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Cinéma

Comment Dreamworks est devenu une référence du cinéma d'animation

Affiche de Shrek

Affiche de Shrek - Dreamworks

Directeur de l'animation chez Dreamworks, le Français Kristof Serrand a été un témoin privilégié de l'arrivée et du succès des dessins animés en 3D. Rencontre.

Le nom de Kristof Serrand ne vous dit sans doute rien. Ce Français installé depuis une vingtaine d’années à Los Angeles est pourtant une star dans le milieu de l’animation. Pour Dean DeBlois, le réalisateur de la trilogie Dragons, il est tout simplement "l'un des meilleurs animateurs en activité aujourd'hui".

Loué pour "le raffinement et la qualité du jeu de ses personnages", Kristof Serrand a passé une grande partie de sa carrière chez Dreamworks où il a travaillé notamment sur Prince d’Egypte et Gang de Requins. Désormais chef de l’animation, il a été un témoin privilégié de l’évolution du studio fondé par Steven Spielberg, Jeffrey Katzenberg et David Geffen et plus généralement du passage de la 2D à la 3D.

Bien avant de vivre son rêve américain, sa carrière débute à Paris, dans le quartier de République, dans une ancienne coutellerie où était situé dans les années 1980 l'ancien studio d'animation de Gaumont. Engagé à l’âge de 24 ans pour Astérix et la Surprise de César, il y restera cinq ans, jusqu’à la fermeture. Son ascension y est fulgurante:

"J’ai commencé assistant animateur sur Astérix et la Surprise de César. J’ai ensuite été junior animateur sur Les Bretons, où j’ai terminé senior animateur. Et j’ai été superviseur de l’animation sur Astérix - Le Coup du Menhir", se souvient-il lors d'une rencontre au Festival d'Annecy en juin dernier. Il ajoute: "C’était le plus grand studio en Europe. Si ça existait toujours j’y serais encore".

De Gaumont à Dreamworks

Tout en travaillant pour la Gaumont, Serrand collabore aussi avec Paul Grimault, le célèbre réalisateur du Roi et l'Oiseau, et refuse une proposition pour rejoindre le tournage de Qui veut la peau de Roger Rabbit, produit par Steven Spielberg. Qu’à cela ne tienne: après la fermeture de Gaumont, il rejoint Amblimation, le studio du réalisateur d’E.T. Installé désormais à Londres, il supervise un des personnages de Fievel au Far-west, suite de Fievel et le Nouveau Monde.

Lorsqu’Amblimation ferme, Kristof Serrand compte parmi les animateurs du studio à être embauché par Jeffrey Katzenberg pour Dreamworks. Il hésite. "Il a été insistant. Je ne voulais pas venir à Los Angeles. Je voulais rentrer à Paris après cinq ans passés à Londres". Curieux, il accepte de venir un an pour Prince d’Egypte. "Et ça fait 23 ans que j’y suis", sourit-il. Son premier Dreamworks, Prince d’Égypte est devenu culte vingt ans après sa création.

"Il a très bien marché en France, mais pas aux Etats-Unis. C’est sans doute pour cela que les studios se sont désintéressés de ce film", déplore-t-il, avant d’ajouter: "Mais c’est un film qui a marqué au niveau artistique. Et puis c’est un film pas courant: c’est la bible en animation."

Kristof Serrand a tout de suite été séduit par l’ambiance créée par Katzenberg: "Il a vraiment fait en sorte que ce soit un studio très accueillant pour les artistes. Au niveau créativité et condition de travail, on s’y sentait vraiment bien." Dreamworks étant une jeune société, il a pu monter les échelons assez rapidement:

"J’ai eu la chance à chaque fois de rejoindre des studios qui commençaient. Quand je suis arrivé chez Dreamworks, il n’y avait rien. Cela donne de la chance aux gens. Si j’avais commencé à 20 ans chez Disney, je n’aurais pas été promu aussi vite que chez Gaumont."

"Ils avaient des ambitions démesurées"

L’ambition, dès le début, était de "faire un gros conglomérat artistique qui englobait le cinéma vues réelles, l’animation, la 3D, la musique, les parcs d’attraction, les jeux vidéo: ils voulaient tout faire. Ils avaient des ambitions démesurées", se souvient Kristof Serrand. Il ajoute:

"Dreamworks a fait un partenariat avec un petit studio de Redwood City, dans le nord de la Californie. Ils ont commencé avec Fourmiz, puis on a enchaîné avec Shrek. En même temps, à Glendale, en Californie du Sud, on travaillait sur les films dessinés. Cela se faisait en parallèle: on faisait Prince d’Egypte, Eldorado, Spirit. Eux faisaient Fourmiz, Shrek, Madagascar…"

Le succès de Fourmiz, le premier film en 3D du studio, puis de Shrek et de Madagascar, a entériné la fin des dessins animés traditionnels.

"Après Simbad, ce n’était plus possible de continuer. Shrek nous a sauvé de la faillite. Si on continuait de la 2D, ce n’était plus possible. Le studio aurait dû fermer. Comme à Disney. Les gens n’allaient plus voir la 2D. Ils ont réessayé avec La Princesse et la grenouille, mais ça n’a pas marché. Les films 3D ont cassé la baraque."

Si La Princesse et la grenouille, sorti en 2009, est l'avant-dernier film 2D réalisé par un gros studio, la profession déplore la disparition de ce savoir-faire: "Tous les artistes qui travaillent dans les studios regrettent énormément la 2D", confirme Kristof Serrand. "On adorerait voir de la 2D. Même les jeunes qui sont animateurs 3D le regrettent. Mais les artistes ne sont pas le public".

Les films Dreamworks
Les films Dreamworks © Dreamworks

Disparition de la 2D

Le passage du 2D à la 3D s’est opéré naturellement chez Dreamworks. Les animateurs ont été formés: "Il y en a qui ont réussi et d’autres non. Ceux qui ont réussi sont restés et les autres non. Moi, ça m’a plu. Je n’animais plus à l’époque. Je supervisais tout le département animation". En tant que directeur de l’animation, il intervient après le storyboard pour préparer la mise en scène, l’enregistrement des voix, la texture, le squelette et le design des personnages.

Son premier film en 3D a été Nos voisins les hommes, sorti en 2006. Pendant la production, il a travaillé quatre mois sur Gang de requins. Depuis il a travaillé sur la trilogie Dragons, animant en particulier le personnage de Stoick la Brute. Ce personnage, mort dans le second film, revient à la demande express du réalisateur Dean DeBlois dans le troisième volet, attendu en 2019 dans les salles obscures. 

Depuis le départ de Jeffrey Katzenberg en 2016, l’ambiance à Dreamworks a "un petit peu" changé. Certains films ont été annulés, comme Larrikins de Tim Minchin, un film présenté comme "Le Roi Lion en Australie". "Ceux qui sont arrivés après Katzenberg et ont racheté le studio n’avaient pas envie de faire ce projet. Evidemment, ils décident d’arrêter si c’est possible financièrement. Quand c’est trop engagé, cela coûte plus cher que de le finir".

Un retour de Shrek, dont le quatrième film est sorti en 2010, a été envisagé il y a un an, avant de repartir dans les cartons. Kristof Serrand, lui, planche sur Abominable, une relecture de l’histoire du Yéti. Il ne rêve pas de réaliser et a refusé trois offres: "Pour être réalisateur, il faut être raconteur d’histoire, avoir une vision, et puis c’est tellement politique. Surtout à Hollywood. Il faut avoir le cuir bien tanné. Je suis content de faire de l’animation. Et je n’ai pas grand-chose à raconter".

Jérôme Lachasse