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Cinéma

Philippe Katerine: "On ne joue pas de la même façon si on a mangé un filet de cabillaud ou une côte de bœuf"

Philippe Katerine et le frigo Yves

Philippe Katerine et le frigo Yves - Alain Jocard - AFP

Quatre mois après son César pour Le Grand Bain, l’acteur et chanteur revient au cinéma avec Yves, une comédie décalée où il donne la réplique à un frigo.

Philippe Katerine a une théorie. Pour lui, un acteur ne joue pas de la même manière selon le repas qu’il a eu. "On ne joue pas de la même façon si on a mangé un filet de cabillaud ou une côte de bœuf", affirme-t-il. "Ce n’est pas du tout le même jeu." Sur le tournage de son nouveau film, Yves, en salles ce mercredi 26 juin, la question a dû le tarauder plus que sur n’importe quel autre tournage puisque Katerine y partage la vedette avec Dora Tillier, William Lebghil et … un réfrigérateur. 

"Face à un frigo, c’est très particulier", assure l’acteur césarisé. "Nous, on y croyait. On était tout de suite dedans. Il n’y avait aucune raison de ne pas croire au frigo comme acteur. Les objets ne sont jamais inanimés. Je pense que dès qu’on a le dos tourné, ils commencent à bouger. Je crois beaucoup en cela. Je ne pense pas qu’un frigo soit immobile ou neutre. C’était d’autant plus facile à croire qu’il avait une voix, celle d’Antoine Gouy, un excellent comédien."

C’est presque une évidence de retrouver l’interprète de La Banane, dans ce film où un rappeur médiocre, Jerem (William Lebghil), devient une vedette non grâce à son producteur Dimitri (Katerine), mais à son réfrigérateur, doté d’une intelligence artificielle. Avec Yves, Philippe Katerine retrouve Benoît Forgeard, réalisateur de Gaz de France (2015) et auteur de comédies à l’humour absurde et poétique. Est-ce ce genre d’humour qu’il recherche?

"Oh, je ne recherche rien", répond-t-il d’une manière vague. "On me propose des choses, je dis oui ou non. Là, Benoît Forgeard, c’est quelqu’un que je connais. J’ai tourné avec lui Gaz de France. J’admire son travail. Je trouve qu’il est un de ceux qui proposent des films que l’on n’a jamais vus. C’est toujours surprenant, profond et drôle à la fois. Ça traîne une légère mélancolie. C’est donc quelqu’un qui me touche directement."

"J’ai une grande passion pour Seuls Two"

Philippe Katerine est un acteur fidèle et il aime s’entourer des mêmes réalisateurs: Forgeard, bien sûr, mais aussi Thierry Jousse (Je suis un No Man’s Land) et Ramzy (La Tour de Contrôle Infernale, Hibou). "C’est toujours bon signe, remarquez. Ça veut dire qu’on a passé un bon moment", souffle-t-il d’une voix délicate. Qu’est-ce qui séduit tant les auteurs? Son personnage burlesque un peu lunaire? Lui nie avoir une stratégie ou une technique et dit surtout pouvoir et vouloir tout jouer. 

On insiste: hormis Le Grand Bain, où son Thierry semble complètement perdu face à la société contemporaine, le chanteur semble avoir une prédilection pour des personnages autoritaires, avides de pouvoir, comme le colonel Janiouniou de La Tour de Contrôle Infernale ou Dimitri, le producteur de rap d’Yves. "Je prends autant de plaisir dans les deux: dans la victime comme dans le bourreau. Souvent, dans la vie, la victime devient bourreau et inversement", répond, lucide, ce fan de Daniel Clowes et Fabcaro

Si le musicien Katerine aime tout contrôler, au cinéma, l’acteur Katerine aime être dominé. Ses choix, qui oscillent entre comédies absurdes et œuvres plus grand public, témoignent de ses goûts personnels en la matière: Will Ferrell (Les Rois du Patin surtout), le site Funny or Die et Tim & Eric aux Etats-Unis ; Quentin Dupieux ("un génie") et "beaucoup de choses de l’ancien temps comme Louis de Funès" en France. 

Contrairement à ces créateurs de comédie, lui ne s’implique pas beaucoup dans l’élaboration de ses personnages: "Je prends le scénario comme il est. J’apprends le texte par cœur. Je ne me pose aucune question. J’obéis à ce qui est écrit et si je sens qu’il y a de l’espace pour une proposition, je me lance." Pour le colonel Janiouniou, un de ses rôles les plus fameux, il assure qu’il n’y a pas de secret et que seul "l’habit fait le moine: manteau de fourrure, sous-pull, grosse lunettes…" et il préfère louer le talent comique d’Eric et Ramzy: "Ça m’a beaucoup plu de jouer ce rôle. Pour moi, ce sont des maîtres en comédie. J’ai une grande passion pour Seuls Two qui reste un sommet."

"Dany Boon est un maître de la comédie"

Lui qui aime tant la mélancolie a pu jouer dans le plus mélancolique des films du duo: Hibou, réalisé par Ramzy: "C’est aussi la corde sensible de Ramzy qui, j’ai pu m’en apercevoir, trimbale cette mélancolie bouleversante. Le film est fidèle à ça." Yves s’inscrit dans cette veine mi-comique mi-dépressive, assez rare dans le paysage du cinéma français. "Les films aujourd’hui sont très bétonnés. Les scénarios ressemblent beaucoup aux films tournés", déplore celui qui partage l’affiche du Lion, la prochaine comédie de Dany Boon réalisé par Ludovic Colbeau-Justin

Bien que leur sensibilité soit très différente, Katerine n’a que de bonnes choses à dire sur le champion du box-office: "C’est un maître de la comédie. Il a le sens du timing. C’est un bon musicien, il a le tempo en lui. Il était fascinant à regarder. Dans ce film, qui est en cours de montage, il est très différent de ce qu’on a l’habitude de voir. Il est dans un registre d’homme virilisé, héroïque."

"Je veux un rôle clérical"

Après ce tournage, Philippe Katerine ne manque pas de projets. Il a quelques idées d’histoire, rapidement abandonnées: "Souvent, elles racontent que quelqu’un rencontre un problème dans sa vie, par exemple un accident cérébral, et soudain les gens s’intéressent beaucoup plus à lui." Ses histoires sont-elles des comédies? Des drames? "J’espère que ça fait au moins sourire", glisse l’acteur qui semble avoir acquis un nouveau statut dans le cinéma français depuis son César qu’il traite pourtant avec peu d’égard: "Je l’ai mis à côté de mon canapé, par terre. On ne le voit pas. Il faudrait que je m’en occupe, quand même." 

Il faut dire qu’en plus de ses films - il sera également à l’affiche de C’est quoi cette mamie?!, le 7 août prochain -, Katerine est occupé par son treizième album studio qui sortira à la fin de l’année. "Il est assez riche, dans le sens où il y a beaucoup de chansons. Il y a même beaucoup de chansons dans chaque chanson! Ce sont des chansons à tiroirs", explique-t-il d’un air mystérieux. Dans Le Point, il a parlé d’un album "agité". "Complètement", confirme le chanteur. "Ce n’est pas un disque tranquille. C’est le disque de l'intranquillité. Il est branché sur ce qui se passe [dans le monde], ce que je vois autour de moi." 

Malgré cette intranquilité, l’acteur-chanteur sait exactement le rôle qu’il rêve de jouer: "un rôle clérical", répond-t-il du tac au tac. "J’aime beaucoup La Messe est finie de Nanni Moretti. Le milieu clérical est stimulant, sur bien des points. Les gens sont pris par leurs contradictions. Pour jouer, je pense que c’est un milieu riche." Avis aux producteurs.

Jérôme Lachasse