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Extravagant, théâtral, excessif: qu'est-ce que le "camp", thème du Met Gala, issu de la culture queer?

Ezra Miller, Janelle Monáe, Harry Styles, Lena Waithe et Kerby Jean-Raymond au Met Gala 2019

Ezra Miller, Janelle Monáe, Harry Styles, Lena Waithe et Kerby Jean-Raymond au Met Gala 2019 - Dimitrios Kambouris - Getty Images North America - AFP / Jamie McCarthy - Getty Images North America - AFP

Le gratin du show-business était réuni lundi au Met Gala pour célébrer la nouvelle exposition printanière du musée, "Camp: Notes on Fashion". Tenues extravagantes, couleurs criardes, formes surprenantes... pour un concept difficile à définir.

Céline Dion n'était pas certaine d'avoir tout compris lorsqu'elle a reçu son invitation pour le Met Gala 2019. Lundi soir sur le tapis rouge new-yorkais, la chanteuse a fait part de sa confusion en découvrant que le thème du cru 2019 était le camp:

"Je me suis dit 'C'est du camping?', explique-t-elle au micro de E!. "Du coup, on va camper? On va aller au Met et tout le monde restera et dormira ensemble toute la nuit?"

Comme chaque année, cette soirée présidée par Anna Wintour célébrait la nouvelle exposition printanière du Costume Institute, au Metropolitan Museum of Art. De Nicki Minaj à Lady Gaga, en passant par Harry Styles et Liam Hemsworth, tout le gratin du show-business a défilé dans des tenues correspondant au thème "Camp: Notes on Fashion". Un festival de costumes extravagants, colorés, flamboyants, souvent androgynes... pour un concept difficile à décrire. 

Notes sur le "camp"

Inaugurée ce jeudi, l'exposition s'organise autour d'un essai publié en 1964 par l'auteure et militante américaine Susan Sontag, intitulé Notes on 'Camp'. Comme le rapporte Vogue, elle y expliquait que le camp était un "amour de ce qui n'est pas naturel: de l'artifice et de l'exagération... du style aux dépens du contenu... du triomphe de la scène androgyne."

Andrew Bolton, conservateur de l'exposition, attribue des origines françaises au terme, et les situe dans la cour de Louis XIV. Il évoque dans les colonnes du magazine de mode l'opulence de Versailles et l'extravagance des tenues. Comme le rappelle CBC, c'est lors de son règne que Molière utilise le terme dans sa pièce Les Fourberies de Scapin

"Campe-toi sur un pied. Mets la main au côté. Fais les yeux furibonds. Marche un peu en roi de théâtre", lance ainsi Scapin à Sylvestre. 

L'exposition du Met explique que le verbe, peu à peu, devient adjectif, puis nom, et qu'il entre dans le dictionnaire en 1909 sous la définition suivante: "actions ou gestes exagérément accentués."

Queer, gay... "camp"

Le mot est, par ailleurs, indissociable de la communauté LGBT. Les Britanniques l'utilisent (parfois péjorativement) pour décrire les hommes efféminés. Selon l'AFP, le camp représente "l'outrance, l'humour, la défiance, une culture qui s'est structurée sous l'influence de la communauté homosexuelle des XIXe et XXe siècles." D'après une vidéo explicative du Met, le mot camp est assimilé aux "sous-cultures queer" dès l'époque victorienne. Oscar Wilde est cité comme l'une de ses figures.

Si bien qu'en écrivant sur le sujet quelques années avant les émeutes de Stonewall (manifestations à New York, en 1969 marquant la naissance du militantisme LGBT aux États-Unis), Susan Sontag s'est attirée les foudres de la communauté LGBT, selon Vogue. "Susan Sontag a donc dévoilé l’existence du camp et a fait passer ce concept dans le grand public", explique le magazine. 

"Les drag-queens noires ont inventé le camp"

De nombreux articles associent également le camp au voguing, cette danse née dans les années 1960-1970 au sein des populations gays latinos et afro-américaines. Sur le tapis rouge du Met Gala, l'actrice et scénariste Lena Waithe a porté un costume rappelant ces origines. "Les drag-queens noires ont inventé le camp", pouvait-on lire derrière sa veste.

"Je voulais m'assurer que ma tenue représente les drag-queens noires qui ont commencé ce truc de 'camp', en étant dans l'exagération (...) Toutes ces pionnières qui ont tout commencé", explique-t-elle à E!.

Des boîtes interlopes de Manhattan, le camp s'est frayé un chemin jusqu'aux défilés de mode. D'après Vogue, certaines figures telles qu'Andy Warhol ont servi de pont. Andrew Bolton explique d'ailleurs au magazine que Susan Sontag, "lorsqu’elle écrivait sur le camp, n’en parlait pas comme d’un phénomène politique ni d’un phénomène gay, elle voyait cela comme une esthétique". 

Il cite quelques pièces iconiques, comme les collections du couturier anglais Charles James ou la robe baby doll de Balenciaga (1957). CBC décrit quelques pièces présentées dans l'exposition du Met, notamment d'énormes robes à plumes d'Armani et de Jeremy Scott ou des tenues de Moschino, de John Galliano, ainsi que la robe-cygne de Marjan Pejoski portée par Björk. 

Andrew Bolton le reconnaît auprès de Harper's Bazaar: le camp est "quasiment impossible à définir ou à résumer." Peut-être, pour simplifier, retiendra-t-on l'explication qu'il donne à Vogue: "Ironie, humour, parodie, pastiche, artifice, théâtralité, excès, extravagance, nostalgie, et exagération (...) Un surplus. Quand c'est trop. Un noeud papillon trop gros, trop de plumes, trop de sequins." Ou bien une phrase de Susan Sontag, qui laisse penser que le camp questionne tout: "C'est tout voir avec des guillemets".

Benjamin Pierret