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La Fameuse invasion des ours en Sicile: les secrets du film d’animation événement de l’automne

La Fameuse invasion des ours en Sicile

La Fameuse invasion des ours en Sicile - Copyright 2019 Prima Linea Productions – Pathé Films – France 3 Cinéma – Indigo Film

Le dessinateur Lorenzo Mattotti adapte le célèbre conte pour enfants de Dino Buzzati. Après son triomphe à Cannes, le film est en sélection officielle à Annecy en attendant sa sortie en salles le 9 octobre.

Un maître italien en adapte un autre: le dessinateur Lorenzo Mattotti, illustrateur réputé dont les travaux ont été en couverture du New Yorker, a transposé au cinéma La Fameuse invasion des ours en Sicile de Dino Buzzati. Le résultat, un conte poétique pour les enfants et toute la famille, est présenté ce mercredi au festival d’Annecy avant sa sortie le 9 octobre.

Publiée à l’origine en 1945, cette histoire met en scène des ours anthropomorphes. Marqué par la disparition de son fils Tonio et la rigueur de l’hiver, le roi des ours Léonce envahit le monde des humains. Avec son armée et le mage De Ambrosiis, il sort vainqueur de cette guerre et retrouve Tonio. Devenu également roi des humains, il comprend vite que ours et humains ne sont pas faits pour cohabiter...

Doté d’un budget de 11 millions d’euros, le film a nécessité cinq ans de travail, réparti entre Paris et Angoulême. Obtenir les droits du roman a été aussi complexe qu’animer ce long-métrage doté de 980 décors: "La veuve ne voulait pas les donner aux Américains. Plusieurs réalisateurs ont été en lice, mais elle a toujours eu peur que ça ne soit pas bien et elle a tout le temps refusé les propositions", raconte Lorenzo Mattotti, qui a su gagner sa confiance en lui montrant ses travaux truffés de références à Buzzati.

"Une histoire très riche qui n’apporte pas de résolutions"

Malgré son admiration pour le texte original, Mattotti a dû faire quelques modifications pour l’adapter. Le cinéaste a ainsi retiré les poèmes qui rythmaient le récit et a ajouté une narration en flashbacks où un saltimbanque et une fillette, Almerina (un clin d’œil au véritable prénom de la veuve de Buzzati), racontent l’histoire à un vieil ours.

"J’ai essayé de défendre Buzzati au maximum. Au départ, je ne voulais presque rien changer, mais c’était impossible. La première partie est très fidèle, après on a eu des problèmes de personnages et on a beaucoup plus inventé dans la deuxième partie", dit le dessinateur qui a enveloppé son film d’une aura de mystère et d'intemporalité propre aux contes.
La Fameuse invasion des ours en Sicile
La Fameuse invasion des ours en Sicile © Copyright 2019 Prima Linea Productions – Pathé Films – France 3 Cinéma – Indigo Film

Bien que conçu dans le contexte de la fin de la Seconde Guerre mondiale, La Fameuse invasion des ours en Sicile a encore beaucoup de choses à dire sur notre monde, estime Mattotti: "Dans le livre, Buzzati fait référence aux communistes, à l’arrivée des Américains... Nous ne devons pas le lire avec le regard de cette époque. Aujourd’hui, on peut penser aux migrants, au problème du vivre-ensemble... C’est une histoire très riche qui n’apporte pas de résolutions: c’est à nous de réfléchir." Il complète:

"Les récits de Buzzati possèdent une dimension très sombre, très inquiétante, mais j’ai vu aussi dans La Fameuse invasion de la joie, de la légèreté et de la naïveté. Je me disais que ça pouvait être très beau pour les enfants. C’est ce qu’on a essayé de transmettre avec la musique de René Aubry: je voulais qu’elle soit dansante, avec la mandoline. Peut-être que ce n’est pas comme ça chez Buzzati, mais c’est ce que m’inspirait l’histoire. Il y a chez lui une forme d’ironie aristocratique qui allège les choses plus dures."

"C’est Prague avec les couleurs de Palerme!"

Connu pour son utilisation souvent flamboyante de la couleur, Mattotti n’a pas trahi sa réputation avec La Fameuse invasion des ours de Sicile. Avec les couleurs aussi, il raconte une histoire:

"On n’a pas eu peur d’en mettre! Je déteste lorsqu’on a peur de mettre des couleurs. Pour ne pas prendre de risques, on utilise souvent des tons monochromes, du bleu-gris, du marron-jaune... J’ai joué au contraire avec les lumières, les ombres et les courbes, ce qui créent aussi des contrastes et du dynamisme. Je voulais qu’il y ait beaucoup d’espaces dans les plans. Je voulais utiliser au maximum l’écran de cinéma", explique le réalisateur qui a mêlé 2D et 3D pour donner "la sensation d’avoir un espace toujours en mouvement".
La Fameuse invasion des ours en Sicile
La Fameuse invasion des ours en Sicile © Copyright 2019 Prima Linea Productions – Pathé Films – France 3 Cinéma – Indigo Film

L’univers graphique est un mélange entre le style de Lorenzo Mattotti, les illustrations du conte signées Dino Buzzati et les peintures oniriques de Giorgio De Chirico: "J’ai toujours été sensible la métaphysique italienne [mouvement fondé en 1917 dont l’objectif est de représenter ce qu'il y a au-delà de la réalité, NDLR]. C’est quelque chose qui fait partie de notre paysage: quand tu te rends à Bologne ou à Ferrare, tu vois les arches, les voûtes [dessinées par Giorgio De Chirico]. Je voulais mettre [dans le film] ma culture visuelle, ce que j’aime: la culture italienne."

Le dessinateur a aussi puisé son inspiration dans l’art américain des années 30 et 40 et les œuvres du Quattrocento, comme celles de Piero della Francesca. Il s’est cependant démarqué de ses influences pour créer une esthétique inédite. Si la ville où vivent les ours peut faire penser aux bourgades du pourtour méditerranéen, elle s’inspire aussi de Prague, la ville de Kafka qui a tant marqué l’imaginaire de Buzzati: "Je voulais que le film ait un esprit méditerranéen, mais la ville, c’est Prague avec les couleurs de Palerme!"

"Dans la tradition des vieux Popeye ou Looney Tunes"

Célébré dans le monde entier pour ses romans comme Le Désert des Tartares, Dino Buzzati était aussi dessinateur. En 1971, il a réalisé une BD, Orfi aux enfers: Poema a fumetti, rééditée en 2014 chez Actes Sud. La découverte du livre, à l’adolescence, a été pour Mattotti une révélation, qui l’a incité à poursuivre sa voie dans le 9e Art. "Un grand écrivain qui créait une bande dessinée, c’était parfait. Ça voulait dire que l’on pouvait en faire, que ce n’était pas seulement pour les enfants. Poema a fumetti est très stylisé, très étrange, très inquiétant, très beau. C’est encore très moderne, c’est hors du temps. Son dessin est très naïf."

Bien que son style soit plus fourni que celui de Buzzati, Mattotti s’est efforcé au maximum de reproduire les illustrations de l’écrivain. Certains personnages, comme le mage De Ambrosiis, sont très fidèles. D’autres, comme les fantômes ou le chat de l’ogre, ont nécessité des ajustements: "Je n’aimais pas trop le fantôme de Buzzati. Il était un peu trop traditionnel et je ne voyais pas comment le faire bouger. Je l’ai repris en main car je le voulais plus rond, très élastique. La scène de danse [entre les ours et les fantômes] m’a donné envie de les voir s’étirer, s’allonger comme de la barbe à papa. J’ai modifié le chat pour qu’il soit un peu plus rond et un peu plus dans la tradition des vieux Popeye ou Looney Tunes."

La Fameuse invasion des ours en Sicile
La Fameuse invasion des ours en Sicile © Copyright 2019 Prima Linea Productions – Pathé Films – France 3 Cinéma – Indigo Film

Mattotti, que l’illustration et la BD condamnent à une forme de solitude, a pu pour une fois travailler en équipe: "C’est un travail tellement énorme, tellement long. [L’équipe] avance très doucement, on a l’impression que ça ne se termine jamais. Je me demandais si ça valait la peine de travailler cinq ans… Ce qui m’a sauvé pendant le film, c’est qu’on travaillait en équipe. Mon chef assistant, Rafaël Vicente, a beaucoup d’expérience avec Walt Disney, Il est très méthodique et précis et c’est lui qui regardait s’il y avait des erreurs. En BD, à part le scénariste, tu ne vois personne, tu es seul tout le temps. Peut-être que j’en avais marre de travailler seul avec les cauchemars. Là, j’ai fait ressortir mon côté lumineux."

Avec les voix d’Arthur Dupont, Leïla Bekhti, Thomas Bidegain et Jean-Claude Carrière. Sortie prévue le 9 octobre.

Jérôme Lachasse