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Inégalités et sexisme dans l’animation: "On se bat pour dire que les femmes sont capables de réaliser un film"

La Reine des Neiges 2, un des films d'animation les plus attendus de l'année, est co-réalisé par une femme.

La Reine des Neiges 2, un des films d'animation les plus attendus de l'année, est co-réalisé par une femme. - Disney 2019

Corinne Kouper, présidente de l’association Les Femmes s’animent, raconte les difficultés rencontrées par les femmes pour réaliser un long-métrage d’animation. Elle explique comment les studios se mobilisent.

Le cinéma d'animation ne compte que 3% de réalisatrices. Ce chiffre édifiant provient d'une étude réalisée par l’association Women in Animation et l’école USC Annenberg. Dévoilée cette semaine pendant le festival d’Annecy, l'étude confirme l’absence d’opportunités pour les femmes dans l’industrie du cinéma d’animation.

Cette statistique se réduit comme peau de chagrin pour les femmes de couleur qui ne représentent que 1% des cinéastes en activité au cinéma. Si les femmes constituent seulement 9% des scénaristes et 8% des directeurs de l’animation, elles restent le plus souvent cantonnées à des postes subalternes et maintenues éloignées des rôles décisionnaires. Une évolution qui scandalise d’autant plus la productrice Corinne Kouper, présidente de l’association Les Femmes s’animent, que le plus vieux film d’animation de l’histoire, Les Aventures du prince Ahmed (1925), est signé par une femme: l’Allemande Lotte Reiniger.

Alors que le festival d’Annecy a signé la charte 5050 pour 2020 pour la parité et la diversité, quelques signes semblent annoncer une évolution: les films d’animation les plus attendus de l’année - de La Reine des Neiges 2 aux Hirondelles de Kaboul - sont signés par des femmes. Bien conscient du problème, Dreamworks a longuement souligné ce mardi que son nouveau film Abominable (en salles le 23 octobre) avait été conçu par deux femmes, la réalisatrice et scénariste Jill Culton et la productrice Suzanne Buirgy. Également co-fondatrice de l’association Les Femmes s’animent, Corinne Kouper mène la révolution.

Elle raconte à BFMTV comment elle se mobilise pour mettre en lumière les femmes dans l’animation - et comment les dirigeantes des grands studios hollywoodiens entendent s’allier pour changer la situation.

Affiche du festival d'Annecy et Corinne Kouper, présidente des Femmes s'animent
Affiche du festival d'Annecy et Corinne Kouper, présidente des Femmes s'animent © Anncy 2019

Vous avez créé l’association Les Femmes s’animent en 2015. Qu’est-ce qui a changé depuis?

On a créé l’association parce qu’on a pensé qu’il était temps de s’occuper de ces sujets, de faire en sorte que les femmes aient leur place dans les équipes d’animation. On savait que les talents étaient nombreux, que les femmes étaient très présentes dans les écoles d’animation et que malheureusement elles étaient totalement sous-représentées dans les studios. On a pris conscience de cette situation et on a essayé de rendre plus visible ce problème.
Et, en effet, les choses ont bien changé. Harvey Weinstein et John Lasseter [le co-fondateur de Pixar viré pour harcèlement, NDLR] nous ont bien aidés. Il fallait mettre ces affaires sur la place publique. On a commencé à évoquer des sujets dont on ne parlait pas à l’époque: le sexisme, les rivalités, le fait que les femmes, historiquement cantonnées à des postes subalternes, n’arrivaient pas à accéder à certains postes - comme la réalisation.

Et bien souvent les films d’animation signés par des femmes sont en réalité des co-réalisations: Minuscule de Hélène Giraud et Thomas Szabo, Aya de Yopougon de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, La Reine des Neiges 2 de Jennifer Lee et Chris Buck…

Ce n’est pas vrai. Enfin, pas toujours: nous avons Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec [en sélection officielle à Annecy après un passage remarqué à Cannes en mai, NDLR]! Mais c’est vrai que ce n’est pas parce que certaines femmes ont réalisé quelques énormes longs-métrages que la situation est résolue. Le déséquilibre est encore là. Depuis de nombreuses années, on laisse les femmes gentiment s’amuser avec des courts-métrages. On le voit dans la sélection à Annecy où les femmes ont réalisé ou co-réalisé plus de courts-métrages que de longs-métrages.
Les films d’animation sont chers. Dès lors qu’il faut mettre en œuvre des films plus ambitieux, on subit les préjugés inconscients qui nous forgent depuis notre enfance: on pense qu’une femme ne va pas être capable de porter une équipe pendant de nombreuses années [il faut souvent compter cinq à sept ans pour produire un film d’animation, NDLR]. On a eu tendance à ne pas faire confiance aux femmes.

L’avez-vous ressenti dans votre activité de productrice?

Disons que nous avons fait avec pendant longtemps. Les femmes de notre génération, nous avons réussi à trouver notre place, mais nous avons dû faire des choix. Nous sommes nombreuses dans l’animation - environ 30 % - mais nous ne sommes pas à la parité: c’est là qu’est le problème. Dans les écoles, il y a 60% de femmes et dans la vie professionnelle il n’y en a plus que 30%. Où sont ces 30% qui manquent? Elles ont dû trouver un autre métier où elles avaient moins de difficultés à percer… Avec Les femmes s’animent, nous sommes là pour faire en sorte que ces 30% de femmes trouvent une place et s’épanouissent dans le métier qu’elles ont choisi quand elles étaient jeunes. On se bat pour dire que les femmes sont capables de réaliser un film d’animation et elles sont en train de le prouver!

Justement, Florence Miailhe, 63 ans, est en train de terminer La Traversée, son premier film en tant que réalisatrice.

Merveilleuse Florence qui fait enfin un film après tant d’années! C’est un excellent exemple: elle a subi de plein fouet cette difficulté qui a été celle des femmes pendant des années. Nous sommes en train d’essayer d’abattre les obstacles pour que les femmes de grand talent comme Florence soient reconnues. Elle a fait avec sa productrice Dora Benousilio de nombreux courts-métrages, tous très remarqués [elle a reçu le César du meilleur court en 2002 pour Au premier dimanche d’août, NDLR]. La Traversée est un film très personnel sur l’histoire de sa famille qu’elle porte depuis 2009. Elle doit le terminer courant 2020.

Comment vous mobilisez-vous?

On a des actions multiples: sensibiliser, ainsi que faire connaître et développer les talents. On a un site internet où on met en valeur des femmes remarquables pour rappeler qu’il en existe dans l’animation. Elles nous racontent leur parcours. Et puis, on a des actions de mentorat. On fait appel à des gens pour accompagner des femmes à se développer à travers un cycle de rencontres. Sur le plan institutionnel, on travaille avec le CNC et des associations comme 5050 en 2020. Je me félicite également du bonus de 15% supplémentaire sur le financement qui a été annoncé début 2019 et sera décerné au film d’animation qui présente une équipe paritaire dans certains postes décisifs comme la réalisation, la production, la direction de l’animation ou l’écriture. Concernant le harcèlement, on a publié au sein des Femmes s’animent un petit fascicule qu’on a distribué dans les studios. On a aussi conçu une affiche un peu provoc’ sur le harcèlement pour que les gens puissent trouver un numéro de téléphone d’une personne référente dans les studios puisqu’il peut en effet arriver qu’il n’y ait pas de DRH, mais une personne agréée à recevoir les plaintes.

Vous avez organisé au début du festival une rencontre sur ce sujet entre les dirigeants des studios américains: Warner, Disney, Dreamworks, Netflix, Sony… Qu’est-ce qui est ressorti de cette discussion?

On voyait bien à quel point ces femmes étaient limitées pour l’instant dans leur enthousiasme: elles ne vont pas pouvoir révolutionner les situations d’un coup d’un seul. Mais, petit à petit, je pense qu’elles vont être amenées à faire la courte échelle à certaines femmes. Ça va prendre du temps. On a aussi beaucoup évoqué le mot de sororité. Et on s’est beaucoup préoccupé de la transition entre l’école d’animation et la vie professionnelle: comment faire pour aider ces femmes qui n’ont pas suffisamment d’ambition pour se présenter dans les grands studios et proposer leurs projets, comment faire pour qu’elles sachent se vendre. Grâce à ces rencontres, ces dirigeantes sauront porter un regard accompagnant à ces femmes et j’espère que dans très peu de temps ces sujets seront abolis.
Jérôme Lachasse