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Cinéma

Après Star Wars, Rian Johnson pastiche Agatha Christie avec À couteaux tirés

A couteaux tirés

A couteaux tirés - Metropolitan FilmExport

Le réalisateur américain, qui a signé Looper et Les Derniers Jedi, évoque la genèse de son nouveau film, un pastiche d’Agatha Christie, et les réactions négatives envers son Star Wars.

En quelques années, Rian Johnson a imposé sa marque de fabrique, dans la lignée de Quentin Tarantino et Jordan Peele: s’approprier les mythologies contemporaines pour mieux les tordre. "Adolescent, j’ai beaucoup lu les livres de Joseph Campbell et de Carl Jung sur la construction des mythes", raconte cet homme de 45 ans qui a conservé son air juvénile. "Ça a beaucoup compté dans ma manière de voir le monde."

En décembre 2017, cette vision du monde s’est confrontée à un des plus grands mythes contemporains: Star Wars. Et a contrarié au passage une partie des fans de la saga de George Lucas. Sur le tournage de ce huitième épisode tant conspué, Rian Johnson s’amusait pourtant comme un enfant, animé par la volonté de créer un film qui allait satisfaire ses rêves d’enfant. "Ne t’habitue pas à de tels chiffres", lui avait lancé sur le plateau son fidèle producteur, Ram Bergman. Ce à quoi le réalisateur avait répondu: "À un moment, il faut revenir à la réalité." 

Cette semaine, Rian Johnson est de retour dans notre galaxie. Il pose ses caméras en Nouvelle-Angleterre, où se déroule l’intrigue d’À couteaux tirés, un pastiche de whodunits, ces récits d’enquête dont Agatha Christie est la reine. Loin des combats de Jedi, il a imaginé un film à l’ancienne, tourné quasiment dans un décor réel, une maison du Massachusetts qui ressemble à un plateau de Cluedo. 

"Regarder Bryan Cranston et Aaron Paul, c’était comme suivre une masterclass"

Contraint de tourner dans ce lieu quasiment unique, Rian Johnson s’est souvenu de ce qu’il avait appris une dizaine d’années auparavant en travaillant sur Fly, célèbre épisode de la série Breaking Bad où Walter White (Bryan Cranston) et Jesse Pinkman (Aaron Paul) sont enfermés dans leur laboratoire et tentent de tuer une mouche qui pourrait compromettre leur expérience: 

"Cet épisode a été une incroyable expérience", se souvient-il. "J’ai appris à tourner dans un lieu unique et à savoir maintenir l’intérêt du spectateur en renouvelant les plans. Regarder travailler ces deux acteurs, Bryan Cranston et Aaron Paul, c’était comme suivre une masterclass. On était dans une seule pièce. Je ne pouvais pas me cacher. Ça devait fonctionner. En tant que réalisateur, je devais capter de la meilleure manière possible ce qu’ils offraient. Je suis sûr que ça m’a aidé, même inconsciemment, pour À couteaux tirés." 

Le whodunit permet également à ce fou de SF de renouer, en filigrane, avec son genre favori: "Le whodunit, pour moi, ressemble presque à un voyage dans le temps. L’action se déroule sur deux temporalités. Il y a le présent de l’interrogatoire et le passé de la nuit du crime. On peut découvrir la même scène de différentes manières, ce qui s’accorde très bien avec le cinéma." 

Rian Johnson s’est aussi inspiré d’Alfred Hitchcock, dont il partage le point de vue sur les whodunits: "Il n’aimait pas qu’ils soient uniquement fondés sur la révélation finale du coupable. Ce qui le passionnait, c’était le suspense, l’empathie. C’est un moteur narratif bien plus puissant." 

Au-delà de l’enquête sur le meurtre d’un célèbre écrivain de romans policiers, À couteaux tirés dresse le portrait d’une Amérique rongée par son racisme et ses privilèges. À cet effet, il a d’ailleurs convoqué une pléiade de stars, de Daniel Craig à Chris Evans, en passant par Jamie Lee Curtis, Michael Shannon, Christopher Plummer ou encore Toni Collette, Katherine Langford et Don Johnson. 

Ce que À Couteaux tirés partage avec Joker et Parasite

Depuis ses débuts, en 2005, Rian Johnson a développé quelques thématiques récurrentes. Une d’entre elles est la place laissée aux étrangers dans la société. Tournant le dos à la tradition du whodunit, Rian Johnson s’intéresse moins au fantasque détective Benoit Blanc (Daniel Craig), lointain cousin du Kentucky de Hercule Poirot, qu’à Marta Cabrera (Ana de Armas), infirmière du romancier assassiné dont la famille est arrivée illégalement aux Etats-Unis. 

Bien que soulignée dans le film, cette dimension politique est pourtant désamorcée par Rian Johnson lui-même: "Quand une idée de film me vient, je ne me demande pas de quel sujet je vais parler. Pour moi, ça doit s’appuyer sur quelque chose de bien plus fondamental que cela." S’il concède que le film “parle effectivement de la lutte des classes aux Etats-Unis, de la manière dont nous définissons ce qui nous appartient ou pas, dont nous excluons certaines personnes", il prêche pour une lecture beaucoup plus terre-à-terre de son film: 

"Plus fondamentalement que cela, À couteaux tirés parle de ce que cela signifie d’être quelqu’un de fort et de bon. Marta ne va pas s’en sortir en menant l’enquête, mais en ayant un bon cœur, en agissant de la bonne manière." 

À couteaux tirés partage cependant avec plusieurs succès de l’année - comme Joker, Parasite, Queens et Us - l’ambition de critiquer les inégalités systématiques de la société capitaliste. "Il y a quelque chose dans l’air", confirme le réalisateur, qui a eu la première idée de l’intrigue il y a dix ans. Occupé après Looper par le tournage de Star Wars VIII, Rian Johnson s’est attelé à l’écriture d’À couteaux tirés en janvier 2018.

"C’est difficile pour moi de visionner les scènes avec Carrie Fisher" 

Rian Johnson, qui a fait ses armes sur Breaking Bad, est un adepte comme la série de Vince Gilligan des ruptures de ton et des personnages plus grands que nature. Le fort accent du sud du détective incarné par Daniel Craig fait partie de ces risques qu’aime prendre Rian Johnson dans chacun de ses films - quitte à se mettre à dos les spectateurs. Dans Looper, il y avait l’étrange visage de Joseph Gordon Levitt, qui ressemblait à celui de Bruce Willis ; dans Les Derniers Jedi, c’était la fameuse scène où la princesse Leia, aspirée dans le cosmos, se mettait à voler comme Mary Poppins. 

"Ce n’est pas pensé de cette manière. Ce sont des choix logiques avec l’histoire", se défend le réalisateur. "Dans À couteaux tirés, l’accent de Daniel permet de créer de la tension avec la famille sur laquelle il enquête, et de jouer avec le cliché de la condescendance des habitants du Nord envers ceux du Sud. C’est exactement ce que l’on veut avec un personnage de détective, à l’image de Hercule Poirot, qui n’est pas pris au sérieux par les Anglais, parce que c’est un étranger un peu précieux, un Belge." 

Ses choix pour Star Wars ont été controversés et il a été la cible de trolls, comme les actrices Daisy Ridley et Kelly Marie Tran, qui ont été contraintes de quitter les réseaux sociaux. Parmi les suspects d’À couteaux tirés figure un jeune garçon qui passe sa journée à publier sur les réseaux sociaux des messages haineux. Un personnage burlesque qui suscite des fous rires dans les salles, mais qui n’a pas été créé à des fins cathartiques, assure Rian Johnson: 

"Ce n’était pas une réponse à ce qui s’est passé avec Les Derniers Jedi. C’est plutôt une réponse à Internet aujourd’hui. Mon contact principal avec ce genre de phénomène est via Star Wars, mais en vérité il n’y a pas besoin de réaliser un Star Wars pour rencontrer des trolls sur Internet. Honnêtement, je me suis dit que c’était quelque chose dont nous avions tous besoin de rire." 

Les trolls, d’ailleurs, n’ont pas terni son rêve d’enfant: "Quand j’avais cinq ans, avant même que je sois capable d’avoir des souvenirs, je connaissais Star Wars. C’était toute ma vie. C’était au-delà d’un rêve. Encore aujourd’hui, je ne réalise pas que j’ai pu en faire un", dit-il, bien qu’il concède avec émotion ne pas pouvoir revoir Les Derniers Jedi: “C’est très émouvant. Carrie Fisher me manque. C’est difficile pour moi de visionner les scènes avec elle. Surtout sa dernière scène avec Mark. C’est vraiment des adieux. C’est presque trop difficile et émouvant pour que je puisse la regarder." 

Rian Johnson n’est pas homme à regarder dans le rétroviseur. En bon fan de SF, il pense à l’avenir. Aux dernières nouvelles, il prépare toujours une nouvelle trilogie de films. Pour l’heure, il ne peut rien en dire: "Je parle toujours à Lucasfilm, ils n’ont encore rien annoncé, il n’y a pas de nouvelle information."

Jérôme Lachasse