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De l'enfer de Colt 45 avec JoeyStarr à son nouveau film Adoration, la folle carrière de Fabrice du Welz

Affiche d'Adoration de Fabrice du Welz par Laurent Durieux

Affiche d'Adoration de Fabrice du Welz par Laurent Durieux - Jokers - Laurent Durieux

Le réalisateur sort un nouveau film, Adoration, avec Benoît Poelvoorde. Il revient sur son parcours atypique, de Colt 45, son polar avec JoeyStarr, à Message from the King, son actionner avec Chadwick Boseman, la star de Black Panther.

Auteur de plusieurs films de genre marquants mais confidentiels des années 2000 (Calvaire, Vinyan), le réalisateur belge Fabrice du Welz frappe fort avec Adoration, récit d’une passion amoureuse adolescente filmée dans les Ardennes. Située quelque part entre la plongée au cœur des ténèbres d’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola et la sensualité d’Une sœur de Bastien Vivès, Adoration marque le grand retour de Fabrice du Welz après deux expériences filmiques difficiles (Colt 44, Message from the King).

Enfin seul maître à bord, il a pu mener à bien son film, une quête mystique et onirique où il magnifie à l’aide de la pellicule le mystère des Ardennes et les deux adolescents qu’il a choisis, Thomas Gioria et Fantine Harduin, deux futures stars vues respectivement dans Jusqu’à la garde de Xavier Legrand et Happy end de Michael Haneke. "Le cinéma a une dimension sensuelle. Ça te caresse les yeux, l’âme", résume ce cinéaste plasticien qui raconte avec passion à BFMTV les coulisses de son nouveau film, mais aussi ceux de Vinyan, son film culte avec Emmanuelle Béart, et de Colt 45, son polar moins culte qu’il dit aujourd’hui détester. 

Adoration, une histoire intemporelle

"J’ai été mis en pensionnat enfant dans les Ardennes. Je suis plutôt un citadin. J’ai des souvenirs de cette nature qui pouvait être tantôt terriblement enchanteresse, tantôt vraiment hostile. Ma décision de tourner mes films dans les Ardennes n’est pas cependant liée [à des souvenirs d’enfance]. Je cherche dans mes films une forme d'abstraction. Les Ardennes permettent ça. C’est un décor que je peux transcender. J’essaye toujours de créer un lien entre l’environnement et les tourments du personnage, de faire en sorte que sa quête contamine l’environnement. Le réalisme ne m’intéresse pas. J’ai un postulat concret, presque naturaliste que je cherche à dépasser pour rendre mon histoire intemporelle, sans trop de repères contemporains, pour permettre au film de passer le plus possible l’épreuve du temps. Avec Adoration, j’ai eu la volonté de rompre un instant avec mon amour du cinéma américain et de retrouver mes racines et mon identité culturelle - un certain cinéma français des années 30 et 50: le réalisme poétique."

Filmer l'adolescence et la découverte de la sexualité

"Un amour ultime et absolu, comme celui que l’on peut traverser quand on a 13, 14, 15 ans, est quelque chose de très violent. C’est vraiment un poison fort. Pour moi, c’était évident de traiter du désir. Pour préparer les jeunes acteurs à ces scènes, on leur explique. Ce n’est possible qu’à partir du moment où on a une grande complicité. Je n’ai jamais infantilisé Thomas et Fantine. C’était vraiment mes collaborateurs. Il y avait une scène d’amour que je voulais faire. Au départ, je pensais les faire coucher ensemble, les faire découvrir le premier émoi. Quand on a tourné la scène, je me suis très vite rendu compte qu’ils étaient vierges tous les deux et que c’était impossible. Ça n’allait pas. [Sur le tournage], je suis à côté d’eux. Je parle beaucoup, je les dirige et on rit. On rit beaucoup, on reprend et on rit. Je suis très content de ce qu’on a trouvé, parce qu’en même temps c’est très pudique et dans les regards ça raconte beaucoup de choses. Je suis sûr que ces deux gamins vont en faire un métier. Ils sont profondément habités. Ils ont profondément envie d’en découdre."

Benoît Poelvoorde, "le grand acteur français"

Benoît Poelvoorde dans Adoration
Benoît Poelvoorde dans Adoration © Copyright Les Bookmakers- The Jokers
"J’avais envie de travailler avec Benoît depuis quinze ans. C’est un acteur qui me fascine, qui me stimule. Je trouve qu’il y a du Michel Simon chez Benoît. Il a une nature d’exception. Pour moi, c’est le grand acteur d'expression française avec Depardieu. Ils ont une dimension autre. Comme Gabin ou Ventura en leur temps. Il a une sensibilité qui me bouleverse, même si c’est parfois compliqué de travailler avec lui. Il a ses démons. Il faut l’amener à une grande disponibilité. Il avait six jours de tournage. Ça n’a pas été simple, mais je lui serai éternellement reconnaissant d’avoir fait ça avec nous."

Vinyan, "un film assez tordu" avec Emmanuelle Béart

"Beaucoup d’étudiants découvrent le film. Les gens en reparlent. Il a fallu du temps, mais il est devenu culte. Je l’aime beaucoup. Je l’ai revu la semaine dernière à Bruxelles lors d’une rétrospective. J’ai été assez ébahi par la noirceur et la dimension politique du film qui m’avait un peu échappé à l’époque. Le film est assez tordu, très étrange. Il y a un goût pour le glauque, mais il y a des fulgurances qui sont étonnantes. Emmanuelle [Béart] est vraiment somptueuse dans le film. Le film m’a touché parce que ça a été un échec terrible. J’ai eu beaucoup de mal à m’en remettre. Très franchement. Je suis résistant, mais là j’étais tellement haut perché que je crois que je me suis pris une bonne claque."

Message from the King, l'aventure américaine avec la star de Black Panther

"Quand j’ai accepté Message from the King, je suis arrivé sur un film qui était déjà financé et déjà casté: j’étais un employé. J’avais un scénario que j’aimais beaucoup et que j’ai essayé de transformer à ma sauce et de rendre beaucoup plus existentiel. Je me suis très bien entendu avec les acteurs. Chadwick [Boseman, interprète principal du film et star de Black Panther, NDLR] est quelqu’un avec qui je suis en contact de temps en temps. J’adorerais retravailler un jour avec lui. Après, la production avait plusieurs têtes. Il y avait des financiers dans tous les sens. Personne ne voyait le même film. Ça compliquait les rapports. J’ai essayé de m’accrocher pour aller au bout du film. Ça s’est tendu avec certains producteurs, parce que je crois que je suis aussi une tête de con. Je ne voulais pas lâcher le film. J’ai été très déçu qu'il prenne une autre direction que celle que j’avais imaginée. Aujourd’hui, le film est ce qu’il est. Une série B honnête. Mon gamin et ses copains aiment le film."

Colt 45, un film avec "deux vedettes insupportables"

"C’est un film que je déteste. Je ne l’ai pas fini [il a été terminé par Frédéric Forestier, NDLR]. On était dans un contexte pré-Oscars avec un prince cruel [Thomas Langmann, NDLR] à la tête d’une boîte qui brassait tellement d’argent… J’ai été victime de mon propre enthousiasme par rapport au scénario initial, un grand script de Fathi Beddiar qui a été complètement amputé. J’ai ma part de responsabilité dans le marasme. J’ai été confronté à des gens qui ne voyaient pas les choses comme moi et surtout à deux acteurs vedettes insupportables [JoeyStarr et Gérard Lanvin, NDLR], dont un, le rappeur, qui arrivait même à pisser sur le plateau. Il faut quand même imaginer ce que c’est qu’un acteur ivre, défoncé, qui sort son sexe et pisse partout. C’est quand même hallucinant. Les producteurs me disaient qu’on ne pouvait rien dire, sinon il ne ferait pas la promo. Ils ont essayé de me tuer professionnellement, vraiment. Colt 45 aurait pu être super. Si les acteurs avaient travaillé dans le sens du film, je suis sûr qu’on aurait pu accoucher d’un film formidable. Je n'ai plus peur. Tout ça est passé. J’ai fait trois films depuis et je me prépare à en faire un quatrième au printemps. Ce ne sont pas des succès incroyables, mais j’ai fait mon petit bonhomme de chemin."
Jérôme Lachasse