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Après ses souvenirs de Charlie Hebdo, Luz sort une BD sur Marilyn Monroe

Marilyn Monroe par Luz

Marilyn Monroe par Luz - Futuropolis

L’ancien dessinateur de Charlie Hebdo revient avec Hollywood menteur, une nouvelle BD où il évoque le tournage chaotique de Misfits, classique des années 1960 avec Marilyn Monroe, Clark Gable et Montgomery Clift.

Pendant des années, Luz n’a jamais regardé en arrière: "Je n’avais aucune notion de mon passé." Depuis 2015, il ne cesse pourtant de l’explorer. Après avoir évoqué l’antisémitisme au début du XXe siècle (Ô vous frères humains, d’après Albert Cohen) et ses années Charlie Hebdo (Indélébiles), le dessinateur publie Hollywood menteur, "chronique hallucinante et hallucinée" du tournage de Misfits, le mythique dernier film de Marilyn Monroe où elle côtoie Clark Gable, Eli Wallach et Montgomery "Monty" Clift devant la caméra de John Huston. "Je suis un nostalgique des époques que je ne connais pas", concède le dessinateur qui expose et vend pour la première fois ses planches à la galerie Huberty Breyne à Paris.

Conçu dès 2016, soit avant Indélébiles, Hollywood menteur en partage la thématique principale, résume Luz: "vaut-il mieux être un symbole mort ou un survivant qui disparaît?" Après avoir été un monument à la rédaction de Charlie Hebdo, devenue malgré elle un symbole national, Luz restaure l’icône Marilyn Monroe et la libère des clichés en la représentant pour la première fois en colère.

Tout a commencé avec une autre icône: Furyosa, incarnée par Charlize Theron dans Mad Max Fury Road. Contacté par les Cahiers du cinéma pour réaliser la couverture du numéro de décembre 2015, Luz a choisi Furyosa comme symbole de cette année éprouvante. "2015, c’était Mad Max, une année où on a couru à en perdre haleine sur un chemin en pente. On s’est cassé la gueule, forcément, puis on s’est relevé, on s’est recassé la gueule et on s’est relevé. C’était ça, pour moi, 2015." Le cri de Furyosa est similaire à celui que pousse Marilyn Monroe quatre ans plus tard sur la couverture de Hollywood menteur: "Ce sont deux colères face à un monde qui s’écroule."

Furyosa et Marilyn par Luz
Furyosa et Marilyn par Luz © Cahiers du Cinéma / Futuropolis

"On ne se ressemble pas quand on est en colère"

Là s’arrêtent les ressemblances entre les deux femmes: "Charlize Theron a vraiment face à elle la stupeur de la vanité de la vie, tandis que la colère de Marilyn est plutôt une réponse face à la pression que Hollywood lui a fait subir, à la maltraitance des hommes, à la douleur de cette endométriose dont elle souffrait - ce que l’on a appris il y a seulement dix ans", explique le dessinateur qui reste fasciné par les femmes en colère et a confié la postface de la BD à Virginie Despentes.

Dans une séquence mémorable de Misfits, Marilyn Monroe s'énerve pour la première fois à l'écran. Filmée de loin par John Huston, cette scène qui montre l'actrice traiter de "menteurs" Clark Gable, Montgomery Clift et Eli Wallach obsède Luz. Il a tenté de s’approcher du visage irrité de l’actrice pour représenter ce que personne n’avait vu. Une tâche quasi impossible:

"Ça reste une représentation. Je reste quelqu’un d’extérieur. Je ne peux pas comprendre absolument la colère de Marilyn”, dit-il avant d’ajouter: “Je me suis rendu compte que je n’arrivais pas à la dessiner en colère. J’ai passé une journée à pisser de la copie, à me mettre dans une espèce de transe pour essayer de voir si je pouvais la faire ressemblante. Au final, je crois qu’elle n’est nulle part ressemblante. On ne se ressemble pas quand on est en colère. On exprime quelque chose d’autre."

Portrait de Marilyn Monroe, Hollywood menteur est aussi un hommage à l'acteur Montgomery Clift, dont la mort a coïncidé avec une diffusion TV de Misfits en 1966. Une scène qui ouvre la BD. Promis à un grand avenir dans le cinéma, il a eu la vie et la carrière brisées par un accident de voiture, comme James Dean. À la différence de l’acteur de La Fureur de vivre, devenue une légende après sa mort prématurée, Monty Clift a été défiguré, sombrant progressivement dans la drogue. Luz en fait son héros tragique et imagine James Dean tel un ange noir, concassé dans sa voiture, venant le tourmenter. C’est avec cette image en tête qu’il a proposée aux Cahiers du Cinéma une prépublication.

Le début de Hollywood menteur de Luz
Le début de Hollywood menteur de Luz © Futuropolis

Conçu en flashback, Hollywood menteur se présente donc à la fois comme un making-of de Misfits et un fantasme de Montgomery Clift qui revit au seuil de sa mort le tournage du film. Ce récit non linéaire symbolise aussi la nouvelle vie de Luz, où passé, présent et futur ne forment plus qu’un dans son esprit. Une interprétation qui séduit le dessinateur, tant elle colle à sa vision du monde: "Je reste persuadé que la réalité est toujours plus belle quand on insuffle beaucoup d’imaginaire en elle, même si c’est du cauchemar. Je crois que la réalité est plus supportable si tu en fais un cauchemar, parce que ça soulage quand même."

"Marilyn ressemble à toutes les femmes que je connais"

Luz, pourtant, ne fait "pas vraiment de cauchemars". Il a souvent répété cette phrase pendant la promotion d’Indélébiles, dont le récit est composé de souvenirs qui lui reviennent pendant une nuit d’insomnie. S’il ne fait pas de cauchemars, il ne peut pas en dire autant de ses personnages: "Peut-être que je fais des cauchemars par procuration. Peut-être que Marilyn crie par procuration. Et c’est sûr que Monty se pose les questions auxquelles j’essaye de répondre." Son idée de mettre en couple dans la BD les doublures de ces deux stars s’inscrit dans cette réflexion: "L’idée qu’il y a quelque part quelqu’un qui vit ta propre vie, qui essaye peut-être d’en faire quelque chose de mieux ou de moins pire me rassure. Cela veut dire que je ne suis pas tout seul à me démerder avec mes propres problèmes.”

Depuis Catharsis, Luz n’utilisait plus de cases. Personnages et bulles se mêlaient sur ses pages pour combler les vides. Dans Hollywood Menteur, il retrouve le goût de dessiner ses personnages dans des cases traditionnelles de BD: "Il y avait peut-être besoin de circonscrire un petit peu plus la liberté des personnages et la mienne", commente-t-il, avant de préciser: "Ce n’était pas forcément un besoin de revenir à la BD. C’était vraiment un moyen de dire que pendant plusieurs bouquins j'avais eu besoin de m’exprimer, de faire éclater la case, mais que, maintenant, la case n’est pas à mon service: elle raconte l’histoire des personnages et celle d’un enfermement."

Le casting de Misfits par Luz
Le casting de Misfits par Luz © Futuropolis

Représenter des stars d’Hollywood n’a pas été facile: "Clark Gable est hyper difficile à dessiner. Je crois que je n’ai jamais réussi à le faire comme je voulais. Je n’ai jamais réussi à trouver le regard exact qu’il avait", estime Luz, avant de glisser: "Peut-être tant mieux." Pour Marilyn Monroe, il a suivi la même ligne: "J’ai assumé qu’elle était indessinable, parce que je voulais dessiner une Marilyn proche de ce que j’imagine. Elle ne pouvait pas ressembler aux photos. Cela aurait été une hérésie. Pour la dessiner, le plus important n'est ni la bouche, ni le nez, ni la coiffure, mais le regard." Sa Marilyn ressemble ainsi dans certaines scènes à Madonna et dans d’autres à sa femme. "Ça a du sens de se dire que Marilyn ressemble à toutes les femmes que je connais", analyse Luz. Il n’y a en effet pas de hasard dans son œuvre.

Dans Catharsis, conçu immédiatement après le 7-Janvier, il avait déjà dessiné dans les dernières pages une Marilyn en train de lui susurrer Joyeux anniversaire avant de disparaître. Hollywood menteur sonne à la fois comme une revanche pour l'actrice et un clin d’œil à un souvenir personnel qui l’a aidé à tenir pendant ces années difficiles: "Dans Catharsis, j’imagine Marilyn chanter Joyeux anniversaire tel que ma femme l’avait fait le jour du 7-Janvier [il s’agit aussi de la date de son anniversaire, NDLR]. C’est une drôle d’image sortie de nulle part. Peut-être que ce fantasme d’une Marilyn qui chante joyeux anniversaire un 7 janvier est celui auquel je me suis raccroché pendant pas mal d’années." Ce passé est à présent derrière lui. Il se tourne désormais vers le futur et pense déjà à son prochain livre où il espère enfin apprendre à maîtriser la couleur.

Hollywood menteur, Luz, Futuropolis, 100 pages, 19 euros. Expo-vente à la galerie Huberty Breyne à Paris (75001) du 5 avril au 4 mai.

Jérôme Lachasse