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Cinéma

Alita Battle Angel: le manga culte Gunnm à la sauce hollywoodienne

Gunnm de Yukito Kishiro

Gunnm de Yukito Kishiro - Glénat 2019

Alors que l’adaptation hollywoodienne du célèbre manga Gunnm sort sur les écrans ce mercredi, retour sur l’histoire de ce monument de la BD japonaise.

L'adaptation cinématographique du célèbre manga Gunnm, sort en salles ce mercredi 13 février. Avec Rosa Salazar et Christoph Waltz au casting, le film est réalisé par Robert Rodriguez et coécrit par James Cameron. Le manga a mis 20 ans à se retrouver sur grand écran.

1999. Un an après le sacre de Titanic aux Oscars, James Cameron est encore le “roi du monde”. Lors d’une discussion avec Guillermo del Toro, le Canadien découvre l’existence de Gunnm, manga de neuf volumes parus entre 1990 et 1995. Aussitôt séduit par l’univers dystopique du Japonais Yukito Kishiro, et par les thèmes qui lui rappellent ses propres films (Terminator, Abyss), Cameron décide d’en obtenir les droits pour l’adapter sur grand écran.

Rebaptisé aux Etats-Unis Battle Angel Alita, Gunnm commence comme une relecture de Frankenstein et de Pinocchio. Dévastée après le passage d’une météorite, la Terre se divise entre la ville décharge Kuzutetsu et la cité dans le ciel, Zalem, réservée aux riches. Un docteur en cybernétique, Ido, découvre Gally (Alita dans le film), une cyborg dont il ne subsiste que la tête. Amnésique, elle se révèle être une guerrière qui maîtrise un vieil art martial de Mars, le Panzer Kunst. Devenue, comme Ido, chasseuse de primes, elle rencontre Yugo. Ils tombent amoureux, et rêvent de se rendre à Zalem...

Cette trame, qui couvre seulement les deux premiers volumes de Gunnm, a servi de base à James Cameron, qui a passé les vingt dernières années à porter le manga au cinéma. Son adaptation est finalement réalisée par Robert Rodriguez (Sin City), Cameron se contentant de produire et de signer le scénario. L’enjeu est de taille pour le duo qui doit non seulement séduire les néophytes comme initiés, mais surtout adapter une œuvre très personnelle, sur laquelle Yukito Kishiro ne cesse de travailler depuis maintenant trente ans.

"Car on le sent, Kishiro ne triche pas", peut-on lire dans la revue spécialisée Atom, qui a consacré en fin d’année un numéro spécial au mangaka. "Dans chaque cheveu hérissé de Gally ou dans la fureur des hachures, son trait transpire la pulsion créatrice, ses planches sont d’une rare générosité, chargés de détails et d’énergie brute." Le cinéma, malgré l’avalanche d’effets numériques, peine forcément un peu de cette "énergie brute".

Une arme qui rêve

Inscrit dans le genre du nanopunk, Gunnm raconte la quête d’identité d’une cyborg: "chacun est libre de devenir ce qu’il veut: un exemple ou un monstre", proclame ainsi Gally dans le tome 1. Le titre, Gunnm, symbolise cette quête en étant la contraction du mot anglais "gun" (arme) et japonais "mu" (rêve): "Cette arme qui rêve, c’est la Gally du temps présent, une femme reconstruite qui cherche inlassablement sa place dans le monde, pour enfin trouver l’apaisement", poursuit Atom.

Pour s’approcher au mieux du style de Yukito Kishiro, et retrouver l’expressivité de l’héroïne de papier, James Cameron et Robert Rodriguez ont décidé d’agrandir les yeux de leur actrice principale, Rosa Salazar. Un choix qui a pu faire grincer des dents les fans, mais qui fonctionne à l’écran.

Couvertures du manga Gunnm
Couvertures du manga Gunnm © Glénat 2019

Hollywood n’avait, il faut le dire, pas le choix tant Yukito Kishiro a su créer un personnage fort: avec sa chevelure noire, ses lèvres charnues et ses grands yeux, Gally a marqué toute une génération. "J’ai donc opté pour des cheveux noirs et raides, mais aussi courts, car dans une scène d’action, donner du mouvement à une chevelure longue et raide est très compliqué. Je voulais aussi apporter à Gally une sorte de signature, quelque chose qui la définirait au premier coup d’œil. Et ça a été sa bouche", se souvient dans Atom le mangaka.

"Chez moi, un mort ne revient jamais à la vie"

Le dessinateur a aussi refusé de sexualiser son héroïne. "Tous mes personnages représentent une part de moi-même - que je déforme par moments et amplifie plus ou moins selon les cas", dit-il. "Et si je mettais à dessiner subitement des personnages sexy, j’aurais comme l’impression de me trahir, de raconter quelque chose de très éloigné de moi."

Si Gunnm fait immanquablement penser à Frankenstein et à Pinocchio, c’est une nouvelle de Gustave Leroux, La Hache d’or, où une femme soupçonne son mari d’être un tueur, qui a inspiré Yukito Kishiro. La mort, omniprésente dans son œuvre, frappe de manière souvent brutale les personnages - et par extension le spectateur. Une donnée importante que le film de Robert Rodriguez a tenté de reproduire, malgré les exigences hollywoodiennes. Ce choix, explique Yukito Kishiro, est lié à la condition de ses personnages, pratiquement tous des cyborgs:

"Si vous voulez les supprimer définitivement, vous ne pouvez pas vous contenter de leur arracher une jambe, un bras ou encore de les transpercer timidement. Il faut les pulvériser, et je pense que c’est cette approche très pragmatique de leur destruction qui a engendré cette escalade dans la violence. Aussi, je ne voulais surtout pas suivre une tendance très présente dans les mangas des années 1990 et qui voyait certains auteurs faire revenir leurs personnages plusieurs chapitres après leur mort [...] Chez moi, un mort ne revient jamais à la vie."

Couvertures du manga Gunnm Last Order
Couvertures du manga Gunnm Last Order © Glénat 2019

La suite

Cinq ans après avoir terminé Gunnm, Yukito Kishiro a pourtant ressuscité sa série. Intitulée Gunnm Last Order, cette série en 19 tomes publiés entre 2000 et 2014 est souvent moins appréciée. Kishiro y explore ce qu’il n’avait pas pu développer dans la série originale: l’espace.

Le dessinateur ajoute également une dimension politique à son œuvre. De l’inégalité parmi les sociétés, fameux essai de 1997 signé Jared Diamond lui confère ainsi les outils pour aborder plus frontalement certaines questions laissées en suspens dans Gunnm. Depuis 2014, il se consacre à Gunnm Mars Chronicles, dont les cinq tomes parus sont pour l’instant un flash-back sur la jeunesse de Gally.

Si la sortie d’Alita Battle Angel marque l’aboutissement d’un rêve de James Cameron, Hollywood n’a pas attendu 2019 pour s’inspirer de Yukito Kishiro. L’influence de Gunnm est ainsi présente dans de nombreuses blockbusters, et surtout dans Mad Max Fury Road où George Miller a repris des séquences entières du tome 5. C’est de bonne guerre concède Yukito Kishiro, tant les premiers Mad Max ont été une des sources d'inspiration de Gunnm.

Jérôme Lachasse