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Cinéma

José Garcia: "À force de ne plus pouvoir dire tout ce qu’on veut, on rentre dans un monde de cynisme"

José Garcia dans le film "Chamboultout"

José Garcia dans le film "Chamboultout" - Copyright Same Player – Gaumont / Nathalie Mazéas

Six ans après Vive la France, José Garcia retrouve Michaël Youn. L’occasion de revenir sur ce film controversé, d'évoquer leur nouvelle comédie Chamboultout, et comment Netflix bouleverse le cinéma français.

Début d’année chargé pour José Garcia. En attendant de jouer dans Nous finirons ensemble, la suite des Petits mouchoirs, l’acteur porte Chamboultout, la nouvelle comédie Eric Lavaine en salles ce mercredi. Il y incarne Frédéric, un homme devenu aveugle après un accident.

Atteint depuis ce choc de troubles cognitifs, il dit tout ce qui lui passe par la tête, au grand dam parfois de ses proches. Six ans après Vive la France, José Garcia retrouve à cette occasion Michaël Youn. L’occasion de revenir sur ce film controversé, leur nouveau projet, mais aussi la crise que traverse le cinéma français.

Ce sont vos retrouvailles après Vive la France. Les personnages ont bien changé.

José Garcia: Ils sont beaucoup plus calmes, oui. Vous savez, Vive la France, c’est un film qui ne passera jamais à la télé.

Michaël Youn: Il y a eu des événements et, depuis, c’est le film interdit. Il a été en partie financé par France 2. Et Valérie Boyer [Directrice générale de France 2 Cinéma, NDLR], qui nous avait fait confiance à l’époque, m’a dit qu’on ne peut pas diffuser, après Charlie et le Bataclan, un film où des mecs disent qu’ils veulent faire sauter la Tour Eiffel. Ils ont déjà suffisamment d’idées biscornues comme ça, on ne va pas en plus leur en souffler. On n’est pas vraiment interdit, mais le film est un peu non grata. C’est mieux que d’être dans l’oubli. Maintenant, j’aurais préféré que le film soit incontournable. Quand on l’a sorti en 2013, jamais on aurait pu imaginer qu’on serait rattrapé par l’actualité.

Dans Chamboultout, votre personnage, José Garcia, devient aveugle après un choc. Il a sans cesse faim, il est sans filtre…

J.G.: … c’est une vraie pathologie. Quand vous avez des chocs orbitaux-frontaux, quand vous avez un choc en voiture ou en moto, vous gardez le choc que vous avez eu. Dès que vous percutez quelque chose, ça vous rappelle le choc. Il y a une mémoire cognitive. Il y a des gens chez qui c’est très fort. À l’école de chiens d’aveugles, on m’a expliqué qu’il y a des types, dès qu’ils percutent quelque chose d’un peu fort, ils prennent leur canne et ils tapent. Il ne faut pas être à côté de lui quand ça arrive! Mon personnage a plusieurs choses. Parmi ses problèmes cognitifs, il se souvient de tout avant l’accident, mais n’a pas la mémoire immédiate. Il a aussi un sentiment d’insatiété: j’ai l’impression après un repas que je n’ai pas mangé. C’est le supplice de Tantale.

Vous avez souvent joué ce genre de personnages sans filtre, mais comme vous êtes plus âgés, ce n’est pas le même genre de folie que dans Le Boulet ou Les Onze commandements.

M.Y.: On n’a pas tout le temps envie de jouer la même chose. Je ne pense pas que l’on puisse dire que l’on s’assagit. Louis de Funès, à partir de 50 piges, a fait un personnage jusqu’à la fin de sa vie. Sans doute parce qu’il y éprouvait du plaisir. José a expérimenté plein de choses, parce qu’il n’a pas envie de faire systématiquement les mêmes choses. Mais je suis sûr que si vous lui proposez une autre comédie comme Le Boulet ou Le Mac, il vous dira oui.
J.G.: Il faut que ce soit bien écrit. L’envie de jouer, de faire du délire, est tout le temps présente. Le problème, c’est la partition. Une partition qui n’est pas écrite au niveau de la folie que l’on aime, ce n’est pas possible. Lorsque Michaël m’a proposé Vive la France, je savais qu’on allait envoyer du bois dans les situations qu’il avait imaginées. Mais, souvent, on nous demande de créer quelque chose qui est de l’ordre de notre folie dans des partitions qui ne sont pas abouties.
M.Y.: Je ne vais pas citer de films, mais c’est vrai que j’ai accepté pour de bonnes et parfois de mauvaises raisons de grosses comédies qui ne sont pas à ce niveau d’écriture et d’exigence de production et de réalisation. Quelque part, c’est vrai que derrière tu le paies: c’est sur [ton nom] que le film va être vendu, alors que tu n’es qu’un des maillons de la chaîne. Tu le paies, parce que tu ne t’amuses pas, le film n’est pas à la hauteur et le public n’est pas au rendez-vous.
J.G.: On est un peu la grosse caisse. Il n’y a rien de pire que d’avoir une partition où on joue de la musique de chambre et on envoie une grosse caisse. Au final, c’est nous qui ressortons comme de gros goujats malpolis.

Dans Chamboultout, il y a un équilibre.

J.G.: On est plutôt dans la vraie vie. La difficulté pour un personnage sans filtre comme celui-là, c’est qu’on est loin de la réalité. Je n’ai pas voulu rencontrer le vrai Frédéric. Si j’avais dû jouer ce qu’il est réellement dans la vie, c’est très difficile à supporter, parce que c’est quelqu’un qui est toujours en mouvement, qui cherche toujours à manger, qui siffle. Un type qui a reçu un tel choc, il peut parler très fort. Si vous faites la même chose au cinéma, c’est compliqué. Au cinéma, on est obligé de descendre d’un cran par rapport à ce qui se passe réellement dans la vie pour arriver à quelque chose qui soit acceptable.

Les partitions dont vous parlez ont-elles beaucoup changé depuis vos débuts? Il y a moins de folie?

M.Y.: Non, mais ce qui est sûr, c’est que l’industrie du cinéma est en train de se reconstruire, de se réinventer. Il y a eu une grosse crise en matière de financement. Il faut voir comment on va évoluer avec Netflix. Des projets comme Le Boulet, ça n’existe plus.
J.G.: Il y a deux choses. On est un peu dans les starting blocks avec Michaël. On aime profondément ces plateformes qui sont arrivées avec une qualité d’écriture et beaucoup d’inventivité. Par ailleurs, il y a un monde de réseaux sociaux où dès que vous levez le petit doigt vous vous faites crucifier. Le problème, c’est que le cinéma est presque pieds et poings liés, parce qu’il y a une trouille générale. Il y a une espèce de chasse aux sorcières, un côté pudibond bien-pensant qui est épouvantable. C’est ce qui est compliqué avec les réseaux sociaux: à force de ne plus pouvoir dire tout ce qu’on veut, de ne pas pouvoir faire ce qu’on a envie de faire, on rentre dans un monde de cynisme. C’est la pire des choses qui puissent exister.
M.Y.: Et plus rien n’est excitant.
J.G.: Dans ce contexte, le cinéma est obligé de se redéfinir pour avoir des scénaristes, des auteurs qui font un travail beaucoup plus pointu. On ne peut plus se reposer sur le vieux système où il y avait un scénario, on arrivait à trouver deux acteurs et c’était bon, on tournait. On s’est souvent fait avoir comme ça. Derrière, il n’y avait pas de boulot, des scénarios qui ne fonctionnaient pas et quand on commençait à tourner, c’était mort. Il ne faut pas oublier que le cinéma coûte cher. Netflix est un très bon moteur. Il va falloir expliquer aux gens pourquoi ils vont sortir de chez eux pour venir nous voir.

Qu’allez-vous faire?

J.G.: On va se battre comme des chiens pour écrire. Ça s’était embourgeoisé. Maintenant, il va falloir vraiment y aller. Les gros budgets, c’est terminé. Les films ne marchent pas. Il va falloir être inventif. Il va falloir être bon.

Jérôme Lachasse