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Cinéma

Alice Belaïdi, star de Victor et Célia nous parle humour féministe, cannabis et salon de coiffure

Alice Belaïdi en 2019 aux César

Alice Belaïdi en 2019 aux César - Thomas Samson - AFP

Vue récemment dans L’Ascension et la série Hippocrate, la comédienne défend un humour féministe et rêve de réaliser des comédies noires pour dynamiter un cinéma français trop sage à son goût.

Interne en médecine dans la série Hippocrate et coiffeuse dans Victor et Célia: en quelques mois, Alice Belaïdi est devenue la nouvelle héroïne du cinéma social français. Dans la série de Thomas Lilti (Première année) comme dans le nouveau Pierre Jolivet (Ma petite entreprise), la comédienne vue précédemment dans Les Kaïra et L’Ascension incarne cette jeunesse qui se lance, pleine d’aspirations, dans la vie active, mais se heurte rapidement au système, souvent défaillant, et à l’absence de moyens:

"Ce que disent Thomas Lilti et Pierre Jolivet, c’est que la jeunesse fait des choses alors qu’on a tendance à dire des jeunes qu’ils sont des fainéants. J’ai été au contact des premières années de médecine, qui bossent comme des chiens 15 heures par jour pour gagner 1000 euros par mois. On a rencontré les jeunes mecs de trente ans qui ont inspiré Victor et Célia. Ils nous disaient: 'quitte à être pendu, je préfère choisir la corde et être libre et vivre nos vies'. C’est ça la jeunesse: se dire qu’on a le droit à l’erreur. C'est un âge où il est aussi plus facile d’accepter la galère."

"Être acteur c’est être un bon petit soldat"

Un sentiment qu’elle connaît bien. Arrivée par hasard dans le cinéma, Alice Belaïdi gravite depuis une dizaine d’années dans les comédies populaires et commence à se frayer un chemin parmi des œuvres à caractère social. Entourée de stars ou premier rôle de petits films, elle parvient toujours à s’imposer à l’écran. Une hargne qu’elle transmet à ses personnages.

"Je ne sais pas si c’est de la hargne. C’est peut-être plus de l’orgueil", précise-t-elle. "Je suis quelqu’un d’orgueilleux et j’ai vite compris qu’il ne fallait pas que je le place au mauvais endroit. Sur un plateau, je n'ai pas envie de faire perdre leur temps aux gens. Je suis cette actrice qui connaît son scénario au moins quinze jours en avance." 

Elle l'a encore prouvé récemment en arrivant avec son scénario couvert de stabilos et de post-it à une répétition d'une "grosse comédie" qu’elle tournera en mai-juin avec Catherine Deneuve, Jonathan Cohen et Vincent Dedienne. "J’ai cette tendance à être hyper, hyper, hyper prête", explique la comédienne. "Je crois qu’être acteur c’est être un bon petit soldat. On est au service d’un auteur, d’un metteur en scène. Je n’ai pas ce tempérament dans la vie, mais j’ai tendance à me soumettre à un réalisateur."

Son parcours n'est pas exempt d'expériences difficiles. Le tournage de La Monnaie de la pièce, une comédie sortie début 2018, en est un exemple: "J’ai besoin de me laisser aller et quand le rapport au réalisateur est compliqué, ce qui était le cas pour ce film, il n’y a plus rien qui marche, je n’ai plus confiance." Tout le contraire de son expérience sur Victor et Célia avec Pierre Jolivet, un réalisateur engagé qui "parle des gens qu’il aime": "Ce n’est pas un positionnement. La force de Pierre est de nous aimer à un tel point qu’on se laisser aller. Je suis un malabar avec lui: il fait ce qu’il veut."

Le choc Mes meilleures amies

Rares sont les comédies sur les salons de coiffure. Venus tout droit des États-Unis, deux films s’imposent dans ce genre: Shampoo avec Warren Beatty et Rien que pour vos cheveux, sa parodie imaginée par Judd Apatow et Adam Sandler. Une référence pour Alice Belaïdi: "Ce genre d’humour fait partie de mes codes ciné, comme les films des frères Farrelly." Comme pour beaucoup d’actrices de sa génération, la sortie en 2011 de la production Apatow Mes meilleures amies a été un électrochoc et lui a fait prendre conscience de l’importance de produire des comédies mettant en scène fidèlement l’expérience féminine.

"Ces dernières années, on commence à prendre notre place, à assumer le fait que l’on puisse être drôles et belles en même temps, à arrêter les clichés de la passeuse de plats, de la fille ou de la meuf de. Avec Mes meilleures amies, ces filles ont ouvert de sacrées portes pour la comédie en France."

Il y a eu depuis Les Gazelles avec Camille Chamoux, Connasse avec Camille Cottin et Sous les jupes des filles d’Audrey Dana. Dans Victor et Célia, ajoute-t-elle, son rôle "aurait pu être joué par un homme", mais a été écrit pour une femme. Dans Hippocrate, les personnages féminins ne sont pas sexualisés et les actrices disposaient "du même temps de préparation pour le maquillage".

Portée par cette vague de comédies féminines, Alice Belaïdi tente depuis 2014 de monter son propre film. Si elle voulait au départ s’en prendre aux exigences de beauté imposées aux femmes par la société, elle prépare désormais "une comédie très noire, à l’anglaise", dans la lignée de La Guerre des Rose. Intitulé pour le moment Quitte-moi si tu peux, ce long-métrage écrit avec la scénariste Nadia Lakhdar et joué par Belaïdi et Pio Marmaï raconte "l’histoire d’un couple qui se déchire à mort". Le film sera un "exutoire", selon elle.

"Les comédies qui finissent mal, c’est compliqué"

Le tournage est prévu pour cet été "si tout se passe bien". Il faut convaincre les producteurs: "Les comédies qui finissent mal, c’est compliqué. Les producteurs ne comprennent pas, ils trouvent que ça sonne une mauvaise image du couple. En même temps, on ne lâche pas, c’est pour ça que ça prend du temps." Ce n’est pas son unique cheval de bataille. Sur Instagram, elle se photographie souvent avec des joints. Elle déplore la sévérité de la loi en France, pourtant le plus gros pays consommateur de cannabis en Europe: 

"C’est dépénalisé partout: en Espagne, en Italie, en Suisse et bientôt en Angleterre. C’est légalisé en Hollande. On est les derniers. Ça pourrit nos quartiers. Ça pourrit les jeunes qui fument de la merde. On vend de l’alcool à des gamins dans des épiceries en libre-service… et on fait la morale à des gens de 30 ans qui fument des joints. C’est surréaliste. Je ne me fais pas porte-parole du mouvement pro-cannabis, par contre j’ai envie de sortir de cette hypocrisie qui nous montre du doigt comme des toxicomanes. Je veux continuer à assumer. C’est hypocrite de se cacher. On me demande parfois si j'ai peur qu’on ne me propose plus de rôle. Absolument pas. Au contraire. Un jour, on dira que j’étais précurseuse."

Ça pourrait être l’objet d’un film. Contrairement aux États-Unis, la France n’a pas de tradition de stoner comedies, les comédies sur le cannabis. Hormis La Beuze et les œuvres d’Igor Gottesman (Five, Family Business), le créneau est encore peu exploité, d'autant plus par les réalisatrices. Une piste à explorer dans sa prochaine comédie après avoir étrillé le couple?

Jérôme Lachasse