BFMTV
Cinéma

Michel Leclerc, réalisateur de La Lutte des classes: "dans les quartiers mixtes, la rue est plus mixte que l’école"

Edouard Baer, Tom Levy et Leïla Bekhti dans La Lutte des classes

Edouard Baer, Tom Levy et Leïla Bekhti dans La Lutte des classes - UGC

Le réalisateur sort ce mercredi 3 avril son nouveau film, La Lutte des classes, avec Edouard Baer, Leila Bekhti et Ramzy. Il y explore le conflit entre les enseignements public et privé.

Après Le Nom des gens et Télé gaucho, Michel Leclerc continue d’explorer au cinéma les contradictions de la gauche. Dans son nouveau film La Lutte des classes, au cinéma ce mercredi 3 avril (et disponible le 7 août en DVD, Blu-ray et VOD), le réalisateur met en scène les différences entre les enseignements privé et public. Portée par Edouard Baer, Leila Bekhti et Ramzy Bédia, cette comédie tournée à Bagnolet raconte les doutes d’un couple. Fermement attaché à la mixité sociale, ils songent à se détourner de l’école publique du quartier pour leur fils dans une école privée.

Écrit par Michel Leclerc et sa scénariste et compagne Baya Kasmi, La Lutte des classes est né de l’envie de raconter l'angoisse des parents à l'idée de laisser leurs enfants à l’école: "On s’est aperçu que la peur que l’on pouvait avoir pour nos enfants par rapport à l’école avait pris une grande place dans nos vies et que ce sentiment pouvait être assez universel", raconte le réalisateur. "N’importe quel parent a peur pour ses enfants à l’école - entre autres parce que nous ne sommes pas dans l’école."

"On a voulu inscrire le film dans une période post-attentat"

Il y avait aussi matière à produire "un vrai sujet sur l’état de l’école aujourd’hui" et sur l’opposition entre le privé et le public, ajoute Michel Leclerc: "Beaucoup de parents évitent absolument de mettre leurs enfants dans l’école dont ils dépendent. On s’est dit que c’était un vrai sujet de société, parce que c’est un mouvement qui prend une ampleur très grande. On a voulu savoir ce qu’il y a derrière ce mouvement: quelle part il y a de peur, quelle part il y a de réalité. Et, surtout, ce que ça va donner si les enfants grandissent dans des écoles séparées." Dans le contexte de l’après-Charlie, ce sujet a pris une autre dimension:

"On a voulu inscrire le film dans une période post-attentat, où la peur prend le pas sur la raison", commente le cinéaste. "On avait appelé le film au départ Le Syndrome du cockpit. Après les attentats du 11 septembre, on a décidé de mettre des portes blindées et des verrous dans tous les avions pour éviter que des terroristes puissent entrer dans les cockpits. Et puis, un jour, un pilote allemand dépressif en a profité pour fermer la porte et précipiter l’avion sur une montagne [Le crash du vol 9525 de Germanwings en septembre 2013 par Andrea Lubitz, NDLR]. Il y a cette idée qu’en voulant tout sécuriser on crée des risques plus grands que ceux que l’on veut éviter. On est un peu dans cette société-là."

"Si l’école n’est plus représentative du quartier, c’est grave"

L’école publique de Bagnolet où se déroule l’intrigue de La Lutte des classes - et qui existe réellement - devient la métaphore de ces dérives sécuritaires: "il y a des travaux de sécurisation dans l’école, on met des barreaux, des portes opaques et finalement, quand il y a un problème, c’est à cause des barreaux qu’on ne peut plus rentrer dans l’école. Plus on a peur, plus on essaye d’éviter tous les risques et on prend peut-être un risque plus grand", analyse Michel Leclerc.

Et de s'interroger: "Le fait que les enfants de différentes classes sociales ne puissent plus se rencontrer à l’école, parce que les parents ont peur des autres, est-ce que ça ne crée pas un danger plus grand dans vingt ou trente ans?" C’est ce que laisse supposer le personnage joué par Leïla Bekhti, avocate qui défend l’école publique et l’égalité des chances: "C’est la rupture du pacte républicain", proclame-t-elle lorsque son mari envisage d’inscrire leur fils dans une école privée:

"Je suis fils de profs, j’ai toujours été dans le public, je pense que le public est l’endroit où les enfants doivent côtoyer des enfants qui ne sont pas de leur milieu", plaide Michel Leclerc. "Ce n’est pas le cas à Bagnolet, où on a tourné. Ce n’est pas le cas non plus dans les écoles de Neuilly. Ce qui est plus grave, c’est que dans les quartiers mixtes, la rue est plus mixte que l’école. Si l’école n’est plus représentative du quartier, c’est grave."
Edouard Baer, Tom Levy et Leïla Bekhti dans La Lutte des classes
Edouard Baer, Tom Levy et Leïla Bekhti dans La Lutte des classes © UGC

"Filmer la banlieue comme un lieu où il fait bon vivre"

Michel Leclerc voit dans ce système une forme de ségrégation: "Dans une société comme la nôtre, avec beaucoup de tensions, il y a pour moi une injustice fondamentale: le fait qu’une école privée puisse choisir ses élèves. À partir du moment où l’école privée représente entre 20 et 30% des élèves à Paris, ce qui est énorme, ça fait une ségrégation de fait. À partir du moment où une école peut choisir ses élèves, il n’y a plus d’égalité."

Cette rencontre des différentes classes sociales est au cœur du travail du réalisateur: "Il n’y a que ça qui puisse faire société. Il ne s’agit pas que tout le monde soit d’accord - c’est clair dans le film du début à la fin, les gens ne sont pas d’accord entre eux. Il ne s’agit pas de délivrer un message cucul. À partir du moment où on a conscience que toute solution est collective, on peut encore espérer quelque chose."

Le cinéaste, qui a vécu une dizaine d’années à Bagnolet et a filmé les habitants de la ville, a voulu retranscrire cet optimisme en images: "Je voulais faire un film sur la banlieue qui ne soit pas glauque, où il y ait de la couleur, de la gaieté. C’est un lieu très mixte dans tous les sens du terme - y compris pour l’architecture. On passe d’un petit pavillon à une tour. C’était une question politique de filmer cette banlieue comme un lieu où il fait bon vivre."

Jérôme Lachasse