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"Parenthèse est un film qui n'aurait pas dû exister"

Une comédie populaire qui a été difficile à financer

Une comédie populaire qui a été difficile à financer - Jour 2 fête

Le 20 juillet sort en salles Parenthèse, première réalisation de Bernard Tanguy, ancien entrepreneur devenu producteur de cinéma. Interview.

BFM TV: Comment êtes-vous venu au cinéma?

Bernard Tanguy: J’ai toujours voulu faire quelque chose d’artistique. Lorsque j’étais étudiant, je voulais être chanteur de rock, mais il n’y avait pas d’école pour cela. J’étais bon élève, donc je me suis retrouvé à Polytechnique sans vraiment en avoir envie. Et puis, à l’X, les étudiants reçoivent un salaire, ce qui était important, car je venais d’un milieu modeste. J’ai ensuite créé ma société de conseil en télécoms, Siticom, qui a été rachetée par Devoteam en 2002. Avec l’argent que j’ai gagné dans la revente, je me suis lancé dans le cinéma pour en apprendre les mécanismes. Je suis d'abord devenu producteur, en créant une société de production, Rezina, puis un fonds, Garance Capital. Mais mon objectif était d’être auteur et réalisateur.

Parenthèse a-t-il été difficile à monter?

Oui. C’est un film hors système, qui n’aurait pas existé si je ne l’avais pas financé en partie avec mon propre argent. Pourtant, cela avait bien commencé. J’avais réalisé en 2013 un court métrage qui était un banc d’essai pour ce long. Ce court métrage avait été bien accueilli, et je me suis donc lancé dans la production du long.

D’emblée, j’ai voulu conserver les mêmes acteurs, qui étaient excellents et dont la bonne entente se voyait à l’image. Problème: ce sont des comédiens en majorité venus du théâtre qui ne sont pas des stars. Des producteurs m’ont fortement recommandé de les remplacer par des acteurs bankables ou d’accentuer le côté comique, mais j’ai refusé. Cela a profondément impacté l’économie du film: sans acteur bankable, pas de financement par une chaîne de télévision, pas de diffusion en prime time, pas de promotion télé… donc obligatoirement un budget réduit.

Les portes du cinéma commercial s’étant fermées, j’ai alors espéré voir s’ouvrir celles du cinéma d’auteur. Mais j’ai rencontré un autre problème: une comédie à vocation populaire ne peut pas être un film d’auteur –c’est en tous cas l’a priori du milieu. Ainsi, le CNC nous a par exemple refusé l’avance sur recettes, comme il le fait pour tous les films grand public. Certes, je comprends que les subventions soient réservées aux films fragiles. Mais ma comédie sans acteur bankable était aussi un film fragile. Et je pense qu’on peut faire des comédies populaires qui font réfléchir et passer des messages. Regardez Lubitsch, Capra, ou les films italiens des années 70 qui sont mes modèles: Monicelli, Risi, de Sica, Scola…

Bref, mon film ne rentrait dans aucune case. Le même problème s’est posé pour les festivals. Les festivals de films d’auteurs ne voulaient pas d’une comédie. Et les festivals grand public, comme Angoulême ou l’Alpe d’Huez, ne voulaient pas d’un film sans acteur bankable. Et le même problème se repose pour la sortie du film. Les gros distributeurs ne s’intéressent qu’aux films avec des acteurs bankables, et donc impossible de sortir le film dans un grand nombre de salles. Et les petits distributeurs ne savent bien 'marketer' que les films d’auteur. Heureusement, nous avons fini par trouver le distributeur Jour2fête, qui vient de sortir Merci patron! de François Ruffin.

Comment le film a-t-il été finalement financé?

Le budget était de 600.000 euros. Les producteurs ont apporté 460.000 euros. Nous avons aussi levé 27.000 euros via une campagne de crowdfunding sur Movie Angels. Enfin, nous avons reçu près de 100.000 euros d’aides publiques. Mais nous n’avons pas bénéficié d’aides des collectivités locales.

Qu’avez-vous voulu raconter dans ce film?

C’est d’abord une réflexion sur les cinquantenaires, un sujet qui me touche -j’ai 51 ans- et qui touche aussi mon frère aîné Hervé avec qui j’ai écrit le film. Ces cinquantenaires étaient adolescents dans les années 70-80, avant le sida et la crise. Ils ont donc vécu cette utopie d’un monde différent, moins compétitif, plus spirituel. Ils ont donc logiquement la nostalgie de cette époque, et des difficultés à s’adapter au monde moderne. Les trois hommes du film montrent les trois attitudes possibles: rejeter le système, s’y intégrer à moitié (en travaillant dans la recherche publique), ou s’y intégrer, mais au prix de lourds efforts et sans être heureux pour autant. D’où la crise existentielle du personnage principal. Cette crise devient critique à la cinquantaine car, à cet âge, le rêve d’avoir une vie différente devient peu crédible. Parallèlement, mon héros commence à ne plus se sentir aussi jeune, dans une société qui prône le jeunisme. D’où l’idée de le confronter à des jeunes filles de 20-25 ans…

Le film est aussi une réflexion sur la société de consommation. Le héros est à l’aise financièrement, mais n’est pas heureux pour autant. Il pense donc échapper à la société de consommation en faisant un tour du monde, et pour cela achète un voilier. Mais ce faisant, il consomme encore, il succombe au marketing de la liberté. Bref, la société de consommation récupère tout, y compris le désir d’échapper à la société de consommation. C’est aussi l’idée que j’ai développée dans mon court métrage de 2010 Je pourrais être votre grand-mère, où l’on voit que les idées les plus nobles sont récupérées par le système. "Même les SDF vont avoir besoin d'un mastère en marketing", comme le dit un des personnages.

Quels sont vos projets?

D’abord, je vais adapter en long métrage Je pourrais être votre grand-mère. Cette histoire, qui est l’histoire vraie de mon ami et co-scénariste Joël Catherin, avait touché les spectateurs. Le film voulait humaniser les SDF, lutter contre l’inhumanité dont ils sont victimes. Ce court métrage a rencontré un grand succès: il a reçu plus de 60 prix, il a été nommé aux César et pré-sélectionné aux Oscars. Pour le long, j’espère convaincre une tête d’affiche de tenir le rôle principal, ce qui permettrait d’avoir un budget plus confortable, autour de 4 millions d’euros. Vertigo a d’ores et déjà accepté de le produire.

J’ai aussi écrit deux autres scénarii. D’abord, Golden parachute, une comédie sur le milieu des grands patrons. Ensuite, Pour la patrie, les sciences et la gloire, qui raconte mes années étudiantes à Polytechnique. Mais c’est un film difficile à financer, car les personnages ont une vingtaine d’années, et il y a peu d’acteurs bankables de cet âge.

le financement de parenthèse

Co-producteurs: Garance Capital (200.000 euros), Rezina (160.000 euros), Maje (65.000 euros), et LaClairière (35.000 euros)

Crowdfunding (27.000 euros)

Aides: crédit d’impôt (85.000 euros), aide à la musique du CNC (8.000 euros), soutien automatique du CNC (4.000 euros)

Jamal Henni