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Non, Peyo n’est pas uniquement le créateur des Schtroumpfs

Les Schtroumpfs de Peyo

Les Schtroumpfs de Peyo - Patrick Kovarik / AFP

Les Schtroumpfs ont 60 ans. L'occasion de revenir sur le parcours de son créateur, Peyo, et ses autres BD.

Créateur des Schtroumpfs, il y a soixante ans, Peyo fut une grande partie de sa vie accaparé par son invention. Devenu prisonnier des exigences de son public, il fut contraint de mettre de côté ses autres productions, qu’il adorait pourtant: la série médiévale Johan et Pirlouit, où étaient nés les petits bonshommes bleus, et les aventures de Benoît Brisefer, gamin à la force surhumaine.

"Je suis en quelque sorte prisonnier du succès des Schtroumpfs. Ce sont eux que les lecteurs et l’éditeur me réclament, et je suis bien forcé de leur donner satisfaction", explique Peyo dans Une Vie à schtroumpfer, une biographie en images sortie récemment aux éditions Daniel Maghen. "Bien sûr, le jour où ils ne m’amuseront plus, je cesserai de les dessiner." Ce jour n’est jamais arrivé pour le dessinateur, mort en décembre 1992 un mois après la sortie du Schtroumpf financier.

Né Pierre Culliford, il a créé comme son idole Walt Disney un empire international, cas unique dans la bande dessinée franco-belge. Personne, pourtant, n’aurait misé une feuille de salsepareille sur lui. Son instituteur lui aurait ainsi lancé: "Culliford, vous n’avez aucun avenir dans le dessin!" Même sa mère lui disait qu’il ne serait connu qu’après sa mort! Se refusant à l’analyse de son œuvre, Peyo a toujours été surpris par le succès des Schtroumpfs. "Je crois que les gens aiment bien les histoires simples, gentilles, sans violence", assurait-il.

Un Moyen-Âge idyllique

Réponse facile pour cet auteur de BD dont chaque album, de Johan et Pirlouit à Benoît Brisefer, présente une vision idyllique, voire fantastique, du monde. Même le Moyen-Âge de Johan et Pirlouit est plus proche des contes que la réalité historique: "Plus tard, je me suis rendu compte que je percevais cette période sous un jour trop idyllique", raconte ce fan du Robin des Bois d'Errol Flynn. "Pour moi, c’était l’époque des enchanteurs, des troubadours et des grandes chevauchées. Mais en réalité, ce fut un temps très sombre, très cruel, avec des épidémies terribles et une espérance de vie qui ne dépassait pas quarante ans."

Deux livres retracent la vie de Peyo
Deux livres retracent la vie de Peyo © Dupuis / Daniel Maghen

Se présentant avant comme un conteur, Peyo imagine chaque album de Johan et Pirlouit comme une histoire autonome. Pour surprendre son lecteur, il refuse les méchants récurrents, comme le faisaient à son époque Morris avec les Daltons. Il ne se prive pas en revanche à faire revenir certains personnages lorsqu’ils remportent un grand succès auprès des lecteurs. C’est le cas de Pirlouit, acolyte de Johan. Apparu dans Le Lutin du Bois aux Roches (1956), le personnage est tantôt représenté comme un nain ou un gamin.

“Au fil des aventures, il apparaîtra tantôt clairement comme un nain plus âgé que Johan, tempérant par une distance critique les élans fougueux et parfois naïfs de son jeune ami ; tantôt il donnera le sentiment au lecteur de n’être qu’un jeune garçon farceur et immature. Personnage immédiatement séduisant, Pirlouit est le coup de génie de Peyo”, écrit le spécialiste dans la biographie qu’il a consacré au dessinateur.

Pirlouit ne devait pas rester, mais comme Idéfix dans Astérix, il fut immédiatement adopté par les lecteurs. Les Schtroumpfs auront le même impact, quelques années plus tard. Peyo, qui considère Pirlouit comme son personnage préféré, lui a insufflé beaucoup de sa personnalité: “Inconsciemment, je l’ai doté de mes principaux traits de caractère, de la même façon que Franquin s’est projeté dans Gaston, Roba dans le père de Boule, etc.”
Johan et Pirlouit par Peyo
Johan et Pirlouit par Peyo © Johan et Pirlouit par Peyo © Dupuis 2018

Peyo se projette moins dans Benoît Brisefer, enfant doté d’une force surhumaine qu’il perd dès qu’il s'enrhume. Créé en 1960, le personnage lui permet de proposer un authentique super-héros franco-belge:

"Ce qui me dérangeait chez Superman, c’était l’absence de surprise", dit Peyo. "On savait qu’il allait gagner puisqu’il était Superman! Quand j’ai imaginé Benoît, j’ai pensé très vite le doter d’un talon d’Achille: quand il s’enrhume, il perd toute sa force. Dès lors, le lecteur est toujours dans la crainte qu’il ne s’enrhume pas.”

Peur de décevoir son public

Entre les Schtroumpfs, le Moyen-Âge fantaisiste de Johan et Pirlouit et les pouvoirs de Benoît Brisefer, Peyo adore dessiner des histoires fantastiques. Il aime tant cela qu’il est resté persuadé toute sa vie que l’insuccès des aventures du chat Poussy fut lié à l’absence de fantastique dans la série: "Je l’ai certainement dessinée avec moins de cœur, de chaleur…"

Monopolisé par le succès des Schtroumpfs, Peyo finit par délaisser Johan et Pirlouit, Poussy et Benoît Brisefer. Entre Le Pays maudit (1964), tome 12 de Johan et Pirlouit, et Le Sortilège de Maltrochu (1970), le tome 13, six ans se sont écoulés. Sur Maltrochu, il se fait notamment aider par Franquin. Son style n’est désormais plus le même et ressemble de plus en plus à celui des Schtroumpfs. "Le roi et Johan sont devenus plus petits et plus potelés, et Pirlouit ressemble au Schtroumpf farceur", souligne Hugues Dayez.

Peyo en avait conscience. Il ne voulait cependant pas déléguer ses séries, bien qu’il manquait de temps pour s’en occuper. Le mauvais accueil critique de Tintin et les Picaros, après une longue absence, l’avait profondément marqué. Taraudé par sa peur de décevoir son public, il a préféré se réfugier dans les Schtroumpfs. "Plus un personnage a été populaire, plus il est hasardeux de tenter un come-back après une longue absence", disait-il avec la même sagesse que le Grand Schtroumpf.

Jérôme Lachasse