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La création du GIGN racontée au cinéma: "Il y avait une nouvelle menace et ils étaient la nouvelle réponse"

Alban Lenoir dans L'Intervention

Alban Lenoir dans L'Intervention - Copyright SND

Le réalisateur Fred Grivois retrace l’invention du GIGN lors d’une prise d’otage d’enfants à Djibouti en 1976. Il raconte les coulisses de cette opération, ainsi que les regrets des anciens membres du GIGN.

1976. A Djibouti, un bus d’enfants de militaires français est pris en otage par des terroristes à une centaine de mètres de la frontière avec la Somalie.

Sur place une unité de tireurs d'élite de la gendarmerie, bientôt appelée GIGN, est dépêchée. Arrivés tels des cowboys sur place, mal préparés, ces hommes sauveront les enfants, mais l’intervention, décidée sans l’aval de Paris, se soldera par la mort de deux enfants. Ils la considèreront comme un échec.

C’est cette histoire, méconnue, que raconte le réalisateur Fred Grivois dans L’Intervention. Un film sec et brut tourné comme un western. Il raconte à BFMTV.com les coulisses de ce film sur une page secrète de notre histoire, les regrets des anciens membres du GIGN et le combat que mènent aujourd’hui les anciens otages pour faire reconnaître leurs droits.

Comment est né L’Intervention?

C’est un projet que j’avais depuis plus de dix ans, avant même de faire mon premier film. C’est une histoire qu’un des tireurs [du GIGN] m’a racontée. Elle avait tout ce qu’il fallait de romanesque. C’est un des grands faits d’armes de l’armée française depuis la Seconde Guerre mondiale et, étonnamment, il n’y avait pas grand chose dessus. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a été relativement étouffée, parce qu’elle gênait pas mal de monde. C’est surtout les anciens otages qui disent cela. C’était une autre époque où un attentat et une prise d’otage n’étaient pas médiatisés comme aujourd’hui. Je suis né cette année-là et personne parmi la génération de mes parents ne se souvenait de cette histoire. J’ai eu accès au dossier secret défense, mais je ne sais pas s’il a été déclassifié.

Qui est gêné par cette histoire? Les anciens otages? Les anciens agents? Le gouvernement?

Difficile à dire. Je pense que l’État n’a pas pris de décision, que l’on a risqué une guerre avec un pays sur la décision de quelques hommes qui se sont dits qu’ils allaient pouvoir régler le problème. Le GIGN a pris la décision sans l’autorisation de Paris… Les otages n’ont jamais été reconnus comme victimes. Ils se battent encore aujourd’hui. J’essaye de les aider dans ce combat. Le fait qu’ils sont enfants de militaires, qu’ils ont un statut où étonnamment on ne les considère pas comme des civils, c’est un peu comme s’il avaient fait le même choix que leurs parents militaires et qu’ils étaient sacrifiables. Il y a là quelque chose d’un peu étrange qui m’a été rapporté par plusieurs personnes.
Alban Lenoir dans L'Intervention
Alban Lenoir dans L'Intervention © Copyright SND

L’équipe prend le nom de GIGN quelques semaines après l’intervention. Les membres de l’équipe sont présentés comme des mercenaires, des cowboys. Un d’entre eux dit avoir le pistolet de l’inspecteur Harry.

Tout est vrai. Malgré tout, il faut que je précise que c’était de vrais gendarmes. A l’époque, il y avait une nouvelle menace et ils étaient la nouvelle réponse. Ils avaient un métier à inventer et c’est ce qu’ils ont fait. Ce n’est pas un corps aussi rigide qu’il est aujourd’hui avec des règles extrêmement claires, un entraînement… Ils ont tout inventé. Le type qui se fait un holster lui-même avec le manteau en cuir qu’il a piqué à son père, c’est vrai. Le gars me l’a raconté. Il l’avait vu sur Steve McQueen dans Bullitt. Il a voulu faire le même, parce qu’on n’en trouvait pas à l’époque en France. Je voulais représenter les types que j’avais rencontrés. Ils ont de l’humour. Comme les réanimateurs ou les urgentistes, c’est souvent le seul moyen de supporter la pression. Le fait qu’ils sont en civil - là j’ai un peu modifié, ils n’étaient pas tous en civil - mais il y en a un qui m’a confirmé qu’il a fait cette intervention en pantalon en velours et Stan Smith! Il y a un côté mal préparé. Ils n’avaient jamais mis les pieds en Afrique. Djibouti est un des endroits où il fait le plus chaud au monde. Ils n’avaient pas du tout anticipé l’impact que tout cela aurait sur eux.

C’est donc d’autant plus étonnant qu’ils aient réussi la mission, malgré deux morts.

Il y a la petite fille qui est décédée, qui a pris une balle pendant l’assaut. Il y en a une autre qui est morte deux jours plus tard à l’hôpital. J’ai fait le choix de ne pas en parler. Le film s’arrête vraiment juste après l’intervention. C’est ce qui m’a le plus attiré dans cette histoire: à chaque fois qu’un de ces hommes me l’a racontée, et chacun me l’a racontée différemment avec son prisme et son ressenti, il y avait un point commun: ils me disaient tous, même 40 ans après: "c’est une mission ratée". Alors qu’on les a félicités et qu’on a formé le GIGN après! La mission réussie, pour eux, est de n’en perdre aucun. Même 40 ans après, ils ont encore un regret. C’est ce que j’ai essayé de montrer: ils arrivent un peu comme des cowboys, un peu comme des gagnants, persuadés du bien fondé de leur technicité qui les rend supérieurs, et ils repartent abasourdis, s’apercevant que tout n’est pas si simple. J’ai essayé que le spectateur puisse toucher du doigt ce que ces gars-là ont senti, les décisions qu’ils ont eues à prendre.
L'Intervention
L'Intervention © Copyright SND

Les acteurs ne ressemblent pas à des Rambo.

Ce que j’ai trouvé génial, quand j’ai vu les photos d’époque, c’est qu’ils ne ressemblaient pas aux services spéciaux d’aujourd’hui. Ils sont petits, grands, gros, gras, maigres… Ce qui comptait n’était pas la physicalité, mais l’ingéniosité, la résistance physique, la capacité au tir, si tu es capable d'éteindre la flamme d’une bougie à trois cents mètres. Puis ça s’est spécialisé. La spécialité du GIGN est de considérer que la vie d’un preneur d’otages a autant de valeur que celle d’un otage. Ils sont entraînés à stopper, pas à tuer. Ils ont un entraînement pour tirer dans les clavicules, parce que ça fait très mal et ça immobilise les bras. Il y a cette idée que s’engager pour la vie, c’est s’engager pour toutes les vies. Et c’est le seul groupe d’intervention au monde qui prône cette doctrine. En réalité, l’intervention était beaucoup plus féroce que ce que j’ai montré: 20.000 douilles ont été tirées en un quart d’heure entre le GIGN, la Légion et l’armée somalienne.

Un texte introduit le film en reliant la situation de 1976 à aujourd’hui: "le terrorisme frappe l’Europe et le Moyen-Orient quotidiennement."

Quand on fait des recherches sur cette époque, on s’aperçoit que le terrorisme était plus répandu: il y avait des prises d’otages, des détournements, des assassinats. On avait les Brigades rouges, Carlos, Baader, l’OLP qui étaient aidés par la Stasi et le KGB. Les services secrets excitaient ces groupes. C’est une petite ironie pour commencer le film, pour dire aux gens que pas grand chose n'a changé. La seule différence est que le terrorisme n’était pas suicidaire à l’époque.
L'Intervention
L'Intervention © Copyright SND

Vous avez mis dix ans pour mener à bien ce projet. Est-ce que les attentats ont eu une influence sur le film?

Non. Et en même temps, on est dans une époque très différente. Comme il s’agit d’un mouvement indépendantiste, j’avais interdit sur le plateau à qui que ce soit de parler des preneurs d’otages en utilisant le mot “terroriste”. On disait "freedom fighters", indépendantistes. Je n’avais pas envie de faire des méchants hyper méchants. En faisant des recherches, on se rendait compte que ce n’était du tout le plan qu’avaient les kidnappeurs. Ils se sont retrouvés complètement dépassés par les événements qu’ils avaient enclenchés.

Quelle a été la réaction des anciens otages et des anciens agents?

J’ai montré le film aux anciens otages et à des gens du GIGN qui n’étaient pas sur cette intervention-là. Ils étaient très contents. Pour les otages, ça a été difficile. La plupart m’a remercié. Certains m’ont dit que c’était trop compliqué pour eux de revoir ça. Il y a une ancienne otage qui s’est évanouie à la sortie du film. Globalement, la plupart m’ont remercié. Ils ont été reçus par Emmanuel Macron au mois de septembre. Ils attendent pour savoir s’ils pourront être reconnus comme victimes du terrorisme puisque la loi sur les victimes du terrorisme ne couvre que les attentats après 1982. C’est la première prise d’otage d’enfants de l’histoire. Qu’on ne les reconnaisse pas comme des victimes du terrorisme est aberrant. Je ne les ai pas contactés pendant l’écriture. Ils m’ont contacté pendant le montage. Ils ont su que le film se faisait et c’est là que j’ai su qu’ils n’avaient jamais été reconnus par l’État et j’ai changé la fin du film. J’espère que le film les aidera. Ce serait la moindre des choses de la part de l’État de reconnaître ces gens pour ce qu’ils ont vécu.
Jérôme Lachasse