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Les Enfants du temps: le retour de Makoto Shinkai, le réalisateur de Your Name

Les Enfants du temps

Les Enfants du temps - Copyright Universum Film GmbH

Trois ans après le succès mondial de Your Name., le réalisateur japonais raconte à BFMTV les coulisses des Enfants du temps, son nouveau film où il aborde le réchauffement climatique et la précarité de la société japonaise.

Trois ans après le colossal succès de Your Name., le cinéaste Makoto Shinkai est de retour avec Les Enfants du temps, une ambitieuse et sombre fiction. Il y dresse un constat amer sur le réchauffement climatique, la précarité et l’évolution de nos sociétés. 

Fidèle à son cinéma à fleur de peau, il place au centre de ce récit plein de surprises une nouvelle histoire d’amour entre deux adolescents. Hodaka a fugué de sa campagne natale et débarque à Tokyo où il ne cesse de pleuvoir. Tentant de survivre dans cette ville inhospitalière, il fait la connaissance de Hina, une orpheline capable de contrôler la météo et de faire apparaître le soleil. 

Makoto Shinkai, qui se montre très soucieux de ce que pense son public et cherche avant tout à lui plaire, a imaginé son film pour la nouvelle génération effrayée par le réchauffement climatique. Huit ans après le tsunami de 2011, le réalisateur livre une mise en garde, une œuvre fataliste mais pas complètement dénuée d’optimisme. Rien d’étonnant de la part de ce réalisateur mélancolique qui reste fasciné par les mystères que recèle le ciel. 

À l’occasion de la sortie des Enfants du temps ce mercredi 8 janvier, Makoto Shinkai raconte pour BFMTV les coulisses de son nouveau film, décrypte les motifs récurrents de son cinéma et explique pourquoi les héros de Your Name. apparaissent dans Les Enfants du temps.

Les Enfants du temps a été conçu avec plus d’argent que Your Name., mais avec un planning de production plus restreint. Dans quel état d’esprit l’avez-vous conçu?

C’est vrai que le planning a été très serré. Je tenais à ce que Les Enfants du temps sorte au Japon trois ans après Your Name., pendant l’été. C’était extrêmement important que le film soit vu à cette période de l’année au Japon. C’est avec cette idée en tête que j’ai commencé à écrire le scénario. À cause de ce planning très serré, mon équipe a dû travailler énormément, mais avec beaucoup d’amour. Je les remercie beaucoup.

Pourquoi le film devait-il sortir absolument en été?

On parle beaucoup de changements climatiques et l’été au Japon est marqué depuis quelques temps par beaucoup de catastrophes naturelles. Chaque été, il y a de plus en plus de catastrophes liées à l’eau. Cette question du climat, de la météo interpelle beaucoup les Japonais. Je me suis dit qu’il aurait été trop tard de présenter Les Enfants du temps dans un an. 

Les éléments naturels et climatiques, comme le ciel, la pluie et la neige, occupent une place importante dans vos histoires. Pour quelle raison?

Le Japon est un pays très sismique où il y a beaucoup de catastrophes naturelles. On dit que depuis une dizaine d’années le Japon est entré dans une période très active, avec une recrudescence des tremblements de terre. Je vis également à une époque où le monde entier s’intéresse aux questions environnementales et au changement climatique. Quand je dois faire un film, je me demande toujours ce que je dois faire par rapport à l’endroit et à l’époque où je vis. C’est pour cette raison que les éléments climatiques occupent une place aussi importante dans mes films.

Est-ce aussi lié aux promenades que vous avez l’habitude de faire pour imaginer vos histoires?

Oui. Il y a dans mes films tout ce que je vois dans mes promenades. J’adore le ciel. J’adore regarder le ciel. Quand j’étais jeune, je vivais dans le département de Nagano, qui est presque à la campagne. Aujourd’hui, les jeunes passent des heures sur YouTube. Moi, à l’époque, je pouvais passer des heures à regarder le ciel, de l’aube au crépuscule et aux étoiles!
Les Enfants du temps de Makoto Shinkai
Les Enfants du temps de Makoto Shinkai © Copyright Universum Film GmbH

Les Enfants du temps est un film pour la jeune génération. On y ressent beaucoup d’inquiétude, le thème de la mort est omniprésent. Vous y évoquez aussi la précarité des jeunes. C’est un film beaucoup plus réaliste que vos précédentes œuvres, malgré certains éléments fantastiques...

Your Name montre une vision assez joyeuse de la ville de Tokyo, tandis que celle des Enfants du temps est plus sombre. C’est involontaire. Je n’ai pas cherché à faire d’opposition [entre les deux films]. J’ai simplement réfléchi à ce que le public voulait voir aujourd’hui. L’héroïne de Your Name., Mitsuha, vit dans une grande auberge très luxueuse. Quand j’ai créé ce lieu, je me suis demandé dans quelle maison les gens voulaient vivre. C’est une maison de rêve pour elle. Pour Hina, l’héroïne des Enfants du temps, je me suis posé la même question, mais je me suis dit que si je montrais une maison luxueuse, le public d’aujourd’hui pourrait ne pas s’identifier et ne pas se sentir concerné par le film. La situation économique au Japon a beaucoup changé au cours de ces trois dernières années. Je partage cette sensation avec la société japonaise. Très naturellement, je montre donc la pauvreté de cette ville.

Les Enfants du temps est aussi un peu plus violent que vos précédents films...

Quand j’ai créé le personnage de Hodaka, le héros, je voulais montrer une personne qui se marginalise petit à petit. C’est un personnage qui pense avoir raison sur tout. Il agit selon ses propres critères, mais qui ne correspondent pas aux conventions de la société. Je voulais que le public arrive à s’identifier à ce personnage un peu marginal. Et pour ce faire j’ai employé dans l’animation un seul visuel: ce pistolet qu’il trouve au début du film. J’ai trouvé que c’était très efficace.

Parmi les motifs récurrents de votre œuvre, il y a les trains et les passages à niveau. Ils interviennent dans des scènes clefs de tous vos films, même dans Les Enfants du temps. Quelle est leur signification?

La première raison, c’est qu’il y a plein de réseaux ferroviaires à Tokyo. On ne peut pas parler de cette ville sans mentionner les trains. La deuxième raison, c’est parce que j’adore les paysages avec les trains. Les rails sont très importants pour l’animation. Ce sont des lignes. Dès qu’un train passe, c’est comme si l’espace était divisé en deux. On peut donc imaginer tout un tas de dramaturgies dans cet espace en mouvement. La troisième raison, c’est que c’est très intéressant de voir transportés dans le même espace des gens qui ne se connaissent pas et qui sont issus de catégories socio-culturelles très différentes. C’est aussi très intéressant d’un point de vue dramaturgique. On peut utiliser ces éléments comme des symboles. La quatrième raison, c’est que j’adore le train. J’étais tout excité tout à l’heure quand j’ai pris l’Eurostar pour venir de Londres à Paris!
5 centimètres par seconde
5 centimètres par seconde © Kazé

Le passage à niveau est-il aussi une manière de séparer le monde des humains de celui des divinités?

Peut-être. Les passages à niveau et même les rues en pente ou les escaliers symbolisent bien les relations entre les personnages. Dans Les Enfants du temps, le Torii, le portique shintoïste, est différent: c’est une porte et au-delà il y a un autre monde.

Vous employez souvent dans vos films le rose et l’orange. Les Enfants du temps privilégient au contraire le bleu et le gris. Comment expliquez-vous ce basculement? 

Je pense que cela reflète bien le changement des saisons ces dernières années. Avant, au Japon, il y avait beaucoup de nuances très délicates entre les quatre saisons. Aujourd’hui, soit il fait froid, soit il fait très chaud, soit il pleut énormément. Le changement de saison est devenu quelque chose de très brutal. On ne peut plus en savourer la beauté [Il y a consacré un film, 5 centimètres par seconde, NDLR]. C’est ce que racontent ces changements de couleurs entre mes films. Quand j’étais adolescent, je peignais beaucoup d’aquarelles de ce type de ciel [avec du rose et de l’orange]. Je ne les montrais à personne. J’adorais les peindre.
Your Name. de Makoto Shinkai
Your Name. de Makoto Shinkai © Toho

Pourquoi les héros de Your Name apparaissent-ils dans Les Enfants du temps?

C’est du fan service! Quand j’ai montré Your Name en Chine, le public chinois m’a dit qu’ils adoraient ces deux personnages - Taki et Mitsuha - et ils m’ont demandé de les mettre dans mon prochain film. J’ai tenu ma promesse.

Que vous inspirent les fans du monde entier qui se rendent à Tokyo pour se photographier devant les escaliers de Your Name.?

Je sais [qu’ils font ça], mais j’ai dû mal à croire que les étrangers viennent jusqu’au Japon pour se faire photographier sur ce lieu. J’habite à côté d’un pont que l’on voit dans Your Name. Chaque fois que je passe devant, je vois beaucoup d’étrangers et j’ai presque envie de leur dire: "Je suis vraiment désolé de vous avoir fait venir jusqu’ici, parce qu’il n’y a rien autour!"
Jérôme Lachasse