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L’histoire du surf racontée en BD: "Le surf, c’est une récréation, du fun à l’état pur: la liberté!"

In Waves, d'AJ Dungo

In Waves, d'AJ Dungo - Casterman 2019

Le dessinateur américain AJ Dungo raconte en BD l’histoire du surf. Il en retrace quelques moments importants, de son origine politique aux véritables "beach boys", en passant par sa médiatisation par le cinéma.

Le jeune dessinateur américain AJ Dungo mêle dans sa première BD In Waves son histoire personnelle à celle du surf. Anéanti après la mort de sa compagne Kristen, l’artiste a conçu cet album pour lui rendre hommage et mettre en lumière un pan méconnu de l’histoire de Hawaï.

L’entremêlement de ces deux histoires crée un choc émotionnel tout en dévoilant la manière dont le surf, passion commune de Kristen et AJ, s’est imposé dans l’imaginaire collectif.

Rencontré à l’occasion de la sortie de son album, le 21 août, AJ Dungo revient sur quelques moments clefs de l’histoire du surf, de son origine politique aux véritables "beach boys", en passant par sa médiatisation par le cinéma. Et il n’oublie pas l’essentiel: les vertus apaisantes de cette discipline.

AJ Dungo, l'auteur de In Waves
AJ Dungo, l'auteur de In Waves © Casterman 2019

Un mélange de liberté et de mélancolie

L’eau est en effet avant tout un refuge pour le surfeur: "La culture du surf, tout au long de son histoire, a permis à de nombreuses personnes d’échapper à leurs soucis. En regardant comment les gens ont utilisé le surf par le passé, on peut apprendre beaucoup sur la manière de gérer certaines situations. C’est ce que j’ai appris en faisant des recherches sur la manière dont les anciens Polynésiens surfaient", raconte le dessinateur. Il ajoute:

"Quand je surfe, je décroche du monde réel, je ne pense plus qu’à ça. Quand vous êtes en mer, vous devez être si concentré que vous n’avez pas le temps de vous soucier de ce qui peut arriver hors de l’eau. Le surf vous occupe l’esprit quand vous n’avez pas envie de penser à autre chose. C'est une récréation. C’est du fun à l’état pur: la liberté." 

L’imaginaire collectif associe le plus souvent une image positive à cette discipline. In Waves les surprendra en développant au contraire une veine mélancolique éloignée des riffs endiablés de Dick Dale sur Misirlou [cet hymne du surf rock est notamment utilisé par Tarantino dans Pulp Fiction, NDLR]. "Le livre est raconté du point de vue d’une personne en deuil", rappelle AJ Dungo. "Je suis sentimental, j’adore ce genre d’histoires brutalement honnêtes. C’est un reflet de mon état d’esprit à cette époque." Il complète:

"La culture du surf est à la fois joyeuse et mélancolique. Si je surfe seul, ça peut-être contemplatif, méditatif. Si je surfe avec un groupe, on s’éclate. Il n’y a rien de mieux que d’être en mer avec ses amis et de rire ensemble. Parfois, on n’a même pas besoin de parler. C’est une des choses les plus agréables au monde. L'aspect méditatif du surf est très important. Ce que j’apprécie dans le surf, ce n’est pas forcément la compétition, mais cette manière de s’exprimer sur l’eau, cette recherche du style parfait, cette appréciation de l’aspect esthétique des choses. Je n’apprécie pas forcément les choses les plus populaires en surf."

Les vrais beach boys

In Waves évoque aussi l'histoire des véritables "beach boys" - ces garçons qui traînaient sur les plages hawaïennes et californiennes, dès le début du XXe siècle, avant qu’une bande de garçons ne s'empare de ce nom pour baptiser leur groupe de pop music. Duke Kahanamoku, l’une des figures majeures du surf, a ainsi fondé en 1911 son propre club, le Hui Nalu, considéré comme le responsable de la renaissance du surf à Hawaï.

In Waves d'AJ Dungo
In Waves d'AJ Dungo © Casterman 2019

Le surf s'est créé dans un contexte historique particulier, en réaction aux missionnaires occidentaux. Surfer était alors une manière de protester contre la colonisation de l’archipel, d’aller chercher asile sur l'océan tant redouté par les colons: de sauvegarder une culture menacée. Puis, progressivement, ces beach boys sont devenus un atout touristique pour Hawaï.

"Les 'beach boys' étaient les gars cools de la plage", raconte AJ Dungo. "C’était les gens avec qui on avait envie de traîner. Ils surfaient comme des dieux, ils s’habillaient divinement bien. Ils séduisaient toutes les femmes. Et ils tiraient des avantages financiers de leurs compétences. Ils aidaient les touristes, leur faisaient visiter la région et plus si affinités... C’était un groupe de gens qui vivaient selon leurs propres règles, des clochards célestes qui vivaient sur la plage. On les appellerait aujourd’hui des 'beach bums', même s’ils avaient une éthique de travail."

Le dessinateur ajoute: "Pendant mes recherches, j’ai appris que ces types n’avaient aucune conscience de l’argent, de l’épargne ou du futur. Ils ne pensaient pas à en mettre de côté. Ils dépensaient tout ce qu’ils avaient avec leurs amis ou ils picolaient avec eux. Ils se sont amusés. Ils étaient une force motrice de la communauté des surfeurs à cette époque. Les gens voulaient être comme eux et c’est comme ça que beaucoup de gens se sont intéressés au surf." Aujourd’hui, ils ont disparu. En France, il reste un dernier survivant de cette espèce: Brice de Nice. Et les Beach Boys, le groupe? "Ils ont permis au surf de gagner en popularité, mais la communauté les prenait pour des abrutis. Ils n’appartiennent pas à la culture du surf."

In Waves d'AJ Dungo
In Waves d'AJ Dungo © Casterman 2019

Le surfeur de cinéma

Après la vague de la musique surf dans les années 1950 et 1960, le cinéma s'en est emparé. Le genre comporte quelques classiques comme Endless Summer (1968) de Bruce Brown et Big Wednesday (1978) de John Milius. Les films les plus connus du genre sont également Point Break (1991), Brice de Nice (2005) ou encore Blue Crush (2002), une bluette avec Kate Bosworth et Michelle Rodríguez assez coté dans la communauté des surfeurs, raconte AJ Dungo:

"Je ne sais pas si les Hawaïens ont aimé ce film. Je sais seulement que ce film a permis de vendre beaucoup de maillots de bain [de la marque Billabong notamment, NDLR]."

Sans Sarah rien ne va, une comédie potache produite par Judd Apatow, se déroule en partie à Hawaï et se moque des continentaux venus sur l’île pour y devenir professeur de surf. Une caricature qui plaît, explique le dessinateur: "Je pense que Sans Sarah rien ne va est dans le vrai. Ces personnages sont des caricatures de surfeurs. II y a toujours une forme de vérité dans l’humour, donc il y a des gens qui ont existé qui ressemblent véritablement au personnage que joue Paul Rudd. On rencontre vraiment des professeurs de surf aussi imbéciles et aussi mauvais!"

Peu importe la qualité de ces films. Ils ont tous permis, à un moment donné, de faire découvrir à leur public les joies du surf: "Beaucoup de gens qui ne baignent pas dans la culture du surf la découvrent ainsi, par le biais de la littérature ou du cinéma", souligne AJ Dungo.

Certaines des plus grandes légendes du surf l’ont découvert ainsi. C’est en 1911 dans la petite ville de Washburn, dans le Wisconsin, à plus de 6.500 kilomètres de Honolulu, que Tom Blake (1902-1994) a fait la connaissance de cette discipline qu’il a contribué à révolutionner et à populariser. En visionnant un court film muet sur les exploits de Duke Kahanamoku, le jeune homme ignorait alors qu’il allait en garder le souvenir toute sa vie.

Cent ans plus tard, et notamment grâce à la fiction, "les gens ont une vague connaissance de ce qu’est la culture du surf et commencent à en parler sans utiliser les mêmes clichés", raconte AJ Dungo. "Si cette discipline est de plus en plus médiatisée, sa popularité n’a cependant pas atteint celle du foot ou du basket. Et le surf n’est pas encore aussi accessible que le skate: vous devez acheter une planche 600 dollars, avoir une tenue, un accès à la mer... C’est d’une certaine manière un sport de privilégiés." Il reste alors la fiction - et la BD d’AJ Dungo, In Waves.

Duke Kahanamoku, le père du surf moderne
Duke Kahanamoku, le père du surf moderne © Casterman 2019
Jérôme Lachasse