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Cinéma

Kirill Serebrennikov, un absent très applaudi sur les marches du Festival de Cannes

L'équipe du film de "Leto", réalisé par Kirill Serebrennikov, sur les marches du Festival de Cannes, le 9 mai 2018

L'équipe du film de "Leto", réalisé par Kirill Serebrennikov, sur les marches du Festival de Cannes, le 9 mai 2018 - Valery Hache - AFP

Assigné à résidence en Russie, le réalisateur Kirill Serebrennikov n'a pas pu assister à la présentation de son film Leto au Festival de Cannes. Son équipe a tenu à lui rendre hommage sur le tapis rouge.

C'est par procuration, mais longuement applaudi, que Kirill Serebrennikov, "l'enfant terrible" du théâtre russe assigné à résidence, a monté mercredi soir les marches du 71e Festival de Cannes pour la projection de son vivifiant film musical Leto, en lice pour la Palme d'or.

Producteurs et acteurs de ce long-métrage retraçant les débuts d'une légende du rock soviétique, Viktor Tsoï, sont apparus sur le tapis rouge peu avant 20H en arborant un badge avec la photo du réalisateur. Dans les pas du délégué général Thierry Frémaux, ils ont ensuite brandi en haut des marches une pancarte blanche où était inscrit en noir le nom de Kirill Serebrennikov. 

Ovations et applaudissements

Ils l'ont montrée de nouveau dans la salle, où le public, debout, les a accueillis avec des applaudissements nourris. Un siège, avec le nom du réalisateur épinglé, est resté vide durant cette séance qui s'est terminée, deux heures plus tard, comme elle avait commencé: par des ovations et des applaudissements venant saluer ce film en noir et blanc tout à l'honneur de la scène rock underground du début des années 80 à Leningrad.

Avec sa bande son vitaminée, sa mise en scène rythmée et ses trouvailles graphiques, Kirill Serebrennikov entraîne le spectateur dans le sillage de ces jeunes Soviétiques en quête de liberté, nourris du rock anglosaxon de Lou Reed, David Bowie ou même Blondie. Dont un certain Viktor Tsoï, qui deviendra une légende du rock jusqu'à sa mort accidentelle en 1990 à l'âge de 28 ans. Leto était l'un des deux films projetés en compétition ce mercredi soir en Cannes, avec Yomeddine, premier film de l'Egyptien A.B. Shawky. 

"Cannes a toujours été un lieu de liberté, de liberté de création, de liberté de présence des artistes", avait souligné le délégué général du Festival, Thierry Frémaux, en annonçant mi-avril la sélection en compétition, pour la première fois, du metteur en scène et cinéaste russe de 48 ans, mais aussi de l'Iranien Jafar Panahi, également interdit de voyager par Téhéran. 

Le soutien de personnalités russes et étrangères

Directeur artistique du Centre Gogol, un théâtre contemporain moscovite réputé, Kirill Serebrennikov avait été arrêté par la police en plein tournage de Leto, dont les chansons ont été la bande-son de la perestroïka, à la fin des années 1980. Le montage avait été achevé au domicile du cinéaste. 

Les espoirs des organisateurs de voir Serebrennikov, venu à Cannes (hors compétition) en 2016 avec son précédent film, ont été vite éteints: un tribunal russe vient de prolonger son assignation. "L'enfant terrible" du théâtre russe est visé par une affaire de détournement de fonds publics qu'il dénonce comme "absurde". Assigné à résidence dans l'attente de son procès, il a reçu le soutien de nombreuses personnalités artistiques russes et étrangères.

Mardi, jour de l'ouverture du Festival de Cannes, la ministre française de la Culture a ainsi gravi les marches en compagnie des producteurs du film. "Nous ne pouvons que manifester notre opprobre forte par rapport à cette situation, et notre inquiétude", a expliqué Françoise Nyssen, en référence aux situations de Serebrennikov et Panahi, dont le film sera projeté samedi.

Une situation "terrible" pour Cate Blanchett

Sans s'opposer ouvertement au président Vladimir Poutine, Kirill Serebrennikov avait plusieurs fois critiqué les pressions croissantes exercées sur la création artistique, motivées par la défense de valeurs conservatrices. Ses oeuvres avant-gardistes, qui ont révolutionné la scène théâtrale moscovite en abordant des thèmes comme la politique, la religion ou la sexualité, ont été régulièrement critiquées par les militants orthodoxes ou les autorités.

La goutte d'eau de trop pourrait avoir été l'annonce d'un ballet dirigé par Kirill Serebrennikov au célèbre théâtre du Bolchoï sur le légendaire danseur et chorégraphe Rudolf Noureev. Porte-voix des milieux conservateurs, le cinéaste Nikita Mikhalkov avait appelé à interdire ce spectacle. Qualifiant de "terrible" la "situation" de Serebrennikov et Panahi, la présidente du jury cannois, l'Australienne Cate Blanchett, a toutefois assuré mardi que leurs films seront, comme les autres, jugés sur leur seule qualité artistique: "Ce n'est pas un Prix Nobel, c'est la Palme d'or...".

F.M. avec AFP