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Dragons, Mulan, Lilo et Stitch… Dean DeBlois revient sur sa carrière

Dragons 3

Dragons 3 - Dreamworks

Le réalisateur de la trilogie Dragons retrace sa carrière, depuis ses débuts avec Don Bluth, l’auteur de Fievel. Il évoque aussi son travail sur Mulan et Lilo et Stitch.

Dean DeBlois a travaillé pendant les dix dernières années sur la trilogie Dragons. Membre du jury des courts-métrages étudiants au Festival d’Annecy, il célèbre le succès de sa franchise avec la sortie en vidéo de Dragons 3 et une exposition conçu par Art Ludique retraçant la production de la série.

Le réalisateur, qui développe plusieurs projets de films en animation et en prises de vue réelles, a accepté de retracer pour BFMTV son parcours, depuis ses débuts avec Don Bluth, le réalisateur de Fievel, jusqu'à son entrée chez Disney, où il a travaillé sur Mulan avant de co-réaliser Lilo et Stitch.

Il évoque aussi l’évolution du cinéma d’animation lors de ces dix dernières années et l’influence sur l’industrie de Spider-Man: New Generation, film visionnaire mêlant 2D et 3D.

Dean DeBlois
Dean DeBlois © Lisa O'Connor / AFP

A quel point le cinéma d’animation a-t-il changé depuis le début de la saga Dragons il y a dix ans?

Cela a beaucoup changé. Quand j’ai commencé Dragons, j’avais uniquement travaillé sur des projets dessinés à la main. La découverte de l’animation 3D a été incroyable: le détail, le réalisme et surtout la subtilité que l’on pouvait obtenir avec les mouvements de caméra et le jeu des personnages... C’était en 2008. Maintenant, en 2019, la technologie a fait des bonds de géant. Ce que cela signifie, c'est que nous ne sommes plus restreints par le nombre de personnages qui doivent apparaître en même temps à l’écran ou par les détails que nous souhaitons ajouter aux décors. Tout peut être animé: les feuilles, les herbes, le vent qui passe dans vos cheveux - et cela pendant une scène avec des personnages complexes! L’ambition était présente à l’époque, mais la technologie était bien trop lente - nous n’aurions jamais pu finir le film! La technologie, en dix ans, est devenue notre alliée. C’est très organique: nos animateurs travaillent avec comme s’ils avaient du papier et un crayon entre les mains. Aussi, ils peuvent travailler sur des scènes complexes sans que l’ordinateur ne se détraque.

Ces progrès se ressentent-ils également lorsque vous devez animer des humains?

Dans Dragons, nous avons un large casting d’humains que nous avons choisi de vieillir au fil des trois films. C’est devenu une opportunité pour faire en sorte que chaque version des personnages soit un peu plus perfectionnée que la précédente - non seulement visuellement, mais aussi au niveau des articulations pour créer de subtiles expressions corporelles. Avec les années qui passent, les exigences artistiques poussent la technologie à s’améliorer. Parce que nous avons désormais à notre disposition des outils extrêmement précis, l’animation des humains repose entre les mains des animateurs: c’est à nous de faire des choix et de définir jusqu’où nous voulons pousser le curseur pour nos personnages.
Dragons
Dragons © Dreamworks

A quel point le succès Spider-Man: New Generation a-t-il changé la donne?

L’industrie de l’animation a été surprise, impressionnée et influencée par Spider-Man: New Generation. C’était très courageux, très innovant de faire quelque chose qui soit un mélange entre une 2D nostalgique et la technologie la plus pointue. C’est un choix stylistique très intéressant qui donne l’impression de voir sur grand écran les comics d’origine. Personne ne nous oblige [dans l’industrie] à reproduire les prouesses de New Generation, mais c’est un bon exemple de ce qui peut nous arriver si nous nous battons pour créer quelque chose de novateur: le public a été au rendez-vous et même les critiques et l’Académie [le film a obtenu en mars dernier l’Oscar du meilleur film d’animation, NDLR]. Il ne faut pas penser que s’éloigner de la norme risque de perdre le public en route et de conduire à l’échec.

C’est un peu ce que vous avez fait avec Dragons. Avant, les gros films d’animation des studios américains avaient peur d’être doux-amers...

Il y en a eu au fil des années… Un de mes films préférés est Le Géant de fer [de Brad Bird] - et c’est vraiment doux-amer. C’est le cas aussi de Dumbo, de Bambi et même des Aventures de Bernard et Bianca. Il y a [dans ces films] des moments très émouvants, très tristes qui m’ont accompagné pendant toute mon enfance et même après. J’ai toujours voulu créer une sensation d’émerveillement et de l’émotion plutôt que de faire rire. C’est mon style.

Quelle a été la scène la plus difficile à réaliser sur la trilogie Dragons?

La scène où Krokmou tue le père de Harold. C’était difficile de faire de deux amis des ennemis. C’est inhabituel dans les films d’animation de faire des choix aussi forts. C’était nécessaire pour notre histoire, pour que Harold prenne la succession de son père. Cela ne pouvait arriver qu’après la mort de celui-ci. La relation de Krokmou et Harold est au centre de la trilogie. Si elle ne changeait pas au fil des trois films, l’histoire serait devenue moins intéressante. C’était nécessaire de les séparer pour voir comment ils pourraient redevenir amis. C’était difficile, parce qu’on ne voulait pas que le public déteste Krokmou à cause de ses actions - et surtout on ne voulait pas que le public nous déteste pour avoir fait ce choix!

De Lilo et Stitch à Dragons, vous avez souvent raconté l’histoire d’un garçon rencontrant une créature fantastique. Pourquoi?

J’adore ce genre d’histoires! J’étais un garçon très banal dans une ville très banale. J’ai toujours rêvé que quelque chose d’incroyable m’arrive comme dans E.T., L’Étalon noir ou Le Géant de fer. Ces rencontres avec une créature extraordinaire sont souvent temporaires, mais elles ont une influence durable! Ce sont des histoires douces-amères, mais elles ressemblent à la vie.

Quels souvenirs avez-vous de la production de Lilo et Stitch?

On s’est beaucoup amusé. Disney avait un studio en Floride, à Orlando, derrière le parc d’attraction. Il y avait une petite équipe - elle était si petite qu’elle ne travaillait que sur un film à la fois. Pendant ce temps, à L.A., cinq ou six films étaient en cours. En Floride, on était comme une famille. On n’avait pas beaucoup d’argent ni de temps [pour faire le film]. C’était le deal. Ils avaient accepté de faire Lilo et Stitch - ils savaient que c’était un film étrange, un peu différent de ce qu’ils faisaient d’habitude, que c’était un risque et ils ont préféré le traiter comme une série B. Pour éviter que les animateurs divorcent ou finissent à l’hôpital, on a donc établi un plan de travail très strict pour faire le film avec un budget réduit mais sans que cela ne se ressente à l’écran.

Vous aviez plus de liberté?

Comme nous étions en Floride, ils nous ont presque oubliés! Ils se sont souvenus de notre existence vers la fin de la production, lorsqu’ils se sont rendu compte que le film avait un style et une voix différents…

Et maintenant c’est une franchise avec même un reboot en prises de vue réelles en préparation!

Oui! Mais Chris Sanders et moi ne sommes pas liés à la franchise ou aux séries TV!

Avant Lilo et Stitch, vous avez travaillé sur Mulan. Vous étiez en charge de l’histoire?

Oui. Chris Sanders avait ce poste puis a quitté le projet pour réaliser ce qui est devenu Lilo et Stitch. Il avait cette idée depuis les années 1980. Quand je suis arrivé sur Mulan, tout était déjà quasiment terminé. C’était vraiment pour superviser. Au début de la production, il y a eu beaucoup d’hésitations et de confusions. Sur Mulan, on a appris avec Chris Sanders comment réaliser un film. Ils avaient deux réalisateurs qui ne s’entendaient pas, des scénaristes qui en faisaient à leur tête… Il y avait beaucoup trop d’idées contraires. Avec Chris, on s’était dit que si on avait la chance de réaliser un jour un film on ferait le maximum de choses, du storyboard au montage en passant par le scénario, pour que l’ensemble soit cohérent.

Vous avez aussi travaillé avec Don Bluth, le réalisateur de Brisby, Le Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles et Fievel. Comment était-il?

J’ai travaillé avec lui pendant quatre ans. J’ai travaillé sur ses pires films [Poucelina et Le Lutin Magique, NDLR]. J’étais son assistant sur le storyboard. Je travaillais directement sur ses dessins. Je n’ai jamais vu quelqu’un dessiner comme lui. Il pouvait poser une feuille blanche devant lui et sans faire de recherches, en s’appuyant uniquement sur son imagination, il dessinait exactement ce qu’il voulait. Il ne se trompait jamais. Mais même un maître comme lui a des limites. Je pense que ses lacunes venaient de ce qu’il ne pouvait pas reconnaître qu’il n’était pas un très bon scénariste. Il ne comprenait pas ce dont avait besoin une histoire. Ses films en ont souffert. J’ai compris à ses côtés que l’histoire était très importante et que si je devais un jour réaliser un film il fallait que chaque personne ayant travaillé dessus en soit fier. Parce que je peux vous dire que ceux qui ont travaillé sur ces films de Don Bluth ne sont pas très fiers de leur travail! C’était de mauvais films avec des animateurs de talent. Ils ont énormément travaillé, mais c’était vain, parce que les décisions qui ont été prises n’étaient pas les bonnes.

Jérôme Lachasse