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Fantôme, zombie: de 1950 aux années 2010, quelle figure a dominé le cinéma d'horreur et pourquoi?

Le tueur psychopathe Michael Myers, symbole du cinéma d'horreur.

Le tueur psychopathe Michael Myers, symbole du cinéma d'horreur. - John Carpenter, Halloween.

Le cinéma d'horreur tente d'exorciser les hantises de la société, et ses monstres sont l'émanation des tensions qui la travaillent. BFMTV.com s'est tourné vers des spécialistes afin de comprendre les secrets de la domination de quelques figures du film d'épouvante sur l'imaginaire de leur décennie.

A celui qui voudrait tâter le palpitant de la société, s’enquérir de ce qui la travaille, l’effraie, la fascine, on ne peut que rappeler que le cinéma d’horreur est un excellent indic’. Tandis que l’obsession du spectateur pour le frisson s’étale actuellement, et jusqu’au 19 janvier, entre les murs de la cinémathèque de Paris à l’occasion de l’exposition "Vampires", BFMTV.com a donc décidé de faire parler les monstres. Nous avons retenu décennie par décennie, des années 1950 à nos jours, la figure dominant alors le cinéma d’horreur et avons demandé à des spécialistes de livrer leurs explications sur les raisons de ce règne.

• Années 1950: peur extraterrestre pour échos terrestres 

Dans les années 1950, alors que le monde sort d’une guerre mondiale cataclysmique pour entrer dans sa version plus taiseuse, les outils de navigation du cinéma s’affolent: les extraterrestres font leur apparition. Stéphane Benaïm, auteur des Extraterrestres au cinéma, rectifie: "Avec Méliès déjà, il y a les Sélénites qui sont les habitants de la Lune. Dès le début du cinéma, on va avoir de l’imaginaire, et des figures monstrueuses. Très tôt, le cinéma apparaît comme un moyen d’explorer." En-dehors des expérimentations de Georges Méliès, le cinéma commence, en ce tournant du XIXe et du XXe siècle, avec les frères Lumière par des explorations aussi extraordinaires que familières, comme celle de la gare de La Ciotat. Puis, les moyens techniques et l’audace des premiers cinéastes croissant, la caméra s’aventure dans le monde, pour montrer contrées et peuples jusque-là sans image dans l’esprit occidental. Bientôt, la fiction supplante ces documentaires. Elle n’attend pas pour voir en grand. On n’attend pas davantage pour se faire peur. 

"Dans les années 1950, le cinéma de science-fiction va arriver, parce que le cinéma est déjà allé très loin dans son exploration de la Terre et on va aller chercher le monstre ailleurs, et donc dans l’espace", rebondit Stéphane Benaïm.

De Destination... Lune ! en 1950 au Village des Damnés en 1960, en passant par La Guerre des Mondes (1953), Le Satellite Mystérieux (1956) ou Plan 9 From Outer Space (1959), le cinéma ne lâche pas les extraterrestres. On compte au moins une trentaine de films du genre en dix ans. Stéphane Benaïm continue de lister les facteurs de cette fièvre: "Il y a le drame du nucléaire, le traumatisme de la bombe atomique, avec des inquiétudes radioactives qui créent du monstre". "On a aussi en amorce la guerre froide. Il va falloir incarner la figure du Mal et plutôt que de s’attaquer de manière frontale et désigner l’ennemi comme soviétique, on va se servir de la figure du monstre et de l’extraterrestre", poursuit-il.

Les enfants extraterrestres du Village des Damnés
Les enfants extraterrestres du Village des Damnés © Wolf Rilla, Le Village des Damnés

Dans L’Invasion des Profanateurs de Sépultures de Don Siegel, en 1956, les extraterrestres se fondent dans la masse, noyautant l’humanité comme une cinquième colonne invisible et subversive. 

"C’est intéressant de voir que cette logique de monstres répond aussi à une attente du public, c’est une envie de ce que j’appelle l’exotisme, et cette notion d’exotisme n’est pas différente de l’horreur, du fantastique et du monstre", reprend l’auteur d’Extraterrestres au cinéma qui pose: "La notion de l’Autre est primordiale, et la compréhension de l’Autre c’est une des bases mêmes de l’exotisme. Et est-ce qu’on va essayer de le comprendre ? Est-ce que c’est une menace?"

Cependant, L’Invasion des Profanateurs de Sépultures ne se contente pas de mettre en scène une infiltration: les aliens échappent d’autant plus à toute vigilance qu’ils utilisent les individus comme corps-hôtes. Stéphane Benaïm voit dans ces éléments le reflet d’une Amérique, terre d’immigration, qui ferme désormais ses ports et ses frontières: "Cette idée de remplacement préfigure les vagues migratoires. Il faut voir qu’aux Etats-Unis on connaît déjà la notion d’immigration. Il y a eu des arrivées d’Italiens, de Polonais, d’Europe de l’Est qui viennent avec leur culture très riche. Il y a d’ailleurs un monstre emblématique, le Golem, issu de la mythologie juive qui est prégnant et qui a aussi une figure humaine. Il y a donc peut-être cette idée de grand remplacement ou de défiance à l’égard des migrants."

Scène tirée de l'Invasion des Profanateurs de Sépultures.
Scène tirée de l'Invasion des Profanateurs de Sépultures. © Don Siegel, L'Invasion des Profanateurs de Sépultures.

Les fifties forcent par ailleurs les foules à lever le menton. En 1957, les Soviétiques envoient le premier Spoutnik dans l’espace. Un mois plus tard, ils font tourner la chienne Laïka en orbite autour de la Terre à l’intérieur de Spoutnik 2. En 1958, les Américains contre-attaquent en créant la NASA. Le cinéma s’en ressent.

"On a beaucoup d’équipages d’astronautes qui vont à la rencontre d’extraterrestres. Dans Planète Interdite, on a un équipage, qui ne va pas sur Mars mais arrive sur une autre planète habitée par des humains mais où il y a eu anciennement une société extraterrestre qui s’est détruite par le nucléaire. La notion radioactive est encore là", remarque Stéphane Benaïm. 

Si les thèmes reviennent, l’extraterrestre est protéiforme. Les réalisateurs sont loin de s’en tenir aux créatures vertes, à la tête disproportionnée où sont plantés deux yeux globuleux. "Les années 50 sont une période de foisonnement de monstres et de séries B. Donc, on n’a pas forcément de grands moyens, il y a beaucoup d’expérimentations avec des cerveaux géants gélatineux, des bras comme des tentacules de poulpes, on va avoir tout un panel de créatures complètement délirantes en fonction des moyens", détaille notre spécialiste. 

La menace est grande, l’ennemi changeant. Mais la fiction ne panique pas. Ces films qui se font les ambassadeurs du soft power d’Etats-Unis triomphants, et représentent sans vraiment se cacher l’opposition entre ceux-ci et l’URSS, s’achèvent en général par la victoire humaine, ou plus exactement américaine. "On est dans une phase pompier. On montre qu’on est ‘capable’. Capable de riposter, de conquérir, de technologie", analyse Stéphane Benaïm.

Une dimension plus sensible se dessine toutefois sous ces dehors bravaches. Montrer l’Autre, c’est bien sûr s’obliger à définir notre nature commune. Apprendre à reconnaître l’extraterrestre conduit en filigrane à débusquer les traits qui fondent l’humanité. "L’Autre est différent de par ses capacités, ses pouvoirs mais aussi son absence d’empathie. C’est aussi une manière de se rassurer: l’humanité, à l’inverse, a cette capacité de prodiguer de l’amour", conclut Stéphane Benaïm.

• Années 1960: le vampire, cet obscur agent du désir 

Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. Le vampire et le cinéma ont contracté des noces sanglantes qui s’étirent jusqu’à aujourd’hui. Un panneau de l’exposition de la Cinémathèque feint de s’interroger: "Le cinéma, art de l’illusion des corps qui ne vieillissent pas et des caméras qui ne se reflètent pas dans les miroirs, ne serait-il pas, par définition, un art vampirique?"

On peut ajouter, à la suite de cet épisode de Blow Up, la série documentaire d’Arte consacrée à l’histoire du cinéma, que ce dernier renforce encore cette dimension en pompant le réel à travers la captation de l’image. C’est peut-être pour ça que le vampire s’invite presque immédiatement dans ces salles obscures où il doit se sentir comme chez lui. "Il y a eu un premier âge d’or dans les années 1930", fait valoir Alain Pozzuoli, auteur récemment des 100 films cultes de vampires

Ainsi, Robert G. Vignola réalise en 1913 son Vampire. En 1922, Friedrich Murnau se taille un costume de maître avec son Nosferatu, où le comédien Max Schreck promène une silhouette effrayante terminée par des ongles démesurés. En 1931, Tod Browning accouche de la première adaptation officielle du roman de Bram Stoker, Dracula, et offre la cape du comte à l’acteur Bela Lugosi, qui n’arrivera plus vraiment à la lâcher.

Le vampire vient de plus loin encore. Créature de la nuit, il remonte même à la nuit des temps. A vrai dire, il est de toutes civilisations ou presque: héritier de la Lamia grecque, de la stryge romaine, il a des cousins en Perse, comme chez les Slaves, ou en Afrique, en Asie etc. Mais c’est en Europe centrale que ce damné condamné à l’éternité va connaître l’immortalité. Et ce grâce à la littérature britannique. "Il y a eu le Carmilla de Sheridan Le Fanu et le Dracula de Bram Stoker mais avant Le Fanu et Stoker, il y a toute une littérature allemande qui était là, et en Angleterre il y avait le poème Christabel de Coleridge, où on retrouve toute l’histoire de Carmilla! En fait Stoker s’est inspiré de Le Fanu qui s’est inspiré de Coleridge", énumère Alain Pozzuoli.

C’est bien sûr le mythe forgé par Bram Stoker, en combinant des éléments de l’histoire et des légendes de Roumanie et de Hongrie, qui a le plus puissamment frappé le cinéma. Après Bela Lugosi et consorts, le vampire s’essouffle un peu mais reprend du poil de la bête en 1958. "A partir du Cauchemar de Dracula, il y a un nouveau souffle qui emporte tout. La 'Dracula mania' commence avec le film de Terence Fisher", déclare Alain Pozzuoli. On ne l’arrêtera plus de toute la décennie suivante. Les péripéties du comte transylvanien s’accumulent en plus des méfaits filmiques commis par d’autres êtres aux canines acérées. Christopher Lee, présent déjà dans l’adaptation de 1958, impose son allure de dandy dégingandé dans de nombreuses œuvres, parmi lesquelles: La Crypte du vampire (1964), Dracula, prince des ténèbres (1966), Dracula et les Femmes (1968), ou encore Les Nuits de Dracula, Une messe pour Dracula et Les Cicatrices de Dracula pour la seule année 1970. 

Christopher Lee
Christopher Lee © Terence Fisher, Le Cauchemar de Dracula

L’univers vampirique, qui joue sur la séduction et la corruption morale, où la succion du sang succède à la pénétration de la morsure, renvoie par nature au désir sexuel et à la quête de son assouvissement. Cette libido convient très bien aux années 1960.

"Ce qui est sous-jacent à ce moment-là, c’est la révolution sexuelle. Le vampirisme avait été oublié avant Fischer car le thème avait été amoindri par des comédies sans intérêt. Avec Fischer, il retrouve sa subversion. D’ailleurs le film a parfois été censuré en Europe, car on considérait le film comme trop subversif justement ou du sous-cinéma", décrypte Alain Pozzuoli qui précise: "Le vampirisme est un acte sexuel. Il n’est pas sûr que les spectateurs l’aient compris dans les années 1950, mais dans les années 1960 oui."

Soumis à un dress code souvent strict, lié à une imagerie quasi-immuable, entre cercueils, rats et chauves-souris, coulé dans un romantisme suranné, le vampire est alors exposé à un risque non négligeable: faire rire. Lors de cette même décennie, certains cinéastes choisissent d’assumer. Leur maladresse plonge cependant un pieu dans le cœur de leur sujet, selon Alain Pozzuoli qui sauve pourtant un célèbre spécimen de la comédie aux dents longues: "La comédie ne fonctionne pas avec le vampire - sauf le Bal des vampires, grâce au talent de Polanski, aux codes qui sont détournés mais ne rendent pas le vampire ridicule – ça tue le mythe et heureusement à chaque fois des films plus intéressants sortent."

Roman Polanski et Sharon Tate s'apercevant que leurs hôtes ne se reflètent pas dans le miroir.
Roman Polanski et Sharon Tate s'apercevant que leurs hôtes ne se reflètent pas dans le miroir. © Roman Polanski, Le Bal des Vampires.

Certes, les années 1970 continuent à projeter l’ombre du vampire sur les écrans, et parfois celle de Christopher Lee par la même occasion, mais il est vrai que le genre paraît à l’époque exsangue. Il reviendra, délesté de pas mal de ses illusions, dans les dernières années du XXe siècle. 

• Années 1970: la longue marche des zombies 

"Le zombie, c’est toujours le passé qui revient", nous confie la voix de Blow Up, Luc Lagier, qui est le créateur de ce programme d’Arte. Pourtant, lorsque les zombies commencent à tituber devant l’objectif de George Romero en 1968 pour La Nuit des Morts-Vivants, ils apportent quelque chose de radicalement nouveau. C’est en effet la première fois que le cinéma d’horreur va voir ailleurs pour y dénicher son monstre.

"C’est à l’époque la seule figure non originaire de la culture occidentale. Un mort qui marche, qui n’est ni mort ni vivant, tout en étant les deux à la fois. Même si on a un exemple dans la mythologie nordique à travers les Draugr", replace ainsi Julien Bétan, auteur avec Raphaël Colson de Zombies !
Et George Romero créa le zombie moderne.
Et George Romero créa le zombie moderne. © George Romero, La Nuit des Morts-Vivants.

Le Zombie, lui, vient de Haïti et de la culture vaudou. De 1915 à 1934, les Américains occupent la petite république caribéenne. Et l’endroit devient une destination à la mode. "Un aventurier, William Seabrook, y est allé pour essayer d’enquêter sur une rumeur dont lui avait parlé un médecin: des zombies travailleraient dans des champs de canne à sucre. Dans un chapitre du livre qu’il fait de son voyage, il dit qu’il a rencontré le propriétaire d’un de ces champs et décrit ces zombies. Il parle d’automates aux yeux vides", poursuit Julien Bétan. Son livre, publié en 1929, est un succès, sa transposition immédiate à Broadway beaucoup moins. Mais le cinéma s’en mêle tout de même en 1932, avec White Zombie et l’incontournable Bela Lugosi. 

Le vaudou est encore au cœur du film de Jacques Tourneur en 1943, mais le zombie ne tourmente pas les spectateurs outre-mesure à l’époque. Et à son retour à l’orée des années 1970, il s’est débarrassé du mysticisme pour entrer en politique. "Le zombie moderne qui naît en 1968 est forcément politique. Le grand cinéma d’horreur dit toujours la revanche de l’opprimé, du petit, du sans-grade", définit Luc Lagier. 

"Le zombie réapparaît en 1968 comme par hasard dans des Etats-Unis en ébullition autour de la question des droits civiques, avec un Vietnam brûlé au napalm." Il développe: "Le zombie revient en force avec l’idée d’invasion, quand un pays en envahit un autre et se fait bouffer par celui qui est déjà là et qu’on ne veut pas voir. C’est très lié à l’histoire des Etats-Unis, d’abord vis-à-vis de l’indien, puis du Vietnamien, puis de l’Irakien. Et comme on ne veut pas le voir, le retour de l’opprimé sera monstrueux."

Entre La Nuit des Morts-Vivants (1968) et Zombie (1978), George Romero balise ce chemin du retour. En passant, il repense la créature, lui permettant de prendre un nouvel essor. "Je pense que les films de zombies décollent car Romero change trois choses: il n’y a plus de maître du zombie, et on ne sait pas d’où vient le phénomène ; il est cannibale ; il est contagieux", estime Julien Bétan. Comme l’extraterrestre, le zombie envahit, comme le vampire, il mord et transforme. Mais il est une caractéristique qui n’appartient qu’à lui: son rythme. Car le zombie est lent. "Cette lenteur du zombie est extraordinaire. C’est la mort en marche. Cette lenteur est programmatique. ‘On ne va pas vite car on sait qu’on va gagner’", dépeint l’artisan de Blow Up.

Les Zombies dans le centre commercial de Zombie.
Les Zombies dans le centre commercial de Zombie. © George Romero, Zombie.

Vu le manque de vitesse et de jugeote de leurs adversaires, les héros ne devraient pas avoir grand mal à les vaincre. Pourtant, le taux de mortalité dans leurs rangs est spectaculaire.

"Les survivants se condamnent toujours d’eux-mêmes et s’entretuent. Il y a une charge qui est que le danger vient de soi-même, d’une société qui n’arrive pas à s’organiser, en plus de la menace extérieure des zombies", explique Luc Lagier, qui enchaîne: "Le zombie est là pour venger, c’est le refoulé de la grande histoire. Tout l’enjeu pour les survivants va être d’ouvrir les yeux, de prendre en considération et peut-être qu’alors ils pourront survivre". Il pointe d’ailleurs: "Il y a toujours une scène où le personnage est de dos et doit se retourner pour voir ce qu’il y a derrière lui". 

• Années 1980: l’heure du slasher

Il y en a un autre qu’on n’aura pas vu venir. Dans les années 1980, le psychopathe du slasher, avec son couteau, sa hache, ses griffes en acier ou sa tronçonneuse, vient surprendre l’Amérique de Ronald Reagan dans son lit. La rupture est béante. Le monstre ne jaillit plus d’une fantasmagorie ou d’une autre, il s’affirme comme notre semblable. Bien qu’il puisse trancher fictivement celles de ses collègues de tournage, l’assassin du slasher ne se prend pas la tête.

"Dans le tueur du slasher, t’as seulement quelques cases à remplir: il faut le caractériser, lui donner un modus operandi etc. mais le créateur peut s’amuser", définit le vidéaste ALT 236, du nom de la chaîne YouTube dédiée au fantastique qu’il a créée. Stéphane Bouley, auteur notamment de L’œuvre de John Carpenter: les masques du maître de l’horreur complète: "On a une situation de départ avec des adolescents, des meurtres, imaginatifs de préférence, et une final girl". 

Le personnage de Nancy, "final girl" des Griffes de la Nuit, devant Freddy Krueger.
Le personnage de Nancy, "final girl" des Griffes de la Nuit, devant Freddy Krueger. © Wes Craven, Les Griffes de la nuit

Le parcours récurrent est le suivant. Dans une zone urbaine mais périphérique – on préférera la banlieue, la fac, le camp de vacances au centre-ville – un fou furieux, généralement équipé d'une arme blanche, pourchasse une bande d’adolescents qu’il décime petit à petit. Dans la plupart des cas, c’est une jeune fille qui met fin au carnage. 

Les thèmes de l’éveil à la sexualité, et donc des derniers moments de la virginité, se lisent en creux. Dans le slasher, on peut voir ces données se fondre dans une psychose de l’effraction. "Dans le slasher, il y a tout un imaginaire du home invasion (intrusion par effraction, NDLR), il y a tout un sous-titre moraliste aussi, avec par exemple la vierge qui s’en sort mais aussi des femmes très fortes", souligne ALT 236. Le public découvre en fait l’alliance du conservatisme moral anglo-saxon et du business cynique de ce qu’on a surnommé "les années fric". D’où le succès du genre: "Dès qu’on voit que ça marche, qu’on peut en faire des franchises, que les gens portent des masques dans la rue, on va se lâcher. Et puis ça s’explique par le côté puritain américain de ces années-là, puisqu’il y a l’idée de faire quelque chose d’un peu déviant. Et c’est pas cher à faire, tout le monde peut le faire", ajoute-t-il. 

Le slasher bourgeonne en effet entre le Maniac de William Lustig en 1980 et les Halloween 5 et autres Vendredi 13 partie 8 en 1989, avec au bas mot une quarantaine de films, mais son arbre généalogique s’enracine dans trois chefs-d’œuvre de la décennie précédente: Massacre à la tronçonneuse, Black Christmas et Halloween. Michael Myers, pensé par John Carpenter dans ce dernier film sorti en 1978, son bleu de travail, son couteau de cuisine serré dans un poing, et son masque de mauvais latex, fascine encore les amateurs. Lorsqu’on demande à Stéphane Bouley, quelle image lui vient à l’esprit à l’évocation du slasher, il répond d’ailleurs: "Ça reste évidemment la silhouette immobile et plongée dans la pénombre de Michael Myers en haut des escaliers. C’est le monstre dans toute sa puissance, avec sa silhouette dans le noir et son couteau."

Michael Myers.
Michael Myers. © John Carpenter, Halloween.

Introduite par l’impitoyable, silencieux et inexplicablement mauvais Myers, l’idée du mal absolu gouverne le genre. "Michael Myers, c’est certes le Mal absolu, mais il lance aussi la mode du expressionless (impassible, NDLR). Il a un côté à la fois humain et terreux. Comme son masque est blanc, il est plus ‘invitant’, on peut projeter ce qu’on veut", estime ALT 236. 

Bien sûr, le slasher a aussi un oncle d’Europe: le giallo. Mais ces films italiens, où un tueur en série à la main gantée cachant une lame s’en prend à de jolies jeunes filles, présentent un côté esthétisant dont le slasher se détourne. On n’ose dire que celui-ci, plus gore, plus roturier, plus direct, est tout simplement plus américain. Il faut signaler que Ted Bundy, Henry Lee Lucas, Ottis Toole, Jeffrey Dahmer etc. sillonnent alors ou viennent tout juste de sillonner les Etats-Unis. "Une dernière raison du succès du slasher dans les années 1980, c’est qu’à ce moment-là la pop culture est en train de digérer le traumatisme du tueur en série. Du coup, ces histoires deviennent plus crédibles qu’une histoire de zombies", confirme ALT 236. 

Stéphane Bouley montre ainsi ce que l’horreur peut receler de libération pour le public: "Le slasher montre des choses innommables, très ritualisées, dans lesquelles on va pouvoir trouver un exutoire."

• Années 1990: le vampire se fait du mauvais sang

Pour le vampire, les années 1990 correspondent tout à la fois à un renouveau, à un virage, et à une chute. C’est Thermidor après la Terreur, la New Wave après le punk. On s’est installé dans la décadence et on s’y sent bien. On délaisse de plus en plus l’horreur pour l’ambiguïté et le glamour. Il est moins un prédateur attaquant la société depuis l’extérieur qu’un électron libre en son sein. On ne peut pas dire pour autant qu’il soit très fringuant. Le vampire est désormais malade. Il y a une bonne raison à ça: le sida.

Née en Afrique, la maladie apparaît aux Etats-Unis et en Europe au cours des années 1970, gagne en force tout au long des années 1980. A l’aube de la décennie suivante, c’est un fléau mondial. Vivant par et pour le sang, le vampire n’échappe pas à la pandémie. Les premiers symptômes surgissent en 1983. "Pour le sida, l’exemple, c’est Les Prédateurs, on ne peut pas ne pas lier les deux", insiste Alain Pozzuoli. Dans ce film de Tony Scott, Miriam Blaylock, interprétée par Catherine Deneuve, et son conjoint, John, joué par David Bowie, traversent les siècles en buvant le sang de leurs victimes afin de se nourrir et de se préserver du passage du temps. Pourtant, le personnage de David Bowie décèle, inquiet, des signes de vieillissement sur son visage. Dans une scène poignante, il semble même prendre 50 ans en quelques heures. 

David Bowie, vampire malade et victime d'un vieillissement express dans Les Prédateurs.
David Bowie, vampire malade et victime d'un vieillissement express dans Les Prédateurs. © Tony Scott, Les Prédateurs.

Si elle n’a rien d’une panacée pour John, ce coup de moins bien s’avère une chance pour le vampire. "Le sida explique aussi le regain d’intérêt. Le vampire s’est humanisé. Il n’est plus une bête dangereuse, le vampire est devenu nous. Mais on ne peut pas ne pas y penser. Le vampire, c’est toujours l’idée de la transmission, de la contamination", fait valoir l’auteur des 100 films cultes de vampires

Quelques années plus tard, dans Aux Frontières de l’Aube de Kathryn Bigelow, Caleb devient un vampire de la faute d’une jeune fille qu’il drague. La maladie rencontre d’ailleurs une autre malédiction. Comme la plupart des autres vampires des millésimes 1980 et 1990, Caleb présente tous les signes du manque quand il s’est abstenu depuis trop longtemps d’absorber son précieux élixir. La consommation de sang rappelle l’intraveineuse du shoot d’héroïne. En 1995, le cinéaste Abel Ferrara choisit d’ailleurs d’intituler l’alimentation frénétique de son personnage Kathleen The Addiction

A ces deux volets se superpose un troisième: l’inversion. Et celle-ci s’impose au double sens du mot. Tout d’abord, l’homosexualité du vampire, toujours latente jusque-là, parvient à l’avant-scène dans les années 1990. Si auparavant, par exemple dans le livre de Sheridan Le Fanu, dans lequel Carmilla et sa victime entretiennent une passion lesbienne évidente, ou dans le film Vampyros Lesbos, de Jesus Franco en 1971, ou encore dans la filmographie de Jean Rollin, l’homosexualité s’exprimait du côté féminin, le récit est cette fois masculin. L’homosexualité s’affirme comme un thème majeur de l’adaptation, datée de 1994, du roman d’Anne Rice, Entretiens avec un vampire, où l’on retrouve notamment Brad Pitt et Tom Cruise. 

L’inversion est aussi celle des valeurs. Le vampire appartient en plein au domaine religieux. Il reçoit du christianisme un rôle tout particulier. "Dracula est bien sûr un Antéchrist", appuie Alain Pozzuoli qui relève: "Il y a un film très original, Dracula 2001, où on comprend que Dracula est Judas Iscariote!" Au-delà du traître des Evangiles, le vampire prend place aux côtés du Diable. La scène d’ouverture du Dracula de Francis Ford Coppola, en 1992, représente un seigneur roumain désespéré par la mort de sa femme, qui s’est jetée dans le vide en le croyant mort au combat durant une bataille contre les Turcs. Pendant l’enterrement, les popes orthodoxes ont la mauvaise idée de lui dire que, s’étant suicidée, sa défunte épouse est destinée à l’Enfer. La fureur s’empare de Dracula qui "renonce à Dieu", lance son épée contre une croix qui, fendue, libère des flots de sang. Le veuf en remplit aussitôt un ciboire et boit à grands traits devenant de fait un vampire. La caméra de Coppola dévoile ici le renversement opéré par le vampire. Tandis que les chrétiens puisent le salut en buvant le sang du Christ au cours de l’eucharistie, lui se damne par l’hémoglobine. 

Gary Oldman, incarnant Dracula.
Gary Oldman, incarnant Dracula. © Francis Ford Coppola, Dracula.

• Années 2000: la visite du fantôme japonais 

Le septième art répare enfin son erreur. Jusqu’ici le revenant vivotait au cinéma, se contentant de rares apparitions. Passé le millénium, il est enfin star. Les Espagnols ouvrent le bal funèbre avec L’Echine du Diable, de Guillermo Del Toro en 2001, et Les Autres, d’Alejandro Amenabar la même année, les Américains le concluent avec la franchise des Paranormal Activity. Ils l’avaient animé auparavant avec des succès comme The Ring (2002), The Grudge (2004), Dark Water (2005). Pour autant, ces trois films puisent à la source japonaise. 

Scène tirée de Dark Water, version japonaise.
Scène tirée de Dark Water, version japonaise. © Hideo Nakata, Dark Water.

Ils sont en effet des remakes d’œuvres de la J-Horror. "Il y a eu des films de fantômes au Japon depuis les années 1920, après les adaptations du théâtre Kabuki et No. Au bout d’un moment, le phénomène s’est tari, car il ne rencontrait plus le même succès au fil du temps. C’est vraiment avec Ring que le renouveau s’est fait dans les années 1990. Les Américains y ont vu un débouché et ont commencé à en faire des remakes, ce qui en retour a encouragé le cinéma japonais", met en évidence Noémie Marin, passionnée du genre et auteure d’une série d’articles sur le sujet. 

Notre interlocutrice rappelle que le fantôme japonais, le Yurei, navigue depuis des siècles à travers les Kaidan, des contes ancestraux. Influencé par ceux-ci, le cinéma s’en tient d’abord à une représentation traditionnelle. "A l’origine, le spectre est un revenant qui revient pour se venger. C’est un spectre féminin, en kimono blanc dont on ne voit ni les pieds ni les mains, et surtout de très longs cheveux noirs", décrit Noémie Marin qui ajoute: "Dans l’imagerie du spectre japonais, l’absence de mains et de pieds renforçait l’idée du surnaturel. Le Yurei semblait flotter dans l’espace. Ça donnait une idée plus fantomatique."

Le tableau évoque Sadako, la spectrale petite fille de Ring. Le corps de cette dernière est toutefois plus visible. "Avec ses pieds et ses mains représentés, Sadako a un côté plus réaliste", analyse la spécialiste. Elle note un autre pas de côté dans les productions contemporaines: "A partir de Ring, il y a une évolution. Les pouvoirs du spectre japonais sont transposés dans la technologie". Dans ce film d’Hideo Nakata, c’est ainsi une cassette vidéo qui enclenche l’horreur. 

Sadako sort de la télévision.
Sadako sort de la télévision. © Hideo Nakata, Ring.

Pléthore de fantômes différents planent dans les pénombres japonaises. Pourtant, force est de constater que le cinéma se complaît à attribuer à ses personnages maléfiques des traits féminins. Noémie Marin a une explication à ça: "Les fantômes japonais néfastes sont majoritairement féminins car auparavant les femmes y étaient plus souvent persécutées, violentées et plus exposées à la souillure". 

• Années 2010: le zombie s’infecte 

Le monstre retrouve bientôt sa matière. Du dernier film de George Romero en 2009 à The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch dix ans plus tard, et donc sorti cette année, les zombies n’ont pas quitté nos cinémas. La décade a été égrenée par la série The Walking Dead et marquée par quelques réussites comme World War Z. Julien Bétan, coauteur de Zombies !, retrace pour BFMTV.com la genèse de ce retour annoncé: "Ce qui le relance, c’est le jeu vidéo Resident Evil en 1996. L’adaptation cinéma en 2002 est un carton mondial. La même année, il y a 28 jours plus tard."

Dans ces deux films, le genre se renouvelle: les créatures courent! "Si le zombie se met à courir, c’est aussi parce que pour l’intérêt du jeu, il est rapide dans Resident Evil et donc il est rapide dans l’adaptation", rétorque Julien Bétan. 

Zombie infecté.
Zombie infecté. © Danny Boyle, 28 Jours Plus Tard.

Pragmatisme et commerce comme carburants du zombie nouvelle formule? Sans doute. Luc Lagier, créateur de Blow Up sur Arte, remarque une autre essence: "Le zombie est revenu en force à partir des années 2000 parce qu’il y a la guerre en Irak." Il nous revient en tout cas presque méconnaissable. Car à l’instar de son camarade vampire avant lui, le zombie tombe malade. "On bascule dans le thème des infectés. Ce n’est plus forcément des morts qui reviennent, mais des gens contaminés par une épidémie", diagnostique Julien Bétan.

Les crises sanitaires les plus récentes, de la vache folle à la grippe aviaire, ont incubé dans l’imaginaire et les blockbusters modernes se sont chargés de les répandre urbi et orbi. Et le souci sanitaire accompagne ou dissimule toujours un tour de vis politique. "Un glissement politique s’opère. Le zombie redevient l’humain animal, celui qui veut s’introduire chez nous", continue notre interlocuteur. Entre les années 1970 et les nôtres, le zombie n’est pas le seul à changer. Le traitement qu’on lui réserve aussi. "Ça passe d’un imaginaire d’extrême gauche à l’imaginaire libertarien, voire réactionnaire ou d’extrême droite. Cette fois, les zombies il n’y a plus rien à en tirer", achève-t-il. 

• Années 2020: pronostics

Avant de quitter ses interlocuteurs, BFMTV.com a voulu les sonder. Quel est leur pari pour les années 2020? Quelle figure dominera le cinéma d’horreur à venir? 

Examinant les hantises actuelles d’une humanité de plus en plus menacée dans ses ressources, détruisant son environnement, et qui songe à la possibilité d’un effondrement brutal, ALT 236 livre son pronostic: "Pour moi, ce qui va dominer ce sont les récits postapocalyptiques, les scénarios d’écroulement, ou des films montrant des gens ayant des visions hardcore, disant des choses qu’on n’a pas envie d’entendre".

L’alternative proposée par Julien Bétan n’est pas si éloignée. "Le serial killer ou la technologie. La technologie est le nouveau grand méchant, l’horreur que peut faire naître l’intelligence artificielle, comme dans Black Mirror. Et le serial killer, peut-être par opposition, pour faire revenir un monstre complètement humain."

Stéphane Bouley penche aussi pour la barbarie à visage humain: "On vit actuellement dans des sociétés sous tension, en proie à une certaine révolte et j’aimerais qu’on revienne à des figures exprimant cette angoisse généralisée et nous la renverraient en pleine face. Je pense donc à une figure humaine, genre un voisin ou des inconnus." Il enchaîne: "Dans les années 1960-1970, certains films c’était un peu ‘N’allons plus à la campagne’, les années 2020 ça pourrait être ‘N’allons plus à la ville’."

Pour le cinéma, les heures de la civilisation urbaine pourraient bien être comptées.

La sélection de Luc Lagier

La Nuit des morts-vivants (1968), Zombie (1978)

La sélection de Julien Bétan

Braindead (1982), 28 Jours Plus Tard (2002), Shaun of the Dead (2004)

La sélection d’Alain Pozzuoli

Les prédateurs (1983), Dracula (1992), Une Nuit en Enfer (1996), Vampires (1997), Morse (2008), Le baron (2011), Byzantium (2013), A Girl Home Alone at Night (2014)

La sélection de Stéphane Bouley

Halloween (1978), Maniac (1980), Les griffes de la nuit 2 (1985), Vendredi 13, chapitre VI : Jason le mort-vivant (1986)

La sélection d’Alain Pozzuoli

Le Masque du Démon (1960), Le Baiser du Vampire (1963), Dracula, Prince des Ténèbres (1965), Le Bal des Vampires (1967)

La sélection de Noémie Marin

Les contes de la lune vague après la pluie (1953), Kwaidan (1954), Ring (1998), Ju-On : The Grudge (2002)

La sélection de Luc Lagier

L’Armée des Morts (2004), 28 Semaines Plus Tard (2007), L’Armée des Morts (2004), Chronique des Morts-Vivants (2007)

La sélection de Julien Bétan

La Nuit des Morts-vivants (1968), Zombie (1978), les films de zombies italiens

La sélection de Stéphane Benaïm

Le Voyage dans la Lune (1907), Planète Interdite (1956), La Guerre des Mondes (1953), 2001, l’Odyssée de l’Espace (1968), Alien (1979)

La sélection d’Alt 236

Massacre à la tronçonneuse (1974), Phenomena (1985), Freddy 3 : Les Griffes du Cauchemar (1987)

Robin Verner