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Cinéma

De Inglourious Basterds à Once Upon a Time in Hollywood, comment Quentin Tarantino réécrit l'histoire

Once Upon a Time… in Hollywood

Once Upon a Time… in Hollywood - Copyright Sony Pictures

De Inglourious Basterds à Once Upon a Time … in Hollywood, son nouveau film, le réalisateur s’est fait une spécialité de revisiter dans des fresques épiques les grands moments de l’histoire américaine.

Avec Once Upon a Time … in Hollywood, en salles ce mercredi 14 août, Tarantino clôt une trilogie consacrée aux oubliés de l’Histoire débutée avec Inglourious Basterds (2009) et Django Unchained (2012). Persuadé que le cinéma peut sauver le monde et venger les drames passés, Tarantino choisit avec cette trilogie de réécrire les moments les plus dramatiques de l’histoire récente. 

Dans Inglourious Basterds, le réalisateur imagine la mort de Hitler dans l’incendie d’un cinéma parisien provoqué par une résistante juive. Dans Django Unchained, un esclave noir devient un cowboy pour sauver sa femme et se venger de ses maîtres. Dans Once Upon a Time … in Hollywood, Tarantino revisite 1969, année charnière qui vit l’éclosion du Nouvel Hollywood avec le succès d’Easy Rider et la fin de l’innocence des années 1960 avec l’assassinat de Sharon Tate par la "Famille" de Charles Manson

Ces scénarios, aussi fantaisistes qu’ils puissent paraître, résultent d’une grande réflexion historique de Tarantino. Lorsqu’il écrit, le cinéaste se plonge dans l’époque qu’il envisage de traiter. Pour Inglourious Basterds, six mois lui ont été nécessaires pour tout apprendre sur la vie en France sous l’Occupation. Il a ensuite consacré un an à l’écriture proprement dite pour transformer en fiction ses connaissances. C’est au bout de ce processus, en suivant les personnages qu’il a créés, qu’il a eu l’idée d’utiliser la pellicule 35 mm en nitrate pour brûler la salle de cinéma où se trouve Hitler et détruire ainsi le IIIe Reich. 

Son idée, comme il le racontait aux Cahiers du Cinéma en juin 2009, est de "ne jamais interdire à [ses] personnages d’aller où bon leur semble. Ils mènent, je les suis. J’ai beau avoir une trame, ils peuvent en dévier, me prouver qu’elle est foireuse. Un personnage suit une route. Le plus souvent, quand il arrive à un carrefour, les scénaristes barrent la plupart des voies, parce qu’ils n’assument pas ce que deviendrait l’Histoire: ce ne serait plus un film, ce serait autre chose. Je me suis toujours dit: peu importe où on va, on y va."

"Regardez ce film comme un conte noir"

Pour Quentin Tarantino, ses films sont des contes. Pour cette raison, il ne craint pas la vindicte des historiens, comme il l’avait raconté aux Inrocks en 2009 à la sortie d’Inglourious Basterds: "Je ne triche pas, je fais inscrire dès le début du film, 'Il était une fois…' et non, 'Basé sur des faits véridiques'! Je ne prends personne en traître, c’est un conte, une fiction et c’est affirmé d’emblée. Ça veut dire: 'Regardez ce film comme une fantaisie, comme un roman, comme un conte noir'." Le même raisonnement s’applique à Once Upon a Time … in Hollywood. Mauvais élève, Tarantino a développé ce goût pour l’Histoire grâce au cinéma:

"Cortès et Montezuma! La ruée vers l’or! N’importe quel fait pouvant être une histoire, avec une issue et des personnages intéressants. Ça, ça me fascinait, car je reliais tout au cinéma", a-t-il raconté ce mois-ci au magazine Cinemateaser. "Les autres gamins avaient de l’avance sur toutes les matières, mais moi, j’avais de l’avance en Histoire parce que j’avais vu des films historiques." 

Grâce au pouvoir du cinéma, le jeune Quentin découvre que l’Histoire peut devenir plus belle qu’elle ne l’est réellement: "Plus la vie devient réelle et plus elle me semble incontrôlable", poursuit-il dans Cinemateaser. "Mais l’Art, lui, est contrôlable. Grâce à l’Art, on peut montrer les choses telles qu’elles sont. Parfois, cette réalité convient très bien. Mais parfois, on peut aussi montrer les choses telles qu’elles devraient l’être. Ou telles qu’elles pourraient l’être. Et parfois même, telles qu’elles peuvent l’être." Le pas de côté historique est annoncé dès le titre avec les fautes d’Inglourious Basterds, la libération promise par Django Unchained et la promesse du conte de fées Once Upon a Time … in Hollywood

Si Inglourious Basterds est un film consciemment révisionniste, Django Unchained l’est cependant un peu moins, a indiqué Tarantino à Télérama en 2012. "Ce qu'il dit du commerce humain dans le sud des Etats-Unis au XIXe siècle est vrai, et montré de façon réaliste. Et des révoltes sur les plantations, il y en a eu. Mais, effectivement, aucun esclave n'est devenu cow-boy, puis héros en éliminant aussi brutalement ses ennemis. Enfin, si Django avait été là, c'est ce qui se serait passé!" 

"Se réapproprier l’Histoire fait partie du pouvoir du réalisateur"

C’est le rôle du réalisateur, selon Tarantino, de proposer ces relectures de l’Histoire: "Le cinéma permet de se raccrocher à des faits réels, tout en les revisitant", a-t-il expliqué à Télérama fin juillet. "Se réapproprier l’Histoire, comme je l’ai fait dans Inglourious Basterds, fait partie du pouvoir du réalisateur, de la magie du cinéma." Mais cela ne signifie pas que Tarantino fait n’importe quoi avec la vérité historique.

S’il livre dans Once Upon a Time … in Hollywood une vision très critique de Bruce Lee - qui a suscité une polémique aux Etats-Unis -, le réalisateur ne donne aucun rôle dramaturgique important aux véritables stars qu’il convoque à l’écran. Roman Polanski n’apparaît que très brièvement pour cette raison: "Il ne s’agit pas vraiment de son histoire", a précisé Tarantino dans Télérama. "Cela avait du sens pour moi qu’il ne soit pas là dans le troisième acte du film: en août 1969, il était à Londres, pour préparer le tournage du Jour du dauphin. Laisser Roman Polanski à la place qu’il avait à l’époque, celle d’un jeune réalisateur enthousiaste et célèbre, me semblait nécessaire." 

Dans Once Upon a Time … in Hollywood, comme dans Inglourious Basterds, l’ambition de Tarantino est en réalité de questionner la manière dont l’Histoire est racontée et quels faits sont retenus par les historiens. La tragédie d’Inglourious Basterds est qu’à la fin l’Histoire retiendra que Hans Landa, le tortionnaire nazi, a négocié l’armistice, et non que Soshanna, morte dans l’incendie, est la véritable responsable de la chute de Hitler.

Dans Once Upon a Time … in Hollywood, qui se déroule les 8 et 9 février 1969 et dans la nuit du 8 au 9 août 1969, Tarantino inverse la tendance. La vedette déchue Rick Dalton, contraint d’aller tourner des westerns spaghetti de seconde zone pour relancer sa carrière, est finalement éclipsée par sa voisine, la starlette Sharon Tate, et surtout son cascadeur et homme à tout faire Cliff Booth qui devient sans s’en rendre compte le héros du film.

Une question éthique

Ce pas de côté lui a été inspiré par une célèbre pièce, estime Gilles Jacob, ancien président du Festival de Cannes: "Le nouveau Tarantino relève du même principe que la pièce de Tom Stoppard Rosencrantz et Guildenstern sont morts. Autrement dit le projecteur est mis sur des comparses: ici, les personnages principaux sont les hallebardiers, camarades d’Hamlet, là les voisins de Sharon Tate."

Cela correspond aussi à l’ambition de Tarantino depuis ses débuts: lutter contre le temps qui passe en redonnant une seconde vie aux acteurs has-been, de John Travolta à Pam Grier en passant par David Carradine et Kurt Russell. Aussi nostalgique soit-elle - ce qui lui a valu quelques critiques aux Etats-Unis - cette démarche n’est pas détachée du monde contemporain. Bien au contraire. Dès la sortie d’Inglourious Basterds en 2009, cette manipulation de l’Histoire faisait déjà tiquer certains critiques, comme Jean-Luc Douin du Monde

"Si jubilatoire que soit ce dynamitage des faits, restent des questions éthiques, possibles objets de débats à venir. Jusqu'où peut aller le sacrilège historique et à quels risques? [...] Lorsque Tarantino dépeint ses ‘basterds’ cassant du nazi comme dans un jeu vidéo, leur défonçant le crâne à coups de batte de base-ball par jouissance compensatoire, surgit moins un sentiment viscéral de justice que le principe de la loi du talion, avec le spectre de Guantanamo. Nous ne sommes certes pas ici dans le démenti ni dans le révisionnisme. Juste sur un terrain délicat."

Le genre du film historique, qu’il pratique exclusivement depuis Inglourious Basterds, permet à Tarantino de dialoguer avec son époque. Chaque film a été conçu en réaction aux grands débats d’un monde qu’il semble de plus en plus exécrer. Django Unchained a ainsi été imaginé pendant la présidence Obama, à une époque où beaucoup de personnalités ont cru que le racisme allait reculer. Les Huit salopards, le moins révisionniste de ses films historiques, évoque en creux les violences policières. Et Once Upon a Time … in Hollywood aborde notamment la question de la violence faite aux femmes et du racisme quelques mois après la chute de Harvey Weinstein, le producteur historique de Tarantino. Derrière le cinéphile se cache un cinéaste inquiet dont les réflexions sur le temps perdu devraient justement résister au temps qui passe.

Jérôme Lachasse