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Cinéma

Hayao Miyazaki: un documentaire inédit dresse un portrait intime du maître de l'animation japonaise

Miyazaki

Miyazaki - Copyright NHK

Le grand cinéaste japonais se dévoile comme jamais dans un documentaire inédit qui retrace la production du court-métrage Boro la chenille.

Septembre 2013, après le succès du Vent se lève, le réalisateur Hayao Miyazaki annonce, à la surprise générale, lors du conférence de presse son départ en retraite. S’il multiplie ce genre de déclarations depuis les années 1990, cette fois-ci, il est sérieux, prévient-il.

"J’essaie de garder la forme et de lever le pied. Mais je commence à avoir du mal à me concentrer", dit-il avant d’invoquer les “conséquences de l’âge": "On ne peut rien y faire [...] J’ai toujours donné le meilleur de moi. C’est pourquoi je n’ai aucun regret. Je pense que j’ai toujours repoussé mes limites [...] j’ai décidé que tout désir de continuer n’était qu’une illusion de l’âge."

Hayao Miyazaki n’a finalement pas tenu sa promesse. Après avoir réalisé le court-métrage Boro la chenille pour le musée Ghibli, il s’est lancé dans la production d’un nouveau long-métrage, intitulé Comment vivez-vous? L’annonce de sa retraite, qui introduit le documentaire Never-Ending Man: Hayao Miyazaki, en salles ce mercredi 2 janvier, en résume les intentions: dresser un portrait intime du maître de l’animation japonais, celui d’un homme qui ne peut s’empêcher de créer et ne cesse de repousser ses limites.

"J’ai toujours senti que deux Miyazaki cohabitaient en lui: celui qui voulait arrêter, et se reposer enfin, et celui qui voulait continuer", confie dans le dossier de presse Kaku Arakawa, le réalisateur du documentaire.

"J’ai arrêté d’essayer de faire plaisir aux autres"

Proche de Hayao Miyazaki depuis une quinzaine d’années, il a suivi la création en 2015 et 2016 de Boro la chenille. Le maître a accepté de se laisser filmer, mais à une condition: que la caméra de Kaku Arakawa soit le plus discrète possible. Présent sans cesse à ses côtés, le journaliste capture des moments privilégiés, et notamment l’excitation du réalisateur en découvrant les images de synthèse. Fasciné par les possibilités de cette nouvelle technologie, Miyazaki explique vouloir l’utiliser pour réaliser des idées qu’il ne peut pas dessiner. "Je ne peux pas dessiner à la main une chenille', affirme-t-il, avant d’ajouter, un brin amusé: 'Peut-être que mon intervention va tout gâcher."

Fausse modestie du maître qui retrouve l’envie de mettre en scène au contact des jeunes animateurs 3D qu’il emploie. "Le travail vous met en forme", lui fait remarquer une de ses collaboratrices. Sous le regard interloqué des animateurs, Miyazaki dessine à sa table de travail un layout précis [composition de l'image, NDLR] pour chaque séquence. Il prétend dessiner pour comprendre. Il a en fait ses raisons pour tout redessiner à la main: il ne fait pas confiance à son équipe d’animateurs 3D et les corrige fréquemment, notamment lorsqu’ils doivent représenter le mouvement et les poils de Boro la chenille.

Boro la chenille
Boro la chenille © Copyright NKH

Le film montre bien les doutes qui l’envahissent: "Qui a lancé ce projet à la noix?" Il hésite à arrêter, mais préfère décupler ses efforts pour être satisfait du résultat: "Il vaut mieux essayer, quitte à échouer", affirme ce réalisateur qui travaille ainsi depuis ses débuts, sans se soucier des modes: "Si on avait essayé de plaire, on serait oubliés depuis longtemps", dit-il à propos du studio Ghibli. Il ajoute: J'ai arrêté d’essayer de faire plaisir aux autres." Ainsi, il ne crée pas tout de suite l’histoire par peur d’être limité dans son imagination. Ce qui ne l’empêche pas de détester Libérée, délivrée, le tube de La Reine des neiges de Disney: “Ça parle d’être soi-même, mais c’est affreux."

"Il ne reste personne pour prendre la relève"

Au fur et à mesure, la fascination pour les images de synthèse laisse place à l’aversion. Le film culmine dans une scène qui a depuis fait le tour du monde. On y voit la présentation d’un programme qui permet de dessiner et d’animer des images sans l’intervention des humains. Face au résultat, un zombie qui se tortille au sol, Miyazaki lance: "C’est une insulte envers la vie." "Ce ne sont que des essais”, tente de se justifier celui qui lui présente le programme.

Au-delà de la sévérité du réalisateur de Princesse Mononoké, Never-Ending Man dresse le portrait d’un être mélancolique et solitaire, conscient d’avoir épuisé ses troupes et de ne pas avoir d'héritier. "Je crois que c’est vraiment la fin”, lance-t-il quelques temps après l’annonce de sa retraite. "Je formais mes successeurs. mais je n’arrivais pas à lâcher prise. je les dévorais tout crus. Je dévorais leur talent."

Le Voyage de Chihiro
Le Voyage de Chihiro © Ghibli

Kaku Arakawa, malicieusement, monte sur cette phrase une image du Sans Visage dévorant tout sur son passage dans Le Voyage de Chihiro. "Il ne reste personne pour prendre la relève", poursuit Miyazaki. Les regrets du cinéaste sont réels: celui qu’il considérait comme son successeur, Yoshifumi Kondō, est mort en 1998 d'une rupture d'anévrisme après avoir réalisé un seul film, Si tu tends l’oreille. Son décès brutal poussa Miyazaki à partir à la retraite et à réaliser Chihiro.

"Des gens meurent alors qu’ils auraient dû partir après moi"

La mort est omniprésente dans Never-Ending Man. Miyazaki évoque celle, survenue lors de la conception de Boro, d’anciens collaborateurs comme l’animatrice Masako Shinohara, qui a travaillé pendant 52 ans avec lui, et la coloriste Michiyo Yasuda: "Des gens meurent alors qu’ils auraient dû partir après moi. Qu’est-ce que je fais ici?", déplore-t-il. 

Miyazaki évoque fréquemment sa propre mort. Lorsqu’il annonce vouloir réaliser un nouveau film, il se demande s’il sera toujours en vie à la fin de la production. Difficile pour ce perfectionniste de répondre à cette interrogation et d’imaginer son œuvre terminée par un autre. Une seule chose est certaine: rien ne peut l’arrêter. Si l’animation à la main reste un travail de titan, reconnaît-il, c’est cette voie qu’il souhaite poursuivre.

Son nouveau long-métrage, Comment vivez-vous?, est en cours de production. Selon son producteur Toshio Suzuki, il devrait sortir d’ici trois ou quatre ans. En attendant, Kaku Arakawa a déjà repris sa caméra pour filmer le maître au travail.

Miayazaki
Miayazaki © Copyright NHK Eurozom
Jérôme Lachasse