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Michel Ocelot ouvre le Festival d'Annecy avec Dilili à Paris: "Je veux choquer un petit peu les gens"

Dilili à Paris de Michel Ocelot

Dilili à Paris de Michel Ocelot - Mars Distribution

Le réalisateur de Kirikou et la sorcière revient avec un conte situé à Paris pendant la Belle époque. Pour BFMTV, il retrace les coulisses de ce nouveau film, présenté en juin 2017 en avant-première au festival d'Annecy.

Michel Ocelot est de retour. Le réalisateur de Kirikou et la Sorcière sort ce mercredi 10 octobre son nouveau long-métrage, Dilili à Paris. Présenté en juin en avant-première au festival d'Annecy, ce conte mêlant 2D, 3D et photographies de lieux réels raconte, dans le Paris de la Belle Époque, l’enquête d’une jeune canaque sur une secte qui kidnappe des fillettes.

A travers son nouveau film, Michel Ocelot a voulu rendre hommage à la ville-lumière. "J'ai pensé à Paris, parce que, avec mes films, j’expose tout ce qui est magnifique sur la planète et dans l’Histoire", nous dit le conteur. La Belle Époque s’est imposée naturellement, explique-t-il en souriant: "C’est la dernière époque où les dames portent des robes jusqu’à terre: c’est comme ça que l’on fait rêver".

"Exposer les horreurs que les hommes font aux femmes"

En se penchant sur l’époque, il a été frappé de découvrir qu’une "grande partie des gens que l’on admire vient de cette époque": Marie Curie, Pasteur, Sarah Bernhardt, la cantatrice Emma Calvé, Chocolat, Toulouse-Lautrec… Tous jouent une rôle important dans l’enquête que mène la jeune Dilili. Pas besoin, cependant, de les connaître pour apprécier le film, selon Michel Ocelot:

"La connaissance de ces grands noms n’est pas nécessaire à la compréhension de l’aventure. C’est juste des gens intéressants que l’on rencontre et qui apparemment travaillent bien. Mais je sème des petites graines, et certaines pousseront".

A ce portrait de Paris en capitale intellectuelle du monde occidental, il a ajouté "un truc sensationnel", soit l’arrivée des femmes au premier plan, avec comme ambition à travers son film "d’exposer toutes les horreurs que les hommes font aux femmes". Il ajoute, citant le rapport de l’observatoire des violences faites aux femmes:

"En France, tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son compagnon. Le nombre des femmes tuées ordinairement dépasse de loin le nombre des morts par les guerres et les attentats. Il ne faut plus faire comme si on ne savait pas."

Dilili à Paris de Michel Ocelot
Dilili à Paris de Michel Ocelot © Mars Distribution

"Célébrer une civilisation que certains veulent détruire"

Le conteur n’hésite pas à devenir moraliste, notamment lors d’une séquence très sombre, sans doute la plus dure qu’il ait réalisée, où Dilili découvre les agissements de la secte contre les fillettes kidnappées. "C’est ça qu’il faut faire: donner un coup de poing dans le ventre des spectateurs", commente Michel Ocelot. "Il est temps de le faire. Je veux choquer un petit peu les gens. Si je ne fais que du mignon tout le temps…" Soucieux tout de même de l’effet que peut avoir cette séquence sur les jeunes spectateurs, Michel Ocelot se demande à partir de quel âge les enfants peuvent voir Dilili à Paris:

"Je pensais que les distributeurs seraient inquiets. Ils m’ont dit: 'mais non, les enfants voient tout aujourd’hui'. Mais je continue à poser la question et je souhaite un âge-limite sur les affiches, parce que je ne veux pas risquer d’inquiéter les petites filles. Je montre des femmes bafouées. La séquence était beaucoup plus dure au départ. Je l’ai réduite pour que l’humiliation ne dure pas trop longtemps."

La secte des Mâles-Maîtres, qu’il a inventée, n’a pas été inspirée par Boko Haram. "Je l’ai écrit avant", précise le cinéaste. "C’est effrayant. J’ai inventé les Mâles-Maîtres pour représenter tous les hommes qui se tiennent mal". Étalée sur six ans, la production n’a pas été influencée également par les attentats qui ont frappé la capitale. "Je me suis dit, nous allons célébrer une civilisation que certains veulent détruire et ils n’y arriveront pas".

Dilili à Paris
Dilili à Paris © Mars Distribution

Un monde féerique

Pour reconstituer la splendeur du Paris de la Belle Époque, Michel Ocelot est allé à la recherche, dans le Paris d’aujourd’hui, des traces du passé:

"Il y en a beaucoup. Tout ce que je montre, on peut le voir aujourd’hui. C’est aussi un de mes désirs en faisant des films: montrer aux gens ce qu’il y a de beau à notre portée. Ce n’est pas des vagues rêveries poétiques, je donne mes bonnes adresses", dit cet homme-orchestre qui, outre la mise en scène, assure aussi l’écriture du scénario et des dialogues et dessine le storyboard et les 150 personnages nécessaires à l’intrigue.

Michel Ocelot a donc photographié Montmartre, l’Opéra Garnier ou encore la place de Concorde, avant d’ajouter dans ses clichés ses personnages. Après plus de quarante ans de carrière, cette utilisation inédite de la photographie dans son travail l’a aussi conduit à renouveler son vocabulaire visuel et à prendre en compte l’espace tridimensionnel - "ce que je ne faisais pas quand j’inventais les décors en dessin", précise-t-il.

Subjugué par la beauté des monuments parisiens, au point de refuser de les dessiner dans son film, Michel Ocelot n’oublie pas, en bon conteur, d’imaginer des endroits étonnants lors de scènes féeriques. La première se situe dans une salle bleue abritant un lac caché sous l’Opéra Garnier: "Pour moi, le bleu, c’est la féerie", commente le cinéaste. La seconde est une déambulation dans l’appartement reconstitué de Sarah Bernhardt où Dilili, chevauchant un léopard, visite un splendide jardin d’intérieur.

Dilili à Paris
Dilili à Paris © Mars Distribution

"Parfois, la vie se révèle satisfaisante"

De la Belle Epoque, Michel Ocelot ne montre pas que la beauté. "Parfois, la vie se révèle satisfaisante", lance Dilili au cours du film. "Elle ne se fait pas d’illusion", analyse Michel Ocelot. "La vie est aujourd’hui satisfaisante, mais on va voir ce qui va arriver." Dilili est en effet confrontée tout au long du film au racisme de son époque, notamment par l’intermédiaire du personnage de Lebeuf, un vulgaire chauffeur qui s’humanisera au fil du film.

Autre témoignage du racisme affronté par Dilili: le zoo humain. "Dès que l’on parle de ces reconstitutions, tous les étendards se lèvent, mais je pense qu’il y a eu des côtés positifs à ces villages", assure Michel Ocelot, qui a choisi d’ouvrir son film sur une scène où Dilili se trouve dans un de ces zoos humains. Il ajoute:

"L’Occident a vu autre chose que des Occidentaux. Et je ne pense pas qu’ils les méprisaient à chaque fois. Ces villages ont permis aux artistes occidentaux de progresser, que ce soit en arts plastiques, en danse ou en musique. Il y a eu des horreurs, mais tout n’est pas mauvais et il ne faut pas oublier que la plupart avait des contrats et étaient payés". C’est le cas de Dilili.

Dilili à Paris
Dilili à Paris © Mars Distribution

"Dessine et ne t’arrête pas"

Qu’il montre le pire ou le meilleur, Michel Ocelot souhaite avant tout livrer la reconstitution la plus fidèle de Paris et rendre hommage à la beauté d’une civilisation. Chez lui, la féerie et le romanesque l'emportent toujours sur le reste.

Comme à chaque fois chez le réalisateur, on retrouve aussi des personnages animés avec beaucoup de finesse et de délicatesse. "Dilili saute très bien à la corde", s’amuse le cinéaste, dont les personnages, à l’exception de Lebeuf, s’expriment également d’une voix calme et posée. "Dilili ne rate aucune liaison, ce que moi je ne fais pas", précise Michel Ocelot. "J’aime bien que, lorsqu’on parle, on parle bien et qu’on se fasse comprendre tout de suite, sans avoir à faire répéter".

Autre conseil de Michel Ocelot, qu’il place dans la bouche de Toulouse-Lautrec: "Dessine et ne t’arrête pas". "C’est ce que je dis quand on me demande des conseils. C’est tout simple: si on veut être bon, il faut l’être sans arrêt", indique Michel Ocelot, qui travaille désormais avec des animateurs qui ont découvert, quand ils étaient enfants, ses films. "Dilili à Paris a été fait avec de jeunes adultes assez étonnés de travailler pour moi, parce qu’ils ont grandi avec Kirikou, Azur et Asmar, Princes et Princesses. C’est un des côtés émouvants de ma vie".

Jérôme Lachasse