Lachasse