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La légende de Marvel Jim Starlin se confie: "Mes idées noires ont inspiré les histoires de Thanos"

Thanos

Thanos - Disney / Marvel

Papa d'un des plus célèbres méchants de l'univers Marvel, Jim Starlin est l'invité d'honneur du Comic-Con de Paris. Il raconte à BFMTV la création de Thanos, mais aussi son travail sur Batman et les secrets de son œuvre hantée par la mort et le suicide.

A 70 ans, Jim Starlin savoure. Ce vétéran du Vietnam, responsable du renouveau de Marvel dans les années 1970, est devenu ces dernières années une des icônes de la pop culture. Créateur de Thanos en 1973, il découvre aujourd'hui avec joie son personnage acclamé dans le monde entier grâce à ce qui est désormais le plus gros succès de l'histoire du cinéma: Avengers Endgame.

"C'est surréaliste", s'enchante le dessinateur et scénariste, tout content de se rendre au Comic-Con de Paris, où il devait donner ce samedi 26 octobre une conférence exceptionnelle sur sa saga de l'infini. "Je pensais, en le voyant à la fin d'Avengers (2012), qu'il allait avoir uniquement son quart d'heure warholien de célébrité, mais on a réussi à prolonger cette aventure pendant sept ans! On mérite désormais de retourner dans les profondeurs du cosmos. Ça arrivera tôt ou tard."

Jim Starlin a toujours été attiré par les profondeurs, du cosmos comme de l'âme. C'est ainsi que Thanos est né, au début des années 1970:

"C'était à une époque où je réunissais un portfolio pour obtenir du travail à New York. J'étais inscrit à l'université et pendant un cours de psychologie, un professeur nous a parlé des concepts freudiens d'éros et de thanatos, les pulsions de vie et de mort présentes dans la nature humaine. Bien sûr, j'étais plus attiré par le côté obscur", se souvient le dessinateur.

Entré chez Marvel en 1972, il crée l'année suivante Thanos dans la série Iron Man: "Je parlais avec Jack Kirby lorsqu'il m'a dit que Hulk représentait la bêtise: plus on le frappe, plus il devient fort. Je voulais qu'une thématique aussi forte traverse mon personnage. J'ai donc imaginé que l'ambition de Thanos ne pouvait jamais être satisfaite. C'est comme ça que tout a commencé: tout ce que ma psyché pouvait contenir d'idées noires a inspiré les histoires de Thanos."

"Évacuer ce qui est négatif dans votre vie"

Starlin a lui-même souvent dit que dessiner et écrire des histoires l'avaient aidé à gérer sa colère: "D'une certaine mesure, oui. Je plaisante souvent à ce sujet", confirme-t-il encore aujourd'hui. "Tout ce que vous vivez resurgit d'une manière ou d'une autre dans ce que vous dessinez ou écrivez. C’est un bon moyen d'évacuer ce qui est négatif dans votre vie", dit celui qui fut photographe aérien pour l'US Navy pendant la guerre du Vietnam.

On comprend mieux l'origine du claquement de doigts, ce fameux geste que fait Thanos pour éradiquer la moitié de l'univers dans le comics The infinity Gauntlet et le film Avengers Infinity War: "C'est un geste très méprisant. C'est ainsi qu'étaient appelés les garçons de café en Amérique du Sud il y a des années de cela. J'ai toujours jugé déplacé ce geste et quand il a fallu trouver ce que Thanos devait faire au moment d'effacer l'humanité, c'est venu naturellement." Dans The Infinity Gauntlet, Thanos agit de la sorte pour séduire La Mort, qui reste cependant insensible à ses avances. La mort et le suicide, mais aussi les maladies mentales sont des thèmes récurrents dans son œuvre:

"Ces histoires traitent de personnages confrontés aux plus grands défis que peut rencontrer l'humanité. Je me suis dit qu'ils devaient de temps à autre perdre. On ne peut pas réussir tout ce que l'on entreprend. Selon moi, ça rendait les histoires plus intéressantes. Et peu de comics tuaient des super-héros quand j'ai commencé. C'était une bonne époque: la vieille génération des années 1940 prenait sa retraite et les plus jeunes se stimulaient mutuellement pour faire bouger les lignes."
Jim Starlin le 25 octobre au Comic-Con de Paris.
Jim Starlin le 25 octobre au Comic-Con de Paris. © BFMTV

De Captain Marvel à Batman

En 1982, Jim Starlin inaugure chez Marvel une nouvelle collection dédiée aux romans graphiques. Avec La Mort de Captain Marvel, il s'inspire en partie de son père, qui vient de mourir d'un cancer, pour achever le personnage titre. Une sorte de thérapie, dira-t-il des années plus tard. Fait rare dans l'histoire de la maison d'édition, toujours prompte à ressusciter les super-héros défunts: cette version de Captain Marvel reste toujours morte 37 ans après les faits. Le personnage a désormais les traits de Carol Danvers (et a été incarné au cinéma par Brie Larson). Jim Starlin conserve de ce récit une grande fierté:

"C'est le seul personnage de toute l'histoire de comics à être resté mort! Tous les autres sont revenus sous une forme ou une autre. Cette version de Captain Marvel ne pouvait pas revenir parce que Jim Shooter (rédacteur en chef de Marvel dans les années 1980, NDLR) ne voulait pas qu'il revienne - et maintenant il y aussi une version féminine de Captain Marvel et ils ne veulent pas créer la confusion."

Jim Starlin n'a pas uniquement travaillé chez Marvel. On lui doit également deux des histoires de Batman les plus sombres. Un deuil dans la famille (1988), dessiné par Jim Aparo, culmine avec une scène d'une brutalité sans nom où Jason Todd, le deuxième Robin, est assassiné à coup de pied de biche par un Joker visiblement en extase.

Une fin atroce pour le personnage et choisie après un vote par les lecteurs de DC Comics: "Mon idée était que combattre le crime vêtu d'un costume multicolore est une très mauvaise idée, surtout lorsqu'on est un adolescent", commente Starlin. Dans Le Culte (1988), dessiné par Bernie Wrightson, il dénonce l'intégrisme religieux et plonge Batman dans des méandres cauchemardesques et une Gotham transformée en bidonville.

Couvertures de plusieurs BD écrites par Jim Starlin, le papa de Thanos.
Couvertures de plusieurs BD écrites par Jim Starlin, le papa de Thanos. © Panini Comics - Urban Comics

"Pendant une journée, j'ai été une star!"

Depuis les années 1990, ses relations se sont tendues avec l'industrie et surtout Marvel. Ses personnages continuent de vivre des aventures de papier sans lui et sont désormais transposés à l'écran.

Grâce à Anatoli Knyazev, un obscur personnage utilisé dans Batman v Superman en 2016, il a touché une somme très importante et s'en est félicité sur Facebook. Il a profité de sa tribune pour tacler Marvel, qu'il accuse de le payer insuffisamment malgré une exploitation cinématographique de plusieurs de ses personnages phares comme Thanos, Gamora et Drax le destructeur.

Depuis, les relations se sont améliorées. Jim Starlin est remercié aux génériques d'Avengers Infinity War et Avengers Endgame. L'auteur a même été invité sur le plateau d'Endgame. Sur place, il a eu la surprise de découvrir un script avec son nom:

"Je suis arrivé sur le plateau. Je croyais qu'on allait me mettre dans un coin, mais non. On m'a dit d'apprendre mes répliques. Bon, je n'en ai eu qu'une, mais c'était très amusant. Tout le monde était fort sympathique, en particulier les scénaristes Christopher Markus et Stephen McFeely, et Joe, le réalisateur, avec qui j'ai tourné ma scène (celle du groupe de parole de Captain America, NDLR). On m'a installé dans une loge, on m'a habillé, puis maquillé. Pendant une journée, j'ai été une star."

L'aventure n'est pas terminée pour Jim Starlin: Shang-Chi, personnage co-créé avec Steve Englehart après avoir vu la série Kung Fu avec David Carradine, sera bientôt porté à l'écran.

Jérôme Lachasse