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Mamoru Hosoda, aux Oscars avec Miraï: "Je pensais que les Américains n’aimaient pas ce genre de films"

Miraï

Miraï - Wild Bunch

Le réalisateur japonais, en lice pour les Oscars avec Miraï, ma petite sœur, revient sur le succès de son film, ses relations avec Hayao Miyazaki et l'état de l'animation japonaise.

En lice pour les Oscars avec Miraï, ma petite sœur, Mamoru Hosoda est à l'honneur de la rétrospective "100 ans de cinéma japonais: Japon aujourd’hui" du mercredi 6 février au mardi 19 mars 2019 à la Maison de la Culture du Japon (MCJ) à Paris et la Cinémathèque française.

De passage à Paris cette semaine pour présenter son célèbre film Les Enfants Loups (le film sera à nouveau diffusé le samedi 2 mars à la MCJ), Mamoru Hosoda est l'un des cinéastes mis à l'honneur de Japonismes 2018, une série d’événements célébrant la richesse de la culture japonaise à l’occasion du 160e anniversaire des relations diplomatiques de la France et du Japon.

A cette occasion, Mamoru Hosoda revient pour BFMTV.com sur le succès de Miraï, ma petite sœur, ses relations avec Hayao Miyazaki et l'état du cinéma d'animation japonais.

Miraï rencontre un grand succès dans le monde. Après une nomination aux Golden Globes, le film est en lice pour les Oscars.

Tout a commencé à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs. Je savais que Miraï pouvait plaire au public européen, et notamment français, mais je ne m’attendais pas à ce que les Américains puissent l’aimer. Je pensais qu’ils n’allaient pas du tout comprendre mon film, qui est loin des canons hollywoodiens. C’est un film dont les personnages principaux sont des enfants et pourtant il n’y a aucune histoire d’aventure. Il n’y a pas de scènes d’action, de catastrophes, rien de spectaculaire. Je pensais que les Américains n’aimaient pas ce genre de films dans lesquels il ne se passe rien.
C’est pour cela que, très spontanément, quand je présentais le film, je prévenais les spectateurs pour ne pas les décevoir. Finalement, les Américains ont beaucoup aimé la relation familiale, l’amour que les parents portent à leurs enfants. Je me suis rendu compte que j’avais des préjugés sur les Américains. Les autres films nommés [pour l’Oscar du meilleur film d’animation] sont principalement des histoires de super-héros: Spider-Man, Les Indestructibles, Ralph 2.0… Un des enjeux de cette sélection, pour moi, est: est-ce que le cinéma d’animation doit raconter uniquement des histoires avec un héros ou non? Je pense que les personnes qui participent à la sélection des Oscars se posent cette question.

Miraï
Miraï © Wild Bunch

Au début de Miraï, il y a un effet très impressionnant où le petit garçon, Kun, fait de la buée sur une vitre. Comment l’avez-vous réalisé?

Je voulais surprendre le public dès le début du film et c’est un plan idéal pour cela. Il montre les qualités de tous les départements de l’animation. Avant de parler de la buée, l’animation de ce garçon est extraordinaire. C’est la première fois que le personnage de Kun apparaît dans le film. Le mouvement de la main, la profondeur de champ entre la main et le visage... tout est très millimétré. Pour réaliser la buée, le directeur des images de synthèse, M. Horibe, a beaucoup travaillé. Il a un enfant de l’âge de Kun. Il lui a donc demandé de faire exactement la même chose que dans le film: souffler sur la vitre quand il fait froid. Et il a ensuite reconstitué la scène à partir de son fils.

Il y a une autre scène où Kun découvre sa petite sœur Miraï et lui agrippe la main. Comment fait-on pour reproduire le mouvement d’une main de bébé?

Réaliser le mouvement d’un bébé en animation, c’est extrêmement difficile. Je voulais absolument faire ressortir le côté très doux de la main de Miraï. Pour cela, il fallait un réalisme parfait. Quand on est devant un bébé, il apparaît comme une créature presque irréelle. Il est tellement beau… Je voulais montrer cette beauté au public avec le réalisme. Pour cela, il ne fallait pas filmer un vrai bébé et le mouvement de la main. Il fallait au contraire s’inspirer de notre vécu. Ma fille était bébé à l’époque et l’animateur qui a travaillé sur cette séquence, M. Hamada, avait lui aussi un enfant en bas âge. Nous avions cette expérience personnelle qui nous a aidés et a rendu possible ce plan. Avec les animateurs, nous avons regardé le mouvement des enfants [pendant la production de Miraï]. J’ai fait venir mes propres enfants au studio pour que les animateurs les observent, les dessinent. Ils les ont pris dans leurs bras, ils leur ont touché les cheveux… C’est comme cela qu’ils ont senti les enfants et que nous avons pu réaliser le film.

Le Garçon et la Bête de Hosoda
Le Garçon et la Bête de Hosoda © Gaumont

Les arrière-plans de vos films sont au Japon les derniers à être réalisés à la main.

On travaille avec des papiers et de la peinture, ce qui est devenu de plus en plus rare. Malheureusement, je pense que mon film Miraï, avec le film en train de se faire au studio Ghibli, est vraiment le tout dernier film fait à la main. Évidemment, Miyazaki continue avec cette méthode, mais ce sera le dernier, puisqu’il n’y a plus du tout d’animateurs qui travaillent à la main. Maintenant, tout le monde est passé au numérique. Il n’y a même plus du tout de peinture au studio. Cette évolution technique, on n’y peut rien. On est complètement envahi par l’arrivée du numérique. Je suis dépité. C’est dommage.

Votre prochain film sera donc réalisé en numérique?

C’est mon souci. Mais qu’est-ce-que je dois faire? Jusqu’à maintenant, je travaillais avec des décors faits à la main et maintenant je suis obligé de passer au numérique, mais pour cela il faut une raison. Il faut que ce soit justifié. Jusqu’à présent, je tenais au papier, à la peinture et à l’esthétique de ces outils-là. On ne peut pas traiter tous les sujets en images de synthèse.
Les affiches du Château ambulant et de Your Name.
Les affiches du Château ambulant et de Your Name. © Ghibli / Eurozoom

Vous avez travaillé avec Miyazaki sur Le Château ambulant. Pourquoi cela n’a-t-il pas fonctionné?

C’était en 2000. J’avais 33 ans et j’étais jeune. Je n’avais pas une longue carrière. Je n’avais réalisé qu’un court-métrage Digimon. Le producteur du studio Ghibli, Toshiro Suzuki, m’a contacté pour réaliser Le Château ambulant, mais dans le style de Miyazaki. À l’époque, je voulais réaliser mon propre film et non celui de Miyazaki. Donc je n’ai pas pu répondre à la demande du producteur et je me suis retiré. Si j’avais accepté de faire Le Château ambulant dans le style de Miyazaki, je n’aurais jamais fait les films que j’ai faits plus tard. Un réalisateur, c’est quelqu’un qui fait ses propres films et pas ceux des autres.

Le cinéma d’animation japonais a-t-il changé depuis l’immense succès de Your name. de Makoto Shinkai?

Je pense que rien n’a changé. Dans Your Name., il n’y avait rien de nouveau par rapport à l’histoire du cinéma et du cinéma d’animation. C’est vrai qu’il a rencontré un très grand succès, mais il a répété plein de choses qui avaient déjà été faites. Le succès énorme de ce film n’a pas changé l’industrie de l’animation. Une des caractéristiques du cinéma japonais, ce sont justement les personnages qui sont tout le temps des adolescents. C’est justement pour cette raison, pour aller à contre-courant, que j’essaye de proposer un autre cinéma. C’est pour cette raison que je prends un garçon de quatre ans comme personnage principal ou une maman qui élève ses enfants… J’essaye de proposer autre chose. J’ai déjà des idées pour mon prochain film. Il sera très différent de Miraï.

Jérôme Lachasse