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Cinéma

Blockbusters, drive-ins, gel hydroalcoolique... Les pistes pour la réouverture des cinémas

Tenet de Christopher Nolan

Tenet de Christopher Nolan - Warner Bros. Pictures

Fermés depuis mars, les cinémas n'ont pas encore rouvert leurs portes. Si plusieurs dates sont évoquées, une chose est sûre: la réouverture ne se fera pas sans les blockbusters, comme Tenet de Christopher Nolan.

Les presque 6.000 salles de cinéma de France sont fermées depuis le 14 mars. Pour l’heure, aucune date de réouverture n’a été fixée. Aura-t-elle lieu début juillet? Début septembre? Ou pas avant 2021? Cette décision, un véritable casse-tête, sera prise dans les prochaines semaines par le gouvernement. 

En attendant, les professionnels s’impatientent: "Il serait plus facile de respecter les distances de sécurité dans un cinéma que sur la ligne 13 du métro, mais le métro ouvre le 11 mai et les salles peut-être en septembre!?", s’est indigné sur Twitter Jean Labadie, le patron du Pacte. "Dans les journaux télévisés du soir, on parle plus de l’avenir des fleuristes que des salles de cinéma", s'est indignée la productrice Carole Scotta dans une tribune publiée sur le site du Monde

"Nous avons la volonté que les salles de cinéma rouvrent", a martelé le 5 mai Franck Riester, avant d’apporter quelques précisions sur le processus à l’œuvre: "La volonté de la Fédération [nationale des cinémas français] est que la réouverture se passe en même temps, partout en France. Le problème, c’est que le virus ne circule pas de la même façon, partout en France. Donc, on a des discussions à ce sujet-là. En tout état de cause, il y a besoin d’un délai, d’au moins 4 semaines entre le moment de la décision et la réouverture effective." 

Une réouverture en juillet?

Bien qu’elle n’ait pas été annoncée officiellement, une date de réouverture suscite déjà l’adhésion, celle du mercredi 1er juillet, juste avant le début des vacances d’été. Jocelyn Bouyssy, patron des cinémas CGR (702 salles), a milité dans ce sens dans les pages du Figaro. Celui de Pathé (environ 1.300 écrans), Jérôme Seydoux, a fait de même dans Le Point: "Cela me paraît la première date possible. Pas avant."

La réouverture des salles est aussi conditionnée par la santé du cinéma américain, précisent Jocelyn Bouyssy et Jérôme Seydoux: "Pour pouvoir ouvrir d'une manière crédible, il faut que les Américains rouvrent aussi leurs cinémas, sans doute en juillet", avance Seydoux. "Pour le moment, les studios Warner ont maintenu Tenet, de Christopher Nolan, et Disney, Mulan. C'est la clef, parce qu'ouvrir en juillet, sans ces films-là, ne servirait à rien." Même son de cloche en Norvège, en République Tchèque ou au Japon, où les salles ont déjà réouvert: chaque exploitant attend comme le Graal le nouveau Nolan, un film d’espionnage avec Robert Pattinson. 

Jérôme Seydoux poursuit: “En 2019, les films américains représentaient un peu plus de la moitié des entrées en France. [...] Et pour que le public retourne dans les salles, il faut des locomotives." Il faut aussi que les wagons de ces locomotives soient bien répartis entre multiplexes et salles art et essai pour éviter de léser les indépendants. Mais ce plan pourrait s’écrouler à tout moment. Alors que Los Angeles prolonge son confinement jusqu’à la fin du mois de juillet, la sortie de Tenet le 22 juillet devient de plus en plus incertaine. 

D’autres indices empêchent de croire à une réouverture des salles en juillet. Le report, du 29 juillet au 25 novembre, du très attendu Kaamelott d’Alexandre Astier en est un. L’annonce, cette semaine, du report en 2021 de Benedetta de Paul Verhoeven, un film pressenti pour être sélectionné à Cannes, semble également indiquer que les salles ne retrouveront pas un rythme de croisière avant un an.

Une réouverture en septembre?

C’est aussi le sentiment d’Antoine Glemain, exploitant en Mayenne, qui milite pour une réouverture des salles en septembre, voire début 2021: "Nous n’avons pas non plus de raisons de nous précipiter pour reprendre à n’importe quel prix, dans un contexte ultra-défavorable, en gaspillant en pure perte nos éventuelles réserves financières et les ressources de nos salariés", écrit-il sur son blog Mediapart, tout en précisant que ce retour ne peut se faire qu'"à condition évidemment d’être accompagnés par le CNC et l’Etat dans cette période de transition (chômage technique et autres mesures d’aides ciblées et limitées dans le temps)." Il ajoute: 

"Cet accompagnement ne va pas de soi, et nous serons peut-être obligés en son absence de rouvrir avant nos salles, mais encore faudrait-il se battre pour l’exiger selon un calendrier réaliste au lieu de trépigner aveuglément pour une réouverture 'le plus vite possible', à laquelle nous n’avons aucun intérêt." 

Reste aussi à savoir quels seront les films disponibles en salles. Ceux promis à un beau succès avant le confinement (De Gaulle, La Bonne épouse) retrouveront le chemin des salles dès la réouverture. D’autres films se sont positionnés, comme Nous les chiens et Mon Ninja et moi, deux films qui auront l’avantage d’être les seuls films d’animation pour enfants à sortir, et Ip Man 4, dernier volet de la franchise d’arts martiaux avec Donnie Yen. 

Mais la situation sera insoluble chez les exploitants, partagés entre la peur de ne pas avoir assez de films pour leurs salles et celle de ne pas avoir assez de salles pour accueillir les films. Un embouteillage des sorties pointe aussi à l’horizon. Dès la réouverture des salles, les productions indépendantes n’auront que quelques semaines avant le débarquement des blockbusters américains, qui devraient régner sans discontinuer sur le box-office des mois à venir. 

La solution du drive-in

Le drive-in sauvera-t-il le 7e Art? En France, en Corée, mais aussi aux États-Unis, cette institution passée de mode reprend du poil de la bête. Sur Twitter, Jessica Chastain s’est ainsi souvenue avec émotion des projections en plein air de son enfance.

À Caen, le cinéma d’art et essai Le Lux souhaite proposer plusieurs séances par semaine. À Bordeaux, le Drive-in Festival sera organisé à partir de samedi (et jusqu'au 25 mai). Premier film projeté: Hippocrate de Thomas Lilti, pour rendre hommage aux soignants.

De l’autre côté de l’Atlantique, les créateurs du festival du film de Tribeca se sont associés à IMAX et à l'opérateur AT&T pour organiser cet été une tournée de projections dans des cinémas drive-in. La programmation comprendra des films nouveaux et des classiques, ainsi que des captations d'événements musicaux et sportifs.

La VOD a-t-elle tué les salles? 

Autre inconnue pour la réouverture des salles: le public sera-t-il au rendez-vous? Les plateformes cartonnent depuis le début du confinement et leur fréquentation a augmenté de 40%. Plusieurs films récents, comme Forte, sont d'ailleurs sortis directement en VOD ou en streaming. La décision de Jean Labadie, patron du Pacte, de céder à Amazon Pinocchio de Matteo Garrone, réalisateur célébré plusieurs fois à Cannes, a divisé la profession, qui craint de voir le public se détourner des salles.

L'Association française des cinémas art & essai a ainsi estimé que voir "le distributeur de Ken Loach [vendre] l’exclusivité de l’un de ses bijoux à Amazon" est une symbolique "guère réjouissante" dans ce contexte de fermeture des salles. Jean Labadie, qui a plusieurs fois martelé dans la presse l’importance de soutenir les salles, n’avait en réalité pas le choix en raison des importants risques financiers pris pour sortir Pinocchio.

Aux Etats-Unis, la situation est similaire: les salles AMC ont menacé d’arrêter de distribuer les films Universal, considérant comme un affront la sortie en VOD de Trolls 2, un des films d'animation les plus attendus du printemps. Selon le producteur Vincent Maraval, cette opposition entre les salles et les plateformes n’a pas lieu d’être. Il plaide pour une entente: "Netflix a réussi là où nous, distributeurs internationaux, avons échoué. Elle donne la parole aux créateurs, les pousse à faire les films qu’ils ne feraient plus pour le cinéma et elle les distribue dans les coins les plus reculés du monde", déclare-t-il dans Le Monde.

Gels, masques et ventilation

Comment surmonter la peur de retourner dans les salles? La question n'a pas lieu d'être affirme Jérôme Seydoux dans Le Point: "On ne se demande pas si les gens vont retourner au restaurant [...] On peut même espérer que le confinement aura entretenu le goût des spectateurs pour le cinéma, et qu'ils seront ardents à revenir dans les salles." Il reste quand même à rassurer les équipes des cinémas, mais aussi les spectateurs. Certains cinémas seront mieux lotis que d’autres et pourront compter sur leur taille pour bien respecter la distanciation sociale. 

"On sait que ça va être long et difficile parce qu’il va falloir mettre en place des mesures sanitaires très précises", a indiqué à LCI Claudine Cornillat, gérante du Max Linder Panorama, mythique salle parisienne. "Il se trouve que le Max Linder, heureusement est suffisamment grand pour pouvoir répartir les gens sur trois niveaux. Nettoyage des poignées de porte, des toilettes, désinfection, gel à disposition, masques obligatoires au moins dans le hall et dans les parties communes... Voilà ce qui se profile. Je suppose qu’on va recevoir des consignes précises. J’ai déjà d’ailleurs commandé des masques pour mes équipes. Les spectateurs sont censés s’en procurer eux-mêmes, mais on verra."

Les systèmes de réservation en ligne permettront également "de rassurer nos spectateurs et de gérer efficacement le problème des capacités de salles et de la distanciation", souligne Jérôme Seydoux. Pour les systèmes de ventilation, présentés comme une possible source de contamination, une solution a été imaginée:

"Toutes les salles sont équipées de ventilation qui fonctionne pendant cinq minutes, très fort, entre chaque séance. Là, les exploitants disent [qu’il y aurait] 20 minutes [de battement] entre chaque séance pour que l'air soit totalement transformé", a indiqué le mois dernier Pierre Lescure, président du festival de Cannes, sur le plateau de C à vous.

Richard Patry, président de la Fédération Nationale des Cinémas Français, affirme dans Le Parisien que toutes les mesures ont été prises pour assurer la pérennité des salles de cinéma, qui sont pour l’heure "en sommeil": "Notre objectif, c'est que 100 % des salles rouvrent, on n'en laissera pas une sur le carreau."

Il conçoit cependant qu'il va falloir quelques mois pour convaincre les Français: "Le temps de reconquête va s'étaler sur des mois, on va devoir montrer à nouveau au public que la salle de cinéma est un lieu merveilleux." Cette réouverture des salles sera capitale, car d’elle dépendra le futur de l'industrie du cinéma: "Tant qu'elles ne rouvriront pas, les productions, les tournages ne repartiront pas."

Jérôme Lachasse