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Cinéma

Le studio d’animation Blue Spirit, modèle de réussite à la française, sort sa nouvelle pépite

Le Voyage du Prince, nouveau film du studio Blue Spirit

Le Voyage du Prince, nouveau film du studio Blue Spirit - Gébéka Films

Installé à Angoulême, le studio d’animation Blue Spirit produit des films et des séries ambitieuses pour le grand public. Sa nouvelle pépite, Le Voyage du Prince, sort ce mercredi 4 décembre.

Le studio Blue Spirit, un des fleurons de l’animation française avec Charivari (Kirikou) et Xilam (J’ai perdu mon corps), fête ses 15 ans. Fondé en 2004 par Eric Jacquot, ce studio angoumoisin s’est imposé au fil des années par ses propositions singulières au cinéma et à la télévision dans le paysage cinématographique français, comme Ma vie de Courgette.

"Pendant quelques années, au moins 80% des séries [de Blue Spirit] étaient fabriquées pour d’autres studios et moins de 20% étaient des créations originales", rappelle Armelle Glorennec. Directrice générale du studio, elle est arrivée en 2005 pour suivre la première série originale du studio, Grabouillon. Depuis, Blue Spirit s’est forgé une identité, une réputation et une ambition: séduire un grand public avec "des œuvres visuellement et narrativement belles". 

"Sur ce plan-là, ils sont arrivés à un très bon équilibre", précise le réalisateur Jean-François Laguionie, dont Le Tableau (2011) fut le premier long métrage produit par le studio. "Il était déjà dans les cartons à la création de Blue Spirit", se souvient Armelle Glorennec. "Le film est né des échanges entre Eric et Jean-François Laguionie. Très occupé les premières années, Eric a vraiment pris en main la production du Tableau une fois que la société était lancée." 

Nommé au César, Le Tableau a séduit presque 300.000 spectateurs en salles. On y suit les aventures de plusieurs personnages d'un tableau inachevé à la recherche de leur peintre. Un film difficile à produire, que peu de studios auraient choisi comme rampe de lancement: "C’est un film à part: l’animation n’est pas prépondérante. Elle peut être un peu décalée. C’était un pari. Ils me l’avaient dit. Ils ne savaient pas du tout comme ça allait marcher", sourit Jean-François Laguionie.

"Les séries étaient notre cœur de métier, et ce long métrage était une activité marginale, la cerise sur le gâteau", souligne Armelle Glorennec. "Une fois qu’on a fini ce film, on s’est dit qu’on savait produire un long métrage et que l’on pouvait recommencer. On avait un petit côté élève studieux. On a attendu d’avoir fini le premier pour imaginer la suite."

Une réussite à la française 

La réussite de Blue Spirit repose sur celle d’un écosystème, le Pôle Image Magelis, implanté depuis 1997 à Angoulême. "Sa création a correspondu à une volonté nationale de créer du dessin animé en Europe et en France pour faire face aux dessins animés américains et japonais", explique David Beauvallet, directeur du marketing et de la communication du Pôle Image Magelis. "À Angoulême, comme il y avait déjà ce terreau d’illustrateurs et de dessinateurs BD, plusieurs studios se sont installés."

Déployé autour de la Charente, dans l’ancien quartier du papier d’Angoulême, le Pôle est un syndicat mixte dont le financement est 100% public: "Le département finance 60%, la région Aquitaine 20%, la ville 10% et l’agglomération 10%." Grâce aux écoles d’animation de la région, les élèves trouvent rapidement du travail:

"Le nombre de studios et d’offres d’emplois fait que l’on peut travailler toute sa vie à Angoulême dans l’animation", souligne David Beauvallet. "Depuis 1997, beaucoup de studios se sont implantés à Angoulême, comme Prima Linea (La Fameuse Invasion des ours en Sicile) ou Silex Productions (Culottées)."

Blue Spirit espère réunir ses 150 salariés angoumoisins dans un bâtiment unique en Charente. Blue Spirit est actuellement le plus gros studio de la région et le gros pourvoyeur d’emplois, avec 24 à 30 millions d’euros de dépenses sur le territoire entre 2017 à 2018. Depuis le milieu des années 2010, la région est en forte croissance et bénéficie du crédit d’impôt international mis en place en France, qui a permis de rapatrier des productions qui commençaient à être délocalisées à l’étranger.

"Comme Angoulême est une place forte de l’animation, on en a bénéficié au premier chef", explique David Beauvallet, selon qui la stratégie du Pôle est désormais la diversification vers le jeu vidéo et la réalité virtuelle.

C’est dans cette dynamique de constante évolution que s’intègre Eric Jacquot. Le fondateur de Blue Spirit suit avec attention l’évolution de la technologie et a produit la première série en HD en France. Il cherche aussi à étendre davantage son emprise sur l’animation: une annexe du studio, dédiée à la 2D, a été créée en 2017, Happy Factory. Kikoumba, diffusée sur TF1 depuis le 9 novembre, y a été conçue. 

De Cannes aux Oscars

En 2016, Blue Spirit sort son deuxième long-métrage, Ma vie de Courgette (2016), présenté à Cannes, nommé aux Oscars et doublement récompensé aux César. Armelle Glorennec se souvient d’une production "assez compliquée": le film de Claude Barras a été réalisé en volume animé, une technique particulière d’animation loin des spécialités de Blue Spirit en 3D ou 3D rendu 2D. "Comme on n’avait pas de studio, il a fallu en créer un pour l’occasion, à Lyon. Ça se fait souvent pour des films live, mais en animation, où on est sur des rythmes lents, c’est plutôt rare", souligne Armelle Glorennec.

Le troisième long-métrage de Blue Spirit est Le Voyage du Prince, le nouveau film de Jean-François Laguionie qui sort le 4 décembre et a été récompensé à Annecy en mai dernier. Le cinéaste de 80 ans a partagé cette fois la réalisation avec Xavier Picard. "Je ne me voyais pas faire un film comme ça tout seul", explique le réalisateur habitué à travailler en équipe réduite.

"Blue Spirit a quelques impératifs, comme produire la plus grande partie du film à l’intérieur de sa propre structure. Depuis Le Tableau, ils ont développé une cellule artistique très convaincante que Xavier a parfaitement dirigé et contrôlé. Toutes mes inquiétudes concernant une grosse structure pour faire un film se sont évanouies. J’ai pu avoir une confiance absolue à la fois dans la production et dans le co-réalisateur." 
Les prochains projets du studio Blue Spirit
Les prochains projets du studio Blue Spirit © Blue Spirit

Jean-François Laguionie se souvient encore avec amertume de la production du Château des singes (1999), conçu avant la naissance de Blue Spirit: "Je me sentais prisonnier d’une énorme machine. J’avais l’impression de mettre le doigt dans une machine qui allait me couper en morceau." La notion de liberté, au cœur du Voyage du Prince, est essentielle à sa création: "La liberté est tellement essentielle quand on a besoin de faire un film que ça ne peut même pas être le sujet, mais l’outil." 

Une liberté qu’il exercera ailleurs pour les besoins de son prochain film, plus intime, mais qui reste également au cœur de Blue Spirit. "On a fait trois longs métrages en treize ans", indique Armelle Glorennec. "On a fait nos armes et on veut désormais en faire une vraie activité et pas juste une activité en marge de notre quotidien." Plusieurs longs métrages sont donc en développement (La Ballade de Yaya), sans oublier les séries, comme Les Borrowers, d’après les romans de Mary Norton déjà adaptés par Ghibli. 

Jérôme Lachasse