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Paris est à nous: ce qu’il faut savoir sur le film événement de Netflix

Paris est à nous

Paris est à nous - Netflix

Paris est à nous, film très attendu tourné pendant plusieurs années dans le Paris post-attentats, est enfin disponible sur la plateforme de streaming Netflix. Rencontre avec ses jeunes auteurs.

C’est l’événement de ce vendredi 22 février. Le film Paris est à nous est enfin disponible sur Netflix, presque cinq ans après le début de son tournage. Imaginé notamment par la comédienne Noémie Schmidt et les producteurs Olivier Capelli, Laurent Rochette et le co-scénariste Paul Saïsset, ce projet soutenu en masse en ligne grâce à une campagne de financement participatif (91.500 euros récoltés) a marqué les esprits par ses images envoûtantes situées dans un Paris post-attentats.

Après un an de montage, le film sort enfin. Il raconte l’histoire d’amour entre deux jeunes Parisiens, Anna (Noémie Schmidt) et Greg (Grégoire Isvarine). Le couple se déchire alors que Greg décroche un nouveau travail à Barcelone. Elle décide finalement de le rejoindre, mais rate son vol. Lorsqu'elle découvre que son avion s’est écrasé, elle est prise dans le vertige d’une mort évitée de peu, confondant rêve et réalité.

Tourner dans la rue

Paris est à nous est un film sur un sentiment: celui ressenti par une génération née à la fin des années 1980 et au début des années 1990 lorsqu’elle a découvert pour la première fois en bas de chez elle, en janvier et novembre 2015, la mort. Bien que débuté quelques mois auparavant, en 2014, lors de la Fête de la musique, le tournage s’est adapté à cette nouvelle réalité.

L’idée, au départ, n’était pas de faire un film. Le quatuor voulait en réalité tester une nouvelle caméra très légère, la Black Magic Pocket. Puis est venue l’idée de raconter l’histoire d’un couple, en essayant de ne pas tomber dans les clichés du cinéma français.

"Ce que l’on voyait dans le cinéma français ne nous touchait pas trop. On voulait faire un film en réaction à un certain cinéma d’auteur parisien", explique Laurent Rochette. "On s’est demandé comment faire un film ambitieux, mais sans argent: en tournant là où le cinéma français va rarement, c’est-à-dire dans la rue, au contact de la foule, avec ce que l’on avait, utiliser toutes les contraintes pour en faire une force."

"Quand tu tournes dans une rue, tu dois la bloquer, tu dois la recréer", déplore à son tour Paul Saïsset. Ils ont donc regardé ce que faisaient leurs "aînés du temps de la Nouvelle Vague" et se sont lancés.

Paris est à nous
Paris est à nous © Netflix

Raconter notre époque

Ensuite est venue la fameuse question: que raconter sur l’époque? Sans scénario préconçu, la belle équipe a tourné à l’instinct, en improvisant les dialogues, portée par Noémie Schmidt et son "énergie débordante":

"J’ai envie de faire des cascades, de plonger dans le canal Saint-Martin, de courir, mais aussi de comprendre les enjeux de production: j’ai envie d’aller plus loin que ‘voici ta marque, voici ta réplique’", explique celle qui s’est également retrouvée à porter la communication du projet lors de la campagne de crowdfunding. "J’ai envie d’être créatrice aussi. C’était l’occasion de donner mon énergie, de la mettre au service d’un message que l’on portait tous: cette envie de raconter notre époque et d’exprimer cette peur qui nous a assaillis après les attentats, cette sensation d’avoir été à quelques centimètres de la mort."

Pour retranscrire le choc des attentats, ils ont cependant préféré le biais de la métaphore. "On trouverait complètement abject de faire un film qui recréerait le Bataclan", dit Laurent Rochette. Petit à petit l’envie de capter les événements historiques qui se déroulaient devant leurs yeux s’est imposée. Ne pas avoir de scénario préconçu leur a permis d’évoluer plus facilement avec l’époque et de mieux cerner ce qui s’y passait. "Il y avait sans cesse des sirènes, ça pétait partout", se souvient Olivier Capelli. "On a essayé de recréer avec le son cette espèce de sentiment de paranoïa qu’on avait dans Paris."

Se tenir prêt pour filmer

Pour capter ce sentiment, ils ont également fait quelque chose que le cinéma, et surtout français, fait rarement voire jamais, souligne Paul Saïsset: "se tenir prêt, disponible pour filmer quand il se passe des choses." L’équipe a capté d'autres événements marquants comme les manifestations contre la loi Travail, Nuit Debout et les obsèques de Johnny. Le plan où Anne/Noémie Schmidt remonte les Champs Élysées à contre-courant de la foule a été pris ce jour-là.

Paris est à nous
Paris est à nous © Netflix

En 2012, la réalisatrice Justine Triet a tourné avec plusieurs caméras des scènes de La Bataille de Solferino pendant l'élection de François Hollande. Paris est à nous suit ce modèle, à un détail près: une seule caméra dotée d’un grand angle a été utilisée. Et l’équipe n’avait aucune pression:

"On filmait avec la possibilité de rater un plan et de recommencer une semaine plus tard, de faire évoluer les personnages en même temps que le temps qui se passait", raconte Olivier Capelli: "Ce qui sortait sortait et puis s’il n’y avait rien, ce n’était pas grave: il n’y avait rien qui était attendu. C’est ça qui donne des séquences assez magiques, comme celle où Noémie court autour de la Place de la République vide. Il y avait que des CRS. Elle danse avec la caméra, les pigeons décollent."

Pensé pour le plus grand public, Paris est à nous est aussi un film pop, aux couleurs chatoyantes. Ses influences se nichent du côté des déambulations urbaines et romantiques de Before Sunset et Before Sunrise de Richard Linklater et des poèmes visuels de Terrence Malick (Tree of Life). On retrouve dans Paris est à nous plusieurs marques du vieux maître texan: les plans inversés où se réfléchissent au sol des ombres, les très gros plans, la voix off murmurée et écrite comme une prière.

"Hier, c’était du réel et aujourd’hui, c’est de la fiction"

En entremêlant fiction et réalité, grande et petite histoire, l’équipe de Paris est à nous a été prise par un vertige proche de celui vécu par son héroïne: "On était en montage avancé lorsque l’on a filmé le discours de Macron pendant les obsèques de Johnny. On a tourné, parce que c’était un événement de dingue: il y avait trois millions de personnes dans les rues. On a filmé et le lendemain, c’était dans le montage: hier, c’était du réel et aujourd’hui, c’est de la fiction", commente Paul Saïsset.

Paris est à nous
Paris est à nous © Netflix

Le titre "Paris est à nous" symbolise ce processus créatif: "il dit ‘empare-toi de ta ville, empare-toi de ta vie’", résume Noémie Schmidt, qui le voit comme un titre optimiste pour aider à "transcender la peur par la spiritualité, par la communion, par la fête". Intitulé au départ Paris est une fête, le titre a été changé car il ne "correspondait plus à l’époque post-attentats", précise Olivier Capelli. "On avait l’impression que l'atmosphère était en train de changer. On voulait parler de cette transition-là, que le titre Paris est à nous représentait beaucoup mieux". Et il permet de faire un clin d'œil à Paris nous appartient de Jacques Rivette, film phare de la Nouvelle vague.

Avant d’atterrir sur Netflix, et de pouvoir être vu dans 190 pays, le film a été présenté à des distributeurs français peu réceptifs, se souvient Laurent Rochette, qui précise qu’il s’agissait surtout de "gens de la génération de nos parents". "Ils ne comprenaient pas [ce que l’on avait fait] et voulaient adapter le film aux normes d’un certain cinéma français", complète Paul Saïsset. "Ils posaient des questions sur la deuxième partie, sur la voix off… On s’est senti plus à l’aise avec Netflix. Ils acceptaient le film tel qu’il était. On a eu le final cut."

Comme un pied de nez à l’industrie cinématographique traditionnelle, le film est signé d'un pseudonyme. Le nom d'Elizabeth Vogler, la réalisatrice de Paris est à nous, est ainsi une référence au personnage incarné par Liv Ullman dans Persona d’Ingmar Bergman: "On a une manière de travailler assez collective, sans être un collectif assumé. L’idée n’est pas de mettre en avant une personne, mais le projet, de sortir de la figure de l’auteur-réalisateur un peu sacrée." C’est aussi une autre manière, pour eux, de brouiller les pistes, comme dans leur film, entre fiction et réalité.

Paris est à nous
Paris est à nous © Netflix
Jérôme Lachasse