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Cinéma

La Vie scolaire: le nouveau film de Grand Corps Malade déjoue les clichés sur la banlieue

Bakary Diombera et Liam Pierron dans La Vie Scolaire

Bakary Diombera et Liam Pierron dans La Vie Scolaire - Copyright Laetitia Montalembert - Gaumont – Mandarin Production – Kallouche Cinéma

Mehdi Idir et Grand Corps Malade reviennent ce mercredi 28 août deux ans après le succès de Patients avec un nouveau film feel good: La Vie scolaire, une plongée dans un collège de Saint-Denis.

La Vie Scolaire, le nouveau film de Mehdi Idir et Grand Corps Malade après le succès de Patients, se déroule dans la cité des Francs Moisins à Saint-Denis. De cette ville de Seine-Saint-Denis, les spectateurs ne verront cependant quasiment rien. L’action se situe en effet quasiment intégralement dans l’enceinte du collège Federico Garcia Lorca et suit le temps d’une année scolaire les vies parallèles et pas si éloignées d’une CPE (conseillère principale d'éducation), Samia (Zita Hanrot), et d’un élève turbulent, Yanis (Liam Pierron).

Fuyant les clichés, les réalisateurs n’ont pas voulu montrer la banlieue, pour la rendre plus universelle, explique Mehdi Idir: "On a tout le temps voulu filmer la cité en plan très serré. On ne la découvre que dans notre dernier plan. C’était important pour nous. On mentionne Saint-Denis dans un seul dialogue. On voulait montrer que ce qui se passe ici peut se passer dans n’importe quel autre quartier dit populaire."

Fuyant toujours les clichés, Mehdi Idir et Grand Corps Malade ont également privilégié une palette de couleurs chaudes. Rouge, jaune, vert… avec ses murs multicolores, le collège Federico Garcia Lorca est un petit îlot dans une cité grisâtre: "C’est un peu ça, oui", confirme Mehdi Idir. "On a eu aussi beaucoup de chance. On n’a fait aucune déco dans le collège. Tous les couloirs, toutes les classes étaient tels quels avec beaucoup de couleurs vives."

"On a voulu accentuer les couleurs", complète Grand Corps Malade. "On avait envie de sortir du côté un peu documentaire, sur la forme en tout cas. On ne voulait pas être caméra à l’épaule, filmer les couloirs gris d’un collège. Un collège n’est pas forcément très beau à filmer, mais on avait envie de faire des belles images, d’avoir une couleur chaude qui correspond au dynamisme de ce qui se passe dans ce collège-là." 

Pas de bande originale rap

La bande originale joue elle aussi avec les clichés du film dit de banlieue. Peu de rap, hormis Samouraï de Shurik'n. Rise de Herb Alpert ouvre le film et Pastime Paradise de Stevie Wonder le clôt. Deux morceaux des années 1970 devenus des références de la culture rap après avoir été samplés dans les tubes Hypnotize de The Notorious B.I.G. et Gangsta Paradise de Coolio.

"On s’est dit que le cliché serait de mettre une bande originale rap tout le long. Il y avait des pièges qu’on avait identifiés dès le début avec Fabien pour les éviter", explique Mehdi Idir. "Le sample de Biggie [surnom du rappeur américain The Notorious B.I.G., NDLR] est bien parce qu’il arrive à la fin du morceau. Tout au long, on se dit qu’on le connaît et tout d’un coup, c’est bon! Pour Pastime Paradise, la forme déjà est extraordinaire et ce qu’il raconte colle vraiment à notre sujet. Et ça fait aussi un petit clin d’œil à Esprits rebelles [film américain des années 1990, qui se déroule dans un établissement difficile, et dont la B.O. est notamment constituée de la reprise de Coolio, Gangsta's Paradise NDLR]." 

Autre inversion des clichés: la CPE, Samia, est une femme arabe. "Ça fait plaisir de voir une Algérienne dans ce genre de poste", lui lance ainsi une mère d’élève. "C’était une de nos premières idées, car c’est très très rare d’en voir dans des rôles positifs au cinéma", commente Mehdi Idir, avant d’ajouter:

"Les acteurs sont contents de travailler avec nous parce qu’on leur propose autre chose que d’être arabe. Ce qui définit les personnages arabes dans les films, c’est souvent être arabe et après peut-être ils font quelque chose dans la vie… ils volent souvent des voitures dans le cinéma français ou ils sont chez Daech, radicalisés. Là, on a une CPE et un prof de math arabes et on s’en fout." 

"Elle est Algérienne, mais pas de banlieue", précise Grand Corps Malade. "Elle vient d’Ardèche. Elle ne parle pas la langue, elle boit du vin. Ce qui crée un débat avec le prof de maths, qui lui ne boit pas." "C’est quelque chose que j’ai rarement vu dans le cinéma français", complète Mehdi Idir: "Ce sont des quartiers qui ont tellement été stigmatisés que les gens se sont formatés à une image, alors qu’il y a plus de nuances que ça."

"Le contexte est plus fort que la volonté des individus isolés"

La Vie scolaire n’est en effet pas le genre de film où la CPE fraîchement débarquée en banlieue endigue le déterminisme social et sauve l’élève turbulent.

"On peut imaginer évidemment cette fausse piste qu’il se mette à bosser. Samia parle à Yanis d’un BTS audiovisuel et ça pourrait fonctionner pour lui, mais ce n’est pas si simple", détaille Grand Corps Malade: "Même quand il est motivé pour faire plaisir à sa mère, pour arrêter de la faire pleurer, pour se mettre au boulot, un drame du quartier le retire vers le bas: le contexte est plus fort que la volonté des individus isolés. Le lendemain, il pète les plombs et il se retrouve en conseil de discipline." 

Face au déterminisme social, il reste la tchatche dans une ville et une école où chacun, des élèves aux surveillants, trompe l’ennui en se vannant. Le duo de réalisateurs n’en revient toujours pas des perles qu’ils ont pu filmer: "Je n’ai jamais vu ce truc-là ailleurs!", s’enthousiasme Mehdi Idir. 

"Les élèves qui sont pratiquement tous non-professionnels et du quartier ont beaucoup amené [cette tchatche]", ajoute Grand Corps Malade. "On leur demandait de se lâcher. Dans la salle de classe, on leur disait qu’ils ne devaient pas hésiter à y aller, à chambrer. Le fait que ce sont des vrais gars d’ici se ressent aussi dans les scènes de classe." 

"Ils ont tous un potentiel comique impressionnant!" 

La réalisation, très précise, permet de faire ressentir aux spectateurs ce lien qui unit à leur insu les élèves et le corps enseignant: "Ils sont un peu en confrontation et en même temps quand ils sont chacun de leur côté ils ont un peu les mêmes façons de se divertir", commente Grand Corps Malade. "On a fait deux affiches, une pour les élèves et une autre pour les profs: on y voir clairement que chaque élève à son pendant en professeur", ajoute Mehdi Idir. 

Unis par la couleur rouge tout au long du film, Samia et Yanis sont les maîtres-étalons de ces duos dynamiques. Une idée appuyée en subtilité par des dispositifs de mise en scène identiques. L’humour bon enfant qui traverse La Vie scolaire permet aussi d’insuffler de la vie à chaque personnage, du professeur de math à l’élève qui n’intervient qu’à trois reprises dans le film. Certains enfants, comme celui, impayable, qui a perdu sa gomme, volent souvent la vedette aux adultes, s’amuse Mehdi Idir: "Ils ont tous un potentiel comique impressionnant!"

Ces interactions sont au cœur du film. "C’était très important de montrer la vie pendant un an dans un collège. La vie dans un collège, ce n’est pas que les élèves. C’est aussi les relations entre les uns et les autres", explique Grand Corps Malade. "On voulait vraiment rentrer dans le collège par [le bureau de] la vie scolaire, car le CPE est à la croisée des chemins entre les profs, la direction, les parents d’élèves et les élèves. Il permet d’aborder plein de sujets essentiels. Dans un collège comme celui-là, situé dans un quartier comme celui-là, il y a un aspect social très important que l’on peut évoquer d’une meilleure manière par le biais du CPE que du prof." 

Jérôme Lachasse