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Cinéma

Centenaire de Lino Ventura: le catcheur italien devenu l'un des acteurs préférés des Français

Lino Ventura en 1980

Lino Ventura en 1980 - Michel Clément - AFP

Le mythique acteur des Tontons flingueurs et de Garde à Vue est né en 1919. Portrait d'un monstre sacré aussi populaire que pudique.

Il y a cent ans, le 14 juillet 1919, naissait à Parme en Italie un des acteurs les plus appréciés du cinéma français: Lino Ventura. Son pays d'adoption ne l'a pas oublié: après une rétrospective à Pontarlier en mars, les éditions Glénat publient une BD d'Arnaud Le Gouefflec et Stéphane Oiry, Lino Ventura et l’œil de verre, qui tente de percer le mystère de ce monstre sacré aussi populaire que pudique. 

Ses premières années ressemblent à une fresque hollywoodienne. Contraint de fuir avec sa famille l'Italie de Mussolini, il débarque à l'âge de huit ans à Paris. Enrôlé dans l'armée italienne pendant la Seconde Guerre mondiale, il déserte en 1943 pour retrouver sa femme. Après la guerre, il se lance dans le catch et devient champion d'Europe. Le rêve se brise lorsqu'il se blesse à la jambe.

Reconverti en manager de catcheurs, il décroche en 1953 un second rôle dans Touchez pas au grisbi de Jacques Becker, un polar avec son idole Jean Gabin. Pour son salaire, il y va au culot et demande un million de francs, un cachet de star... qu'il décroche. Sa carrière est lancée. Son jeu séduit aussitôt, son talent dramatique semble inné, se rappelle le scénariste Jean-Claude Carrière dans la préface de Lino Ventura et l’œil de verre: "Dès qu’il bougeait, dès qu’il disait une phrase fraîchement écrite, cette phrase devenait sienne [...] Il donnait l’impression d’improviser chacun de ses mots."

La BD sur Lino Ventura
La BD sur Lino Ventura © Glénat 2019

"Je serais incapable de jouer un assassin sanguinaire"

Une quinzaine de rôles de gangster plus tard, il décroche en 1958 un premier rôle dans Le Gorille vous salue bien. Malgré le succès, il choisit de se détourner du genre pour privilégier des rôles plus complexes. Il commence à casser son image de dur dans les années 1960, grâce à deux scénaristes. Michel Audiard lui écrit de savoureuses répliques argotiques dans Un Taxi pour Tobrouk (1961), Les Tontons Flingueurs (1963) et Les Barbouzes (1964). Avec José Giovanni, il apporte plus de profondeur à ses personnages: Classe tous risques (1960), avec Jean-Paul Belmondo, Le Deuxième Souffle (1966) de Jean-Pierre Melville et Le Clan des Siciliens (1969) avec Jean Gabin et Alain Delon.

Il termine la décennie en retrouvant Melville dans L'Armée des ombres, où il excelle dans le rôle de Gerbier, le chef d'un réseau de résistants. Acteur minimaliste, Lino Ventura aime les personnages traqués, seuls, qui correspondent à son physique taillé par le catch. Derrière un regard "aussi attentif que dubitatif, presque méfiant" et une "masse fermée, têtue, constamment sur ses gardes, ou presque", il dissimulait "une âme tendre" et "une timidité", se souvient Jean-Claude Carrière. 

D'une honnêteté rare et d'une grande pudeur, celui qui a créé en 1965 l'association Perce-neige pour venir en aide aux personnes handicapées mentales impose aux réalisateurs qui souhaitent travailler avec lui ses valeurs. Qu'il soit des gangsters, des policiers ou des aventuriers, ses personnages doivent avoir un code d'honneur. Les gangsters, pour lui, doivent avant tout parler de leurs problèmes. Il refuse ainsi le rôle de Mesrine: "Je serais incapable de jouer un assassin sanguinaire, un détraqué mental, un sadique ou un bourreau d’enfants", raconte-t-il dans Lino Ventura et l’œil de verre. L'acteur cède ainsi sa place pour Le Vieux Fusil, La Chèvre, Apocalypse Now de Coppola et Rencontre du troisième type de Spielberg.

"Une réputation de droiture"

Il n'a pas d'agent et choisit lui-même les projets. Son flair est pourtant sans faille: ses films totalisent plus de 130 millions d'entrées. Lui présenter un projet était une épreuve pour les réalisateurs qui se déplaçaient chez lui à Saint-Cloud. "Intraitable sur le scénario" qui "devait lui coller à la peau", le comédien avait une idée très précise de ce qu'il devait jouer: "Je n’accepte que des rôles que je comprends profondément", explique ainsi dans la BD celui qui voulait pouvoir serrer "sans honte" la main des personnages qu'il a joués.

"Lino a une réputation de droiture à soutenir, à la ville comme à l’écran", explique dans ses mémoires Itinéraire d'un enfant très gâté Claude Lelouch. "C’est ainsi que le public a appris à connaître Lino Ventura. Et Lino Ventura n’a pas envie de trahir le public." 

Avec Claude Lelouch, Lino Ventura accepte une nouvelle fois de bousculer son image. Plutôt conservateur mais discret sur ses opinions de citoyen, Lino Ventura amuse dans L’Aventure c’est l’aventure (1972), où le réalisateur se moque des différents débats politiques de son temps. Dans La Bonne année (1973), Ventura brise un de ses grands principes et apparaît à l'écran avec une femme, incarnée par Françoise Fabian. Une scène rare - d'autant qu'il faudra attendre 1978 et L’Homme en colère de Claude Pinoteau pour le voir embrasser à l'écran une femme (jouée par la star hollywoodienne Angie Dickinson).

Contre-emploi face à Isabelle Adjani

Bousculé, Lino Ventura l'est encore par Jacques Brel/François Pignon, la tornade burlesque de L'Emmerdeur (1973) d'Edouard Molinaro et Francis Veber. Son personnage de tueur méticuleux ne peut rien face à la maladresse légendaire de Pignon. Après un nouveau rôle de dur taciturne dans Le Silencieux (1973) de Claude Pinoteau, il enchaîne avec La Gifle (1974), où il surprend dans un contre-emploi face à Isabelle Adjani, alors en pleine ascension.

Après vingt ans de carrière, le succès est toujours au rendez-vous pour l'acteur qui, à l'approche de la soixantaine, enchaîne les rôles marquants dans Adieu poulet (1975), avec Patrick Dewaere, puis dans le polar kafkaïen Un papillon sur l'épaule (1978).

Avant sa mort en 1987, à l'âge de 68 ans, il décroche le rôle, inoubliable, de l'inspecteur Gallien dans Garde à vue de Claude Miller en 1981. En 1982, il marque les esprits en Jean Valjean dans Les Misérables de Robert Hossein. Mis à part Cent jours à Palerme (1983), l'histoire vraie de l'assassinat d'un préfet anti-mafia, tous ses films des années 1980 sont des succès, plusieurs approchant les 4 millions d'entrées. Preuve de la fidélité indéfectible du public à cet acteur qui n'avait pourtant jamais rêvé de l'être.

Jérôme Lachasse