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Cinéma

L'enfer des cascadeuses du cinéma d'action raconté en BD

Fausse Affiche dans The Golden Path

Fausse Affiche dans The Golden Path - Gabriel Romann

The Golden Path de Baptiste Pagani, raconte le quotidien méconnu des cascadeuses et rend hommage à un cinémas de Hong Kong, souvent méconnus en France.

De Matrix à John Wick en passant par Reservoir Dogs et Atomic Blonde, les thrillers modernes doivent tout au cinéma hongkongais des années 1980 et 1990. Sans des personnalités comme Jackie Chan, Sammo Hung ou Michelle Yeoh et les cascadeurs et cascadeuses qui les entourent ces blockbusters d’action n’existeraient pas - ou n’auraient pas pu séduire un si grand nombre.

Une BD, intitulée The Golden Path, retrace l’histoire de ce cinéma encore méconnu en France. Imaginée par Baptiste Pagani, cette BD suit les mésaventures d’une jeune cascadeuse, Jin Ha. Rare femme dans un milieu principalement masculin, elle connaît une ascension correspondant à l’âge d’or d’un cinéma sans limite et inventif.

Piégée par un producteur véreux, elle devient malgré elle la star de productions fauchées flirtant avec le mauvais goût. Cette descente aux enfers, qu'elle partage avec une autre cascadeuse d'origine étrangère, symbolise les désillusions nées de la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997. Sa carrière sans éclat se termine par un grave accident qui la laisse infirme. Mais, comme au cinéma, elle décroche, des années plus tard, un happy end.

Pour Baptiste Pagani, tout commence il y a une douzaine d’années. Le jeune homme vit alors dans le XIIIe arrondissement de Paris. Gros consommateur de films de Kung Fu "grâce aux magasins de vidéos du quartier", il se plonge dans leur histoire. Fasciné, il découvre, derrière des stars comme Jackie Chan, d’autres visages, tout aussi importants, mais bien moins connus, et avec eux des carrières "assez rocambolesques" pour pouvoir bâtir une histoire.

The Golden Path
The Golden Path © Ankama

Un milieu très masculin

Pour créer le personnage de Jin Ha, emblème des cascadeuses du 7e Art, il s’est inspiré de l'une de ces carrières "assez rocambolesques": "Je voulais représenter un personnage fort, très assidu et mais aussi très vulnérable et naïf, plongé dans cet univers qui ne fait pas de cadeau", dit-il. Il précise:

"Le véritable point de départ date d'il y a plus de 10 ans, quand j'ai découvert sur un site de chroniques spécialisé la biographie de l'actrice Yukari Oshima. Japonaise immigrée à HK elle est devenue une figure emblématique du cinéma d'action de cette époque, mais sa formation (Karaté Shotokan) ainsi que son physique atypique (musclée, un visage dur) ont fait qu'elle n'a pas pu accéder au statut de 'popstar' complète à l'instar de ses consœurs Anita Mui ou encore Maggie Cheung qui elles sont devenues chanteuses, mannequins ou actrices plus traditionnelles."

Beaucoup plus de danger

Le travail de Baptiste Pagani sur le quotidien des cascadeuses est d’autant plus important que ce corps de métier est rarement mis en avant, hormis dans quelques films comme Boulevard de la mort (2007) de Quentin Tarantino et surtout Stunt Woman (1996) avec Michelle Yeoh.

"Devenir une cascadeuse est tout particulièrement difficile dans une industrie où les hommes jouent souvent les personnages féminins", pouvait-on lire en novembre dernier dans The Guardian. Selon un autre article du journal britannique paru en 2016, les cascadeuses rencontrent sur les tournages beaucoup plus de danger que leurs homologues masculins.

"Écrire sur une femme qui a plus à prouver dans ce milieu que ses collègues masculins, mais aussi que d'autres femmes dotées d'un physique plus gracieux, me semblait être un bon point de départ pour raconter un drame. Un peu plus tard je suis tombé sur une actrice vraiment méconnue, Ha Chi-Chun cantonnée très souvent à des rôles de [méchantes]. Je me suis inspiré d'elle pour le physique de Jin Ha."

Un drame, pas un documentaire

Pour reconstruire le milieu du cinéma hongkongais des années 1990, l’auteur a "écumé" des sites spécialisés comme Brns, HKImdb, HongKongCinemagic et Nanarland. Il s’est aussi appuyé sur des productions de la Golden Harvest, le grand studio de l’époque, et des documentaires comme Top Fighters et My Stunts de Jackie Chan. La star y raconte, tel un magicien, ses astuces pour accomplir ses incroyables cascades.

Au centre du récit, les stars de l’époque Jackie Chan et Sammo Hung sont rebaptisés Eagle Chan et Shamo Hueng: "Je n'en connaissais pas assez sur eux pour pouvoir prétendre les intégrer dans une histoire, en leur prêtant des dialogues et des actes que j'avais imaginés", commente le dessinateur, qui a voulu faire "une fiction, un drame, et absolument pas un documentaire, malgré le côté référencé de l'œuvre."

Des fausses affiches
Des fausses affiches © Gabriel Romann

"Quelque chose qui manque au cinéma d'action de nos jours"

Inspiré graphiquement à la fois par les maîtres japonais Masamune Shirow (Ghost in the Shell) et Eiichirō Oda (One Piece) et des jeunes auteurs français comme Sourya Sihachakr et Guillaume Singelin (Midnight Tales), Baptiste Pagani a rythmé son récit de fausses affiches signées Gabriel Romann qui pastichent les succès de l’époque. Comme un Tarantino, il a créé, à partir d’un patchwork de références, une œuvre originale pour réjouir les fans et séduire les néophytes:

"Je voulais rendre hommage avant tout au côté hyper positif de ces films qui réussissaient à proposer des chorégraphies parfaites et des combats éprouvants, le tout sans violence exagérée, ni litres de sangs ou meurtres sauvages. Le tout avec une réalisation souvent très bonne et des inspirations variées, du cinéma muet de Buster Keaton au théâtre traditionnel chinois. C'est quelque chose qui manque au cinéma d'action de nos jours. Depuis la fin des années 1990 et l'ère post Matrix, Jason Bourne, je trouve que tous ces films sont extrêmement sérieux et montrent des personnages hargneux et ultra violents."

The Golden Path, Baptiste Pagani, Ankama, 192 pages, 19,90 euros.

Jérôme Lachasse