BFMTV
Musique

Pourquoi les stars multiplient les albums surprises

Drake, Beyoncé, Nekfeu.

Drake, Beyoncé, Nekfeu. - Christopher Polk - François Guillot - AFP

Beyoncé, Nekfeu, Orelsan et bien d'autres ont lancé un album surgi de nulle part, qui a battu des records de ventes. Le coup de la surprise est-il en train de devenir une nouvelle norme?

Sur Instagram, elle avait écrit un mot: "Surprise". En décembre 2013, Beyoncé a pris tout le monde de cours et sorti son cinquième album en catimini. Enfin presque en catimini. Elle avait seulement prévenu ses huit millions d’abonnés sur les réseaux sociaux.

Mais la reine des charts avait choisi de ne pas suivre les canaux de promotion habituels. Pas d’annonce plusieurs mois avant la sortie de l'album, pas d’interviews dans la presse, pas de télé, pas de radio, pas de single. Et puis un canal exclusif de distribution: iTunes, la plateforme musicale du géant Apple.

“Je ne voulais pas publier ma musique comme je l'ai fait dans le passé, je suis fatiguée de ce système” a déclaré Beyoncé dans un communiqué pour justifier sa démarche, alors inédite. (...) Je voulais juste qu’il sorte quand il serait prêt et l’adresser directement à mes fans”.

Message reçu: l’événement a généré 1,2 million de tweets en 12 heures, selon un porte-parole de Twitter interrogé par Mashable. Selon Apple, l'album s'est vendu à 828.773 exemplaires dans le monde au cours des trois premiers jours. Ce coup de Trafalgar s’est avéré être un formidable coup marketing. "La sortie a démontré la valeur marketing de ne pas faire de marketing", expliquait à l'époque le New York Times.

Attiser l'excitation

Car un album-surprise, c'est surtout cela: "un effet d’annonce et l’excitation créée pour susciter les premières ventes. Et ça marche", nous explique Laurent Rossi, à la tête du label Jive Epic, chez Sony. Sauf que depuis 2013, les albums-surprises sont presque "devenus la norme". Drake, Miley Cyrus, Kendrick Lamar ou encore Kanye West en sont coutumiers.

"Des stars essaient de plus en plus de lancer des albums sans avoir fait de promo parce qu’ils veulent créer le buzz et se rendent compte que la communication autour de l’effet de surprise fonctionne énormément", confirme Elodie Suigo, critique musicale de la radio France Bleu.

La Queen B n’était pas tout à fait la première à nous faire le coup de la surprise. Quelques mois auparavant, David Bowie, a initié le mouvement, avec son premier album studio depuis dix ans, annoncé le 8 janvier 2013, jour de son soixante-sixième anniversaire. Le même jour, le clip du premier single extrait de l'album, Where Are We Now?, était publié sur le site de Bowie, et la plateforme iTunes proposait l'achat du single et la précommande de l'album. Et dès 2008, Nine Inch Nail avait dégainé Ghosts I-IV sans aucune promotion et au format numérique. Suivant l'exemple de Radiohead, un an plus tôt avec son album In Rainbow, en 2007, disponible au format MP3 et téléchargeable sur le site du groupe gratuitement.

A l'origine, des disques piratés

Mais l'origine de ces albums-surprises, Elodie Suigo la voit dans les albums de stars piratés avant leur sortie et qui ont fuité sur le net. Kanye West en a été victime en 2013 et Madonna en 2015. Des événements dramatiques pour les stars qui tournent finalement à l'aubaine. "Un album sort sans avoir été validé par la maison de disque et par l'artiste. Il suscite beaucoup d'intérêt auprès des fans et des non fans. Ils se sont rendu compte qu'il y avait une espèce de buzz hyper intéressant".

L'incident industriel est depuis devenu une stratégie, rendue possible grâce aux réseaux sociaux et surtout à la dématérialisation du marché du disque.

iTunes a révolutionné le marché de la musique. Comme l'explique Catherine Moore, experte en stratégie du marketing musical, citée par le New York Times: "Ils ont changé la façon de fixer les prix, et une fois que la façon de fixer les prix a changé, ainsi que les moyens de distribution, le marketing devait suivre". Les plateformes de téléchargement et aujourd'hui celles de streaming ont ainsi dépossédé les majors d'une partie de leur pouvoir en les privant du contrôle sur la distribution des disques.

Le New York Times explique ainsi que "les artistes sont devenus de plus en plus créatifs dans leur stratégie de sortie d'albums, dans un effort pour attiser l'excitation" du public. A l'instar de Radiohead qui a totalement disparu du Web, pour mieux revenir avec le morceau Burn the Witch en mai 2016.

Un luxe

L'album surprise est devenu un mode de fonctionnement pour des usines à tubes que sont Rihanna ou Beyoncé. Car "même si l'album n'a pas été annoncé, la promotion suit et elle est colossale. Même si elle n'est pas faite sur le moment et si elle repose sur le buzz, ces maisons de disque ont déjà l'artillerie lourde pour assumer", résume Elodie Suigo.

L'album surprise reste donc un "luxe" que seuls des artistes à forte notoriété et avec une grosse base de fans sur les réseaux sociaux peuvent se permettre. 

Sauf qu'en France, c'est un peu plus compliqué. Car même si le CD ne cesse de céder du terrain au téléchargement et au streaming, le marché du disque physique reste important. Il représentait encore 55% du marché de la musique en 2016, selon les chiffres du Snep parus en janvier 2017, là où les Etats-Unis s'en sont complètement affranchis. 

Une nouvelle norme

Johnny Hallyday, le genre d'artiste qui aurait très bien pu sortir un album surprise, a un handicap, ou plutôt un impératif. "Il faut que son album soit disponible en physique. C’est encore là qu’est le plus gros de son marché", note Laurent Rossi. Et en effet, son dernier album studio, De l’amour, sorti fin 2015 s’est vendu, sept semaines après son lancement, à 335.341 exemplaires… dont à peine 3.000 au format numérique. 

En revanche, les artistes de rap, aux auditeurs plus jeunes, plus connectés sur les réseaux sociaux et sur les plateformes de streaming s'en donnent à coeur joie. Orelsan, Vald ou Nekfeu en sont les parfaits exemples. "Dans le domaine du rap et des musiques urbaines, ça ressemble à une nouvelle norme de marché", analyse Laurent Rossi. "C’est très dans l’air du temps, de cette boulimie du public, cet attrait fou pour la nouveauté".

Le 1er décembre 2016, Nekfeu a ainsi offert une belle surprise aux 20.000 spectateurs qui étaient venus le voir sur la scène de l’AccorHotel Arena. ”Vous savez ce qu'il y a derrière moi, là? C'est la pochette de mon nouvel album Cyborg. Un album surprise, juste pour vous à Bercy", a lancé le rappeur en plein concert.

Et Orelsan a annoncé le 12 novembre 2018, sur Twitter, la sortie de son album... le 16 novembre.

Mais pour Laurent Rossi, le revers de ce genre de lancement, c'est que la presse, se sentant un peu exclue boude l'artiste, ou se contente d'évoquer la forme plus que le fond de l'album. Sauf que Nekfeu, Drake ou Beyoncé, avec leurs centaines de milliers voire leurs millions de followers, peuvent faire sans les médias.

Les artistes n'ont plus vraiment besoin des majors, ni de la presse. En revanche, ils ne peuvent pas encore se passer du public. Ils vont devoir faire preuve d'imagination pour continuer de le séduire, quand la surprise ne suffira plus.

Magali Rangin
https://twitter.com/Radegonde Magali Rangin Cheffe de service culture et people BFMTV