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Taylor Swift, d'égérie des néo-nazis américains à supportrice démocrate

Taylor Swift sur scène à Glendale, aux États-Unis, le 8 mai 2018

Taylor Swift sur scène à Glendale, aux États-Unis, le 8 mai 2018 - Kevin Winter - Getty Images North America - AFP

La chanteuse américaine a surpris les fans et la scène politique américaine en affichant son soutien à deux candidats démocrates pour les élections de mi-mandat. Une prise de position inédite pour une chanteuse adulée de la droite et de l'extrême droite américaines, qui était toujours restée très discrète sur ses convictions.

En se prononçant dimanche pour la première fois sur la politique américaine, révélant ses sensibilités progressistes, Taylor Swift s'est attirée les foudres de Donald Trump. Lundi, le président américain a réagi à cette inédite prise de position de la chanteuse de 28 ans: "Disons que j'aime la musique de Taylor environ 25% de moins désormais", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse. 

L'interprète de ...Ready for it? a recueilli près de 2 millions de "likes" en deux jours en déclarant, sur Instagram, qu'elle voterait pour deux candidats démocrates lors des élections de mi-mandat le 6 novembre prochain. Électrice du Tennessee, elle a également vigoureusement critiqué Marsha Blackburn, candidate républicaine à un poste au Sénat. Dénonçant au passage le "racisme systémique" et les "discriminations basées sur l'orientation sexuelle ou le genre", toujours prévalentes aux États-Unis.

Cela aurait pu être une énième chanteuse embrassant des convictions politiques libérales et prêtant son influence à des candidats démocrates à l'instar d'une Katy Perry ou d'une Miley Cyrus. Mais ce message, aux allures de tournant dans la carrière de Taylor Swift, a de quoi surprendre ses fans, agacer ses détracteurs et, peut-être, inquiéter la droite américaine. Car depuis toujours, Taylor Swift observe un silence obstiné dès qu'il s'agit de politique. Devenant malgré elle une égérie de la droite, parfois extrême. 

L'enfant chérie de l'Amérique blanche

Pour comprendre l'attrait de Taylor Swift aux yeux des républicains, il faut remonter à la genèse de son succès. Avant d'opérer un virage gagnant en 2014 avec l'album pop 1989 (un triomphe commercial planétaire), la chanteuse a fait ses armes dans la musique country.

Cette native de Pennsylvanie s'installe à Nashville (Tennessee), berceau du genre, à l'âge de 14 ans. En 2006, avec son premier album éponyme dans lequel elle raconte ses amours platoniques sur fond de guitare acoustique, cette grande blonde aux yeux bleus émeut toutes les pré-adolescentes du midwest avec l'approbation de leurs parents. Car la country, associée au monde rural, est un genre chargé politiquement: ses égéries sont blanches et ses textes faisant l'apologie des armes à feu se comptent par dizaines.

En 2017, plusieurs de ses stars se sont jointes aux festivités de l'investiture de Donald Trump. Le Tennessee a d'ailleurs enregistré 61,1% de votes en faveur du candidat républicain, pour 34,9% des voix pour Hillary Clinton. 

Coupée par Kanye West

Très vite, Taylor Swift jouit d'une popularité grandissante et remplit les stades. La première grande consécration arrive en 2009, le soir des MTV Video Music Awards. Mais un incident, entré dans l'histoire des cérémonies de remise de prix, marquera ce soir-là la carrière de la chanteuse, donnera naissance à la guerre sans fin qui l'oppose à Kanye West... et confortera peut-être l'Amérique de droite dans l'idée qu'elle a trouvé son idole. 

Ce soir-là, Taylor Swift se voit décerné le prix de meilleur clip d'une artiste féminine, pour le gentillet You Belong With Me. Tout en blondeur, en bouclettes et en regards ahuris, la star de 20 ans exulte: "Je n'aurais jamais cru que ça arriverait", assure-t-elle... avant d'être coupée par Kanye West. Le rappeur surgit sur la scène, lui arrache son micro, et clame devant le public que Beyoncé, également nommée dans la catégorie, avait "l'un des meilleurs clips de l'histoire."

Cette séquence, au retentissement mondial, pourrait n'être rien d'autre que la rencontre d'un rappeur à l'égo en plein développement et d'une chanteuse inexpérimentée. Mais sa symbolique et ses conséquences dans les foyers américains, n'a a pas échappé à Buzzfeed US qui décrypte quelques années plus tard:

"La réaction dominante (à cet événement) fut un reflet de ce que le monde a été conditionné à voir: "la 'menace' d'un homme noir 'en colère' terrorisant une femme blanche 'innocente' (...) Swift fut capable de capitaliser sur ce stéréotype de "l'homme noir énervé" (...) Pour Swift, c'était une opportunité de communication en or."

En plein milieu d'une cérémonie sur laquelle toutes les caméras du monde étaient braquées, un homme noir prend une parole qu'on ne lui a pas donnée pour remettre en question la légitimité d'une femme blanche. Le pire cauchemar de tous les suprémacistes blancs des États-Unis, en direct à la télévision.

"Je ne parle pas de politique"

Assez rapidement, la politique devient un sujet délicat pour la chanteuse. En 2012, alors âgée de 22 ans, elle expliquait se tenir éloignée du sujet dans les colonne de Time Magazine:

"Je m'y intéresse, et j'essaye de me tenir aussi informée que possible. Mais je ne parle pas de politique parce que cela pourrait influencer d'autres personnes. Et je ne crois pas en savoir assez sur la vie pour le moment pour dire aux gens pour qui ils doivent voter."

De fait, lorsqu'elle n'arrive pas à y couper, elle contourne la question: "Je n'ai jamais vu ce pays aussi heureux d'une décision politique de toute ma vie. Je suis si heureuse que cela ait été ma première élection", disait-elle d'Obama en 2009 à Rolling Stone, se gardant pourtant d'afficher un quelconque soutien. Une neutralité qui détonne dans un pays où les égéries populaires affirment des convictions politiques marquées et où la moindre cérémonie tourne au procès anti-Trump, depuis son élection.

Hitler, Ben Laden et Staline

Ce silence impénétrable est une brèche dans laquelle s'engouffrent les suprémacistes américains. Taylor Swift, la grande blonde aux yeux bleus à l'allure proprette, fait bientôt l'objet d'un culte dérangeant que lui voue, sur le Web, la droite alternative.

En 2013, une utilisatrice de Pinterest fait sensation en attribuant des citations d'Adolf Hitler, Ousama Ben Laden et Joseph Staline à Taylor Swift. Comme le rapporte le Daily Mail, les internautes sont tombés dans le panneau, partageant les publications trompeuses. La page, une fois supprimée, a affiché ce qui semble être les motivations de son autrice, selon le New York Post: "La morale de l'histoire, c'est que vous devriez toujours vérifier la validité de ce que vous postez avant de le partager." 

Aujourd'hui encore, des pages Twitter reprennent ce troublant concept, inscrivant des citations d'Adolf Hitler sur des photos de Taylor Swift.

"Déesse aryenne"

Taylor Swift s'est ensuite retrouvée au coeur d'une théorie délirante propagée sur la Toile par la frange la plus dure de la droite américaine, selon laquelle elle serait tout simplement une nazie sous couverture. En 2016, Broadly interrogeait Andre Anglin, auteur d'un blog suprémaciste: 

"C'est un fait établi que Taylor Swift est en réalité nazie, qu'elle attend simplement le moment où Donald Trump lui assurera toute la sécurité dont elle a besoin pour le révéler et annoncer ses projets aryens au monde", assurait-il, qualifiant son idole de "pure déesse aryenne".

Des fans difficile à assumer... mais face auxquels la chanteuse reste, obstinément, silencieuse. Le malaise prend une autre tournure face à un post de blog, publié en septembre 2017 sur le site PopFront, accusant la chanteuse de complaisance:

"Le silence de Taylor n'est pas innocent, il est calculé. Et si tout est faux, il faut qu'elle affiche ses opinions haut et fort face au monde, peu importe les fans qu'elle perdra", affirmait notamment l'autrice de la tribune.

La chanteuse envoie une mise en demeure à l'autrice, qui sera rejetée par l'American Civil Liberties Union comme le rapporte USA Today. Mais ne prend pas la parole. 

Timides affirmations

Les accusations de complaisance envers un public républicain, de droite ou d'extrême-droite atteignent leur paroxysme lors de la dernière élection présidentielle américaine. Alors que de nombreuses célébrités clament haut et fort leur soutien à Hillary Clinton, Taylor Swift ne pipe mot durant toutes la période électorale. À peine encourage-t-elle à se rendre aux urnes le jour-J sur Instagram, se refusant une fois encore à toute consigne. Et à l'heure de l'investiture de Donald Trump, alors que Rihanna, Zendaya ou encore Miley Cyrus se sont jointes aux "Marches des femmes" pour protester, la chanteuse n'est vue nulle part. À peine se fend-elle d'un tweet de soutien, qui lui vaut plus de reproches que de mentions "J'aime", comme le relève Buzzfeed

Ces dernières années, et surtout ces derniers mois, ont pourtant marqué les début d'un changement dans l'approche de la chanteuse. Taylor Swift s'est risquée à des convictions progressistes relativement appuyées au fil du temps, prenant plusieurs fois la parole sur son féminisme revendiqué, sur son soutien à la communauté LGBT et s'est même jointe sur Instagram à la campagne March for Our Lives.

Autant de petits pas qui ont mené, dimanche, la chanteuse à encourager au vote pour deux candidats démocrates. La prise de position aura attiré son lot de commentaires négatifs, de représentants conservateurs sur les plateaux de télévision en anonymes sur les réseaux sociaux. "Taylor Swift vient de mettre fin à sa carrière", a écrit l'un d'entre eux sur 4chan, rapporte le Guardian

Taylor Swift a sûrement pris un risque en diffusant ce message. Mais s'il se peut que certains fans de la première heure décident de lui tourner le dos, d'autres pourraient sortir du bois, comme en témoignent certaines réactions: "J'étais une fan cachée de Taylor Swift, mais je l'assume désormais!", a tweeté une internaute. "Je connais toutes ses paroles, et maintenant je me sens assez serein pour admettre que je connais toutes les paroles de toutes ses chansons", a posté un autre. 

Surtout, l'impact de cette prise de parole de la chanteuse s'est (peut-être) déjà fait sentir. Comme le rapporte le New York Times, le site Vote.org, qui aide les électeurs à s'inscrire sur les listes électorales, a enregistré 250.000 nouvelles inscriptions depuis le message de Taylor Swift. Soit plus que les chiffres d'août (57.000) et de septembre (190.000) réunis, en trois jours seulement. 60% d'entre eux sont des électeurs entre 18 et 29 ans. Le site reconnaît qu'il est difficile d'affirmer que cet élan est du à l'influence de la star, d'autant que mardi marquait le dernier jour pour s'inscrire dans 14 États, mais les chiffres sont là. 

Benjamin Pierret