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Annecy 2018: rencontre avec Kim Keukeleire, l’animatrice de Chicken Run et de Wes Anderson

L'Île aux chiens

L'Île aux chiens - Fox Searchlight

BFMTV a rencontré Kim Keukeleire, dont la filmographie comprend les films en stop motion les plus marquants des vingt dernières années: Chicken Run, Fantastic Mr. Fox ou encore Ma Vie de Courgette.

Réaliser un film en stop-motion, comme L’Île aux chiens de Wes Anderson, n’est pas si différent que produire un long-métrage avec des acteurs et des actrices en chair et en os. Bien que les techniques soient radicalement différentes, l’ambition reste la même: il faut insuffler une âme, une personnalité, des émotions aux personnages, et non se contenter de les faire bouger. 

"ll faut qu’on y croit. C’est le but de tout film d’animation", confirme l’animatrice Kim Keukeleire, dont la filmographie comprend notamment Chicken Run, deux Wes Anderson (Fantastic Mr. Fox, L’Île aux chiens), un Tim Burton (Frankenweenie) et Ma Vie de Courgette, primé à Annecy et aux César. 

Depuis une vingtaine d’années, cette spécialiste du stop-motion planche sur les films d’animation les plus ambitieux du marché. C’est par hasard, en découvrant dans les années 1980, dans des festivals, les premières œuvres du studio Aardman qu’elle s’est décidée à poursuivre dans cette voie. 

Animer George Clooney et Meryl Streep

Coup du destin: le long-métrage avec lequel elle commence, après avoir réalisé des pubs en Belgique et en Allemagne, est le très attendu Chicken Run (2000), première fiction des studios Aardman. Elle décroche un poste d’animatrice, bien qu’elle soit mentionnée au générique dans les crédits des assistants animateurs. 

"C’était un peu le rêve [de collaborer avec Aardman]. J’ai fait un peu tous les personnages. Je suis arrivée à la fin [du tournage]: j’ai eu un peu de Rocky, Babs, les poules et la séquence finale avec les poussins". 

Chez Wes Anderson, elle s'est occupée, là aussi, des animaux. Dans Fantastic Mr. Fox (2009), elle s'est ainsi chargée de Fox et son épouse Felicity (George Clooney et Meryl Streep en VO). "C’est assez agréable de travailler sur des voix de professionnels comme celles-là", sourit-elle. 

Dans L’Île aux chiens (2017), Kim Keukeleire a animé le chien Spots (Liev Schreiber en VO et Louis Garrel en VF), mais aussi le petit garçon, Atari, ainsi que les canidés Scrap, Jupiter et Oracle (Fisher Stevens, F. Murray Abraham et Tilda Swinton en VO, Nicolas Saada, Daniel Auteuil et Aurore Clément en VF). Wes Anderson a insisté pour qu’elle supervise les séquences émotionnelles avec Spots. Son point fort.

"Wes Anderson doit travailler 20 heures sur 24"

Kim Keukeleire n’a cependant pas conçu sur le fameuse séquence de la préparation du sushi dans L’Île aux chiens. "C’est une scène assez mythique, qui a pris beaucoup de temps. Ça a pris six mois de test, de préparation, parce que Wes voulait quelque chose de très particulier. Ils sont allés filmer un chef japonais qui cuisinait des sushis pour s’inspirer. C’est assez gore: c’est réellement avec un poisson vivant qu’il prépare son plat."

Sur le tournage, Wes Anderson n’est pas très présent et envoie ses directives principalement par mail, depuis chez lui. "Il aime bien avoir une certaine distance pour pouvoir réfléchir à tout sans avoir d’interférence. Il travaille énormément. Il doit travailler 20 heures sur 24. Il supervise tout. Rien ne se fait sans son accord", détaille Kim Keukeleire. 

La méthode de Tim Burton sur Frankenweenie (2012) était similaire. Le cinéaste était cependant "beaucoup moins en direct avec nous" que Wes Anderson, concède-t-elle. "Il collaborait juste avec le directeur de l’animation. Je n’ai pas eu de contact direct avec lui. Avec Wes Anderson, j’en avais tous les jours". Généralement, les réalisateurs sont présents physiquement sur le tournage. C’était le cas de Peter Lord et de Nick Park pour Chicken Run et de Claude Barras pour Ma Vie de Courgette (2016), sur lequel Kim Keukeleire a été cheffe animatrice.

"Ça coûte très cher de filmer un plan"

Sur le tournage de L’Île aux chiens, tout est millimétré. On connaît le soin maniaque apporté par Wes Anderson à chaque détail de ses films. On connaît aussi le fin mélomane, qui chorégraphie avec une grande précision les séquences musicales de ses films. Sur le tournage de L’Île aux chiens, pourtant, personne "n'a utilisé la musique, sauf pour la séquence d’ouverture", qui comporte un solo de percussions japonaises. Les animateurs se préparent quelques jours seulement avant le début du tournage, explique Kim Keukeleire: 

"On ne se met pas sur un plan directement. On a souvent une ou deux semaines de mise en route pour faire différents tests d’animation pour s’habituer au style et à la marionnette. Les marionnettes ne sont pas parfaites du premier coup, il faut un peu les modifier. Lorsqu’on a commencé les tests de L’Île aux chiens par exemple, les poupées des chiens n’avaient pas encore de tête!". 

Il faut entre un an et dix-huit mois pour faire un film en stop-motion. Pendant ce temps, le scénario varie peu. "Il y a eu pas mal de redécoupage dans le scénario de L’Île aux chiens, mais une fois qu’une scène est tournée, on essaye de l’utiliser, parce que ça coûte très cher de filmer un plan. On ne fait pas 36 versions d’une même séquence". 

En moyenne, un animateur produit deux secondes d’animation par jour et chaque seconde est constituée de douze poses. Pour Frankenweenie, le rythme était plus soutenu, avec 24 poses par seconde. "C’est beaucoup plus fluide, beaucoup plus clean, mais c’est aussi un peu dommage: on perd la texture du stop-motion", déplore Kim Keukeleire.

"On n’a pas trouvé de chien qui parle"

Sur L’Île aux chiens, Kim Keukeleire a été confrontée à un défi: contrairement à Chicken Run ou à Fantastic Mr. Fox, les poupées des chiens ne sont pas anthropomorphisées: "On n’avait pas les mains pour jouer. On n'avait à notre disposition que le visage, la tête, les expressions. Mais ce n’est pas un challenge, il faut juste s’y habituer". 

Pour s’habituer, il n’y a pas de secret: la pratique. Un chien est tout de même venu une fois dans le studio pour faire quelques gestes, "mais ça n’a pas tellement servi", précise-t-elle, avant d’ajouter: "On n’a pas trouvé de chien qui parle". Pour faire bouger les bouches (ou les gueules), il faut donc composer avec la technologie:

"On a un système de détection du son qui écrit où et à quel moment se placent exactement les syllabes".

Entre le tournage de Fantastic Mr. Fox et celui de L’Île aux chiens, Kim Keukeleire a remarqué peu de différences, mis à part un budget peut-être plus conséquent pour L’Île aux chiens. "Wes Anderson avait surtout plus d’expérience et savait déjà à quoi s’attendre. Il a pu donc aller plus loin". Après L’Île aux chiens, elle attend son nouveau projet tout en espérant continuer à être cheffe animatrice.

Jérôme Lachasse