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Cinéma

Ça, Docteur Sleep, Cujo... Pourquoi est-il si difficile d'adapter les romans de Stephen King?

Bill Skarsgård dans Ça: Chapitre 2

Bill Skarsgård dans Ça: Chapitre 2 - Copyright Warner Bros. France

Les adaptations des livres de Stephen King continuent de se multiplier, même si transposer à l'écran l'oeuvre du maître de l'horreur est un exercice à haut risque.

Avec plus de quatre-vingt transpositions cinématographiques et sérielles, Stephen King est le romancier vivant le plus adapté. Souvent maltraités, les récits du maître du Maine ont toutefois donné lieu à quelques classiques, comme Shining (1980), Stand by me (1986) ou Les Évadés (1994).

En vogue dans les années 1970 et 1980, les adaptations de King ont repris du poil de la bête au mitan des années 2010 en pleine vague nostalgique des années 1980, alors même que le romancier d'ordinaire si mystérieux s'inscrivait sur Twitter pour y critiquer de manière virulente Donald Trump. Un regain de visibilité qui s'est traduit depuis par un regain d'intérêt du grand public. Cette année, Simetierre et Ça 2 ont déjà terrorisé des millions de spectateurs en attendant Docteur Sleep, la suite de Shining en salles le 30 octobre, et de nouvelles versions de Salem, du Fléau et de La Tour sombre.

Décortiquées avec passion par les journalistes Matthieu Rostac et François Cau dans D’après une histoire de Stephen King (Hachette Heroes), les adaptations du maître de l'horreur témoignent à la fois de la fascination du cinéma et de la télévision pour ces récits et le plus souvent de leur incapacité à restituer la prose de l'écrivain, voire à saisir ce qui en fait la spécificité.

Stephen King
Stephen King © Hachette Heroes

Une œuvre politique aseptisée

Adapté avec régularité depuis 1976, Stephen King doit une partie de son succès à ces films et séries souvent moins téméraires que ses écrits. Acquis par des producteurs hollywoodiens en raison de leur pitch aguicheur et de leur suspense haletant, les récits de King sont le plus souvent aseptisés au cinéma et à la télévision - et leur dimension profondément politique disparaît elle aussi complètement.

Dès le début de sa carrière, ses meilleurs livres, de Carrie (1974) à Cujo (1981) en passant à Salem (1975), Dead Zone (1979) et Charlie (1980) baignent dans l’ambiance post-Watergate et le conspirationnisme des années 1970 - tout en participant au renouveau de l’horreur: "King a cette profonde défiance envers le gouvernement, les autorités publiques. Dans Salem, cette espèce de mal impossible à saisir, qui s’infiltre dans cette ville paisible, est influencée par le Watergate", analyse Matthieu Rostac. Les romans de King sont tributaires de l’évolution de la société américaine. "C’est ce qui fait que King est en forme ou pas [littérairement]", précise le spécialiste.

La relative stabilité des années Clinton n’inspire pas le maître qui ne retrouve de quoi nourrir les cauchemars de ses lecteurs qu'après le 11-Septembre sous George W. Bush et Donald Trump. Cette dimension politique est impossible à traduire dans des œuvres qui rêvent d’intemporalité. Seul Dead Zone (1984) de David Cronenberg, qui évoque l’assassinat de Kennedy, a su la préserver: "Le cinéma essaye de rendre son œuvre le plus grand public possible et de faire sauter les questions un peu plus problématiques aux yeux des producteurs", regrette Matthieu Rostac. Cet opportunisme des producteurs permet selon lui de comprendre le décalage entre la qualité des livres et celle des films.

"Ils savent que le nom de Stephen King peut ameuter du monde, qu’il y a les fans de la première heure, mais aussi les curieux qui le connaissent à travers des classiques comme Carrie au bal du diable (1976), Shining (1980) ou Dead Zone", explique Matthieu Rostac. "Il ne faut pas oublier l’importance des classiques du début. On parle toujours des mauvaises adaptations de King, mais au départ, sur les cinq premières années, la majorité est bien. Carrie est une bonne adaptation, Shining, Dead Zone et Cujo (1983) sont devenus des films cultes. Les Vampires de Salem, le téléfilm de 1979, a terrorisé des générations entières."

Embardées lyriques et chien qui parle

Fort de ces débuts prometteurs, les producteurs se sont précipités sur chaque nouveauté de King. Malheureusement pour les fans, les adaptations se sont enchaînées, le plus souvent sans inspiration, comme Les Démons du maïs, honorable série B qui a engendré une série de "films complètement absurdes sans lien avec le matériau original où des personnages sont tués à coup de maïs dans les yeux!"

L'œuvre de King elle aussi a oscillé entre le grandiose et le ridicule, ajoute Matthieu Rostac, qui considère le recueil Différentes Saisons (1982) comme un véritable chef d'œuvre et Les Tommyknockers (1987), un roman d'horreur mâtiné de SF, comme un ratage: "On ne peut pas produire autant de romans sans se casser la gueule au moins une fois." Certaines des meilleures adaptations de King, ainsi, ne sont pas forcément les plus fidèles - et n'hésitent pas à contredire, voire à critiquer, l'œuvre originale. C'est le cas de John Carpenter avec Christine (1983), un roman inégal:

"On sent bien dans Christine l’aversion de Carpenter pour le roman de King. Le film se termine avec le héros qui dit 'Je hais le rock 'n roll' alors que Christine est un livre rock 'n roll!", s'amuse l'exégète.

Il faut dire que le style de Stephen King offre de sacrés défis à ceux qui souhaitent l'adapter. "Même si Stephen King a une écriture cinématographique, il a aussi une part très littéraire. Il adore faire des embardées lyriques, créer des dédales de pensées et se perdre dans les descriptions - ce qui est quasiment impossible à retranscrire visuellement", souligne Matthieu Rostac. "Certaines des meilleures parties de Cujo sont celles où le chien pense. Si on fait ça à l’écran, ça donne quelque chose de ridicule. On se retrouve dans une comédie familiale avec des animaux qui parlent."

"King a voulu se venger de Kubrick et ça tombe à plat"

Pour cette raison, les nouvelles livrent souvent de meilleurs films que les romans, "parce que la prose de King y est un peu plus condensée." Stand by me de Rob Reiner, Les Évadés (1994) et The Mist (2007) de Frank Darabont ou encore 1922 (2017) de Zak Hilditch le prouvent. Les adaptations sont également meilleures lorsque Stephen King ne s'en occupe pas... L'écrivain a commis une vingtaine de scénarios - sans compter ceux qui ont été refusés. L'exemple par excellence, pour Matthieu Rostac, est sa mini-série Shining, que King a écrit en 1997 pour se venger de la célèbre version de Kubrick, qu'il déteste.

"Il n’a rien compris", s'amuse le journaliste. "Il a voulu se venger et ça tombe à plat. Kubrick avait pris un malin plaisir à torturer Stephen King. Pour qu’il puisse adapter sa propre œuvre à la TV, Kubrick, qui détenait encore les droits, a fait rédiger une lettre à King lui demandant de ne plus jamais dire de mal en public de son Shining."

Comment un si grand écrivain a-t-il pu autant se fourvoyer? "Il ne met pas sur le même pied d’égalité cinéma et littérature", estime Matthieu Rostac. "Il a toujours considéré le cinéma [et les séries] comme un divertissement, une distraction." Il suffit d'ailleurs de le voir cabotiner dans Creepshow (1982) pour comprendre son peu d'intérêt pour le médium.

Pendant longtemps, les adaptations de King ont été des séries B ou des mini-séries avec des vedettes en herbe et des comédiens de seconde zone. Depuis quelques années, les films et séries dérivés de King sont considérés comme de potentiels blockbusters portés par des stars. C’est le cas de La Tour sombre (avec Idris Elba et Matthew McConaughey), de 22/11/63 (par J.J. Abrams, avec James Franco), de Doctor Sleep (avec Ewan McGregor) ou encore de la future adaptation en série du Fléau (avec Whoopie Goldberg).

Cette revalorisation des adaptations de King, considérées désormais comme des projets prestigieux, s’accompagnent, du côté de l’édition DVD, de sorties événementielles de classiques. En France, l’éditeur Carlotta publie ce mois-ci des éditions très complètes de Cujo et Christine. Avec François Cau, Matthieu Rostac a un rêve: projeter en public la version noir et blanc de The Mist, qu'il considère comme la meilleure adaptation de Stephen King en raison de sa fin aussi mémorable que nihiliste. "C’est la meilleure fin de toutes les adaptations. On ne s’y attend pas du tout. C’est gonflé. Un vrai parti pris d’auteur. En couleur, le film est génial. En noir et blanc, c’est encore meilleur." Une des rares fois où le maître a été dépassé en noirceur.

D'après une histoire de Stephen King, François Cau et Matthieu Rostac, Hachette Heroes, 288 pages, 19,95 euros. Disponible le 25 septembre.

Cujo de Lewis Teague, Carlotta, 19,99 euros (dvd) et 24,99 euros (blu ray). Disponible le 18 septembre.

Christine de John Carpenter, Carlotta, 19,99 euros (dvd) et 49,99 euros (édition Coffret Ultra Collector - 4K Ultra HD + livre). Disponible le 18 septembre.

Jérôme Lachasse